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La maladie du Nobel ou nobélite

Après une rude année encore « coronaviridée », tout le monde aspire à se reposer un peu.

Aussi, laissant de côté pour un moment les sujets sérieux, intéressons-nous à une nouvelle pathologie « la maladie du Nobel » ou nobélite.

De quoi est-il question ?

Le prix Nobel n’est pas décerné à n’importe qui ! Les récipiendaires de la plus prestigieuse des récompenses scientifiques sont généralement élevés au rang de « génie ».  C’est en quelque sorte le Saint Graal aux yeux des chercheurs du monde entier.

Pour autant, un certain nombre d’entre eux sont amenés à adhérer un jour ou l’autre à une théorie douteuse, polémiques, voire complotiste, jusqu’à nier les fondamentaux de la science !

Mais quelle mouche les a donc piqués ?

Le prix Nobel

Il a été créé en 1901 d’après les derniers vœux d’Alfred Nobel inventeur de la dynamite. À sa mort, il laisse un héritage de 32 millions de couronnes suédoises (179 millions d’euros). Cet argent est placé et les intérêts sont distribués tous les ans à ceux et celles « ayant apporté le plus grand bénéfice à l’humanité », par leur travail en faveur de la paix, domaine des savoirs et de la culture dans cinq disciplines différentes : paix ou diplomatie, littérature, chimie, physiologie ou médecine et physique. Comme on pourra le remarquer, il n’y a pas de prix récompensant les mathématiques. On n’en connait pas la véritable raison, en revanche, la légende veut que la compagne d’Alfred Nobel aurait eu une liaison avec un mathématicien, le suédois Gösta Mittag-Leffler que Nobel détestait. Alfred Nobel ne s’est jamais expliqué sur ce point. C’est dans ce contexte qu’un ami de Mittag-Leffler, le mathématicien canadien John Charles Fields, a créé l’équivalent du « Prix Nobel de mathématiques », la fameuse médaille Fields.

En 1968, la banque de Suède institue le « prix de la banque de Suède en sciences économiques »  en mémoire d’Alfred Nobel, assimilé à un prix Nobel : « le prix Nobel d’économie ».

La nobélite

Le dictionnaire sceptique (The Skeptic’s Dictionary, de Robert Todd Carroll) définit la maladie du Nobel comme étant une “affliction de certains lauréats du prix Nobel qui les amène à embrasser des idées étranges ou scientifiquement mal fondées, généralement plus tard dans leur vie”.

Sebastian Dieguez chercheur en neurosciences au Laboratoire de sciences cognitives et neurologiques de l’Université de Fribourg (Suisse), explique que ces brillants scientifiques finissent par adhérer à des théories douteuses par une “volonté délibérée d’aller au plus étrange, au plus tabou, au plus choquant pour faire un pied de nez, embêter la communauté scientifique, signaler sa différence, son audace, son ouverture d’esprit… Bref sa grandeur » et il précise “qu’il y a des gens qui pensent qu’ils ont toujours raison et que, même s’ils ont tort, ils ont le droit de proposer des choses provocantes, inhabituelles« .

La nobélite se caractérise aussi par le fait qu’un prix Nobel se met à travailler sur des sujets dans lesquels il n’a aucune compétence.

Il ajoute :« “Après avoir reçu le prix, vous pouvez développer une sorte de vision romantique de la science qui repose sur, non pas l’obéissance et le respect des normes de rationalité et de raisonnement, mais plutôt une habilité à vous placer sur un plan intuitif, peut-être un peu irrationnel, en tout cas d’oser poser les questions interdites ou tabous.”

En bref, l’intelligence ne protège pas contre l’irrationalité.

Qui sont ces malades ?

Linus Pauling (1901-1994)

On peut citer par exemple le chimiste et physicien américain Linus Pauling qui reçut deux prix Nobel (prix Nobel de chimie en 1954 pour la nature des liaisons chimiques et prix Nobel de la paix en 1962 pour ses campagnes contre les essais nucléaires).

Ce dernier n’a pas hésité à affirmer que des doses élevées de vitamine C (par injection intraveineuse) pouvaient être efficaces contre le cancer ou le rhume, ou encore à émettre l’hypothèse que les notes des élèves s’amélioraient après avoir bu du jus d’orange pendant plusieurs mois.

Mais les études publiées par le nobélisé étaient pleines de biais et d’erreurs. Il est vrai cependant que beaucoup de chercheurs s’interrogent sur les effets de la vitamine C. Mais pour l’instant, aucune étude suffisamment contrôlée pour être représentative n’a donné de résultats satisfaisants.  Pauling (en 1968) a également soutenu que des mégadoses de vitamine C étaient efficaces contre la schizophrénie.

James Watson (1928-)

Ce biochimiste américain est lauréat du prix Nobel de Physiologie ou médecine en 1962 avec Francis Crick pour avoir décrit la structure en double hélice de l’ADN (qui n’est pas réellement leur découverte mais celle de Rosalind Franklin dont ils se sont procurés les résultats à son insu !).

Il fit polémique lorsqu’il a soutenu catégoriquement que les Noirs sont intrinsèquement moins intelligents que les Blancs : la différences des QI serait due à des facteurs génétiques. De plus, l’exposition à la lumière du soleil dans les régions équatoriales augmenterait les pulsions sexuelles des Noirs. Watson a également suggéré que les personnes obèses sont moins ambitieuses que les autres. En réaction, le centre de recherche Cold Spring Harbor Laboratory révoqua ses titres honorifiques (Chancelier émérite, Professeur émérite et administrateur honoraire).

Kary Mullis (1944-2019)

Biochimiste américain, lauréat du prix Nobel de chimie en 1993 avec Michael Smith pour avoir mis au point la réaction en Chaine par Polymérase (PCR) qui permet de copier rapidement une petite quantité d’ADN des milliards de fois.

Sa nobélite se caractérise lorsqu’il doute que le SIDA soit provoqué par le virus VIH en jugeant frauduleuse l’utilisation de son procédé PCR dans la détermination de la charge virale, un procédé de détection de la séropositivité.

Il nie aussi la présence du trou dans la couche d’ozone et la responsabilité de l’homme dans le réchauffement climatique (actuellement de moins en moins de scientifiques pensent que l’homme ne porte aucune responsabilité dans ce réchauffement).

Quant à sa rencontre avec un raton laveur fluorescent (un extra-terrestre ?) elle est peut due à la prise de substances illicites…

Luc Montagnier (1932-)

C’est peut-être celui qui nous marque le plus : ce virologue français a reçu le prix Nobel de physiologie ou médecine en 2008 avec Françoise Barré-Sinoussi, pour leur découverte du virus VIH responsable du SIDA, doublée d’un combat (pas toujours clair) contre l’Américain Robert Gallo dont les expérimentations ont été indispensables à la mise en évidence du virus. Puis viennent les dérapages :

Pire encore, le 7 novembre 2017, il participe avec le complotiste bien connu Henri Joyeux à une conférence de presse où il déclare être d’accord avec plusieurs arguments des anti-vaccins, arguments réfutés par la communauté médicale :

Et bien d’autres

Brian Josephson, prix Nobel de physique en 1973 (supraconductivité), était persuadé que la mécanique quantique allait nous ouvrir les portes de la télépathie mentale.

William Shockley, prix Nobel de physique en 1956 pour ses travaux sur les transistors, a accepté de donner son sperme à une soi-disant banque de sperme pour génies, après avoir, lui aussi, affirmé que les Blancs étaient génétiquement supérieurs aux Noirs.

Alexis Carrel, qui a reçu le prix Nobel de physiologie ou de médecine en 1912 pour ses travaux sur la suture vasculaire et la transplantation de cellules sanguines et d’organes a promu l’eugénisme et les théories raciales nazies.

Richard Smalley (prix Nobel de chimie en 1996 pour la découverte d’une troisième forme de carbone), a promu des idées antidarwiniennes.

Faut-il être nobélisé pour être atteint de nobélite ?

Mais attention ! La nobélite existe aussi chez certains scientifiques n’ayant pas été nobélisés. Il semble que l’intelligence n’immunise pas contre les biais cognitifs : par conséquent, même les personnes très intelligentes peuvent négliger d’exercer leurs capacités de réflexion critique lorsqu’elles ne sont pas suffisamment motivées pour le faire, surtout lorsqu’elles sont certaines d’avoir raison.

Comme les études sur la personnalité suggèrent que les scientifiques très créatifs ont tendance à être plus sûrs d’eux que les autres scientifiques (Feist, 1998), l’humilité intellectuelle pourrait être plus l’exception que la règle chez les lauréats d’un prix Nobel de sciences. En conséquence, les prix Nobel doivent se garder de tout « dépassement intellectuel » (trop présumer de ses capacités), l’erreur consistant à supposer que parce qu’on est expert dans un domaine, on est susceptible de montrer des niveaux d’expertise comparables dans d’autres domaines (Dubner, 2014).

Conclusion

Grandeur et décadence : personnellement, je trouve que ces personnages sont très inquiétants dans ces périodes troublées pour cause d’épidémie car, auréolés de leur prix prestigieux, ils donnent une pseudo-caution scientifique aux pseudo-scientistes de tous poils et aux complotistes qui se répandent sur les réseaux sociaux amplificateurs.

Toute ressemblance avec de grands scientifiques qui se sont exprimés avec force pour défendre des thèses douteuses et non scientifiquement vérifiées pendant la crise du Covid ne peut être que fortuite…

Bibliographie