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Le gaz moutarde est à l’origine de modifications épigénétiques : de nouvelles notions dans le domaine NRBCe

Des publications scientifiques récentes montrent que le gaz moutarde et les organophosphorés peuvent entraîner des modifications épigénétiques : il nous a semblé intéressant de nous pencher sur ce problème afin de mieux le comprendre ainsi que les conséquences en termes de pathogénicité. Ces phénomènes sont d’autant plus importants qu’ils semblent aussi intervenir dans le « syndrome de la guerre du golfe » qui n’est pas, de nos jours, encore complètement compris.

L’épigénétique

Si la génétique est la science qui étudie les gènes, l’épigénétique est celle qui étudie la nature des mécanismes modifiant de manière réversible, transmissible et adaptative l’expression des gènes.

Toutes les cellules d’un organisme vivant ont le même patrimoine génétique. Alors, comment expliquer que certaines cellules sont des cellules de foie, d’autre des cellules de peau, voire des cellules nerveuses ! Comment expliquer que certaines abeilles ont donné des reines et d’autres des ouvrières ? Cela peut s’expliquer par l’expression différenciée des gènes, en relation avec le milieu extérieur, par les phénomènes de l’épigénétique. Rappelons que dans un génome, seuls 10 à 20% des gènes sont actifs ce qui permet une grande diversification des activités

Dans l’évolution, la théorie Darwinienne montre que l’évolution des espèces se réalise par la modification du génome par une mutation par exemple, l’individu nouveau étant conservé si un avantage lui a été attribué par la mutation. Tandis que dans le Lamarkisme, c’est le milieu extérieur qui guide la transformation des individus (la girafe a acquis un long cou pour manger les feuilles d’arbres situées en hauteur).

Depuis que l’épigénétique a été découverte (années 90), le dogme du Darwinisme s’est écroulé tandis que le Lamarckisme est revenu sur le devant de la scène.

Par exemple : la taille des hommes a augmenté de 15 cm en 1 siècle (lorsqu’ j’ai commencé ma carrière d’enseignant, les élèves étaient plus ou moins de ma taille. Pendant ma dernière année, tous me dépassaient d’au moins 1 tête (garçons comme filles). Cela s’est traduit par des athlètes très différents à 40 ans d’intervalle : Florent Manaudou 1,99 m pour 99 kg, comparé à Michel Platini 1,79 m pour73 kg ! Il y a bien là une influence du milieu extérieur dû au phénomène d’épigénétique. La taille et le poids des hommes augmentent, conséquences du milieu environnant et du mode de vie. Les nouveaux caractères sont transmis (Lamarckisme).

Une expérience de laboratoire a permis de montrer que les nouveaux caractères peuvent être transmis : des souris soumises à un stress important on donné naissance à des individus stressés en absence même du phénomène stressant, et ce, sur 2 générations. Après, le caractère a été perdu.

Selon la définition de l’Inserm, l’épigénétique correspond à l’étude des changements dans l’activité des gènes, n’impliquant pas de modification de la séquence d’ADN et pouvant être transmis lors des divisions cellulaires. Contrairement aux mutations qui affectent la séquence d’ADN, les modifications épigénétiques sont réversibles.

Comment fonctionne l’épigénétique ? 

Les gènes proprement dits ne sont pas modifiés, c’est leur expression qui est régulée  par l’environnement.

L’activité de l’épigénome est régulée par des « étiquettes épigénétiques » permettant de moduler la structure de la chromatine et l’activité des gènes. En fonction de la nature chimique et du nombre de ces étiquettes épigénétiques, la chromatine sera plus ou moins compacte permettant ainsi l’expression ou l’absence d’expression du ou des gènes.

Les étiquettes sont posées sur l’ADN et les histones (protéines sur lesquelles s’enroule l’ADN au sein du noyau). Pour l’ADN ce sont des méthylations et sur les histones ce sont des méthylations, des acétylations et des phosphorylations).

L’acétylation favorise lʼexpression des gènes, la méthylation favorise ou inhibe lʼexpression des gènes. La phosphorylation est encore mal comprise en épigénétique.

Fonctions de l’épigénétique

Les phénomènes épigénétiques interviennent dans le développement d’un individu et dans l’apparition de certains cancers.

Certains syndromes héréditaires résulteraient eux-aussi de mutations dans les gènes codant pour la machinerie épigénétique  comme dans le cas du syndrome ICF (pour Immuno-déficience combinée). Par ailleurs, le rôle de l’épigénétique est soupçonné dans le développement et la progression de maladies complexes et multifactorielles, comme les maladies neurodégénératives (Alzheimer, Parkinson, sclérose latérale amyotrophique, Huntington…) ou métaboliques (obésité, diabète de type 2…). De nombreuses études épidémiologiques suggèrent en outre l’existence de liens entre diverses expositions au cours de la vie intra-utérine (voire dès la fécondation) et la survenue de maladies chroniques à l’âge adulte.

Dans certains cas l’ADN étiqueté peut être transmis à la génération suivante. Cependant, dans l’immense majorité des cas, il y a une sorte « d’essuyage » des étiquettes au moment de la méiose permettant de redonner aux descendants de l’ADN normalement régulé dans son expression

 

Le gaz moutarde (HD) et les modifications épigénétiques

Les personnes exposées au gaz moutarde souffrent de lésions chroniques au niveau de la peau et des yeux, de lésions pulmonaires et de développement de cancers. Une étude récente (Steinritz et al.) a montré que l’exposition au gaz moutarde modifie d’une manière significative les marqueurs épigénétiques et en particulier une augmentation des méthylations de l’ADN des cellules de la peau in vitro et in vivo.

Dans une autre étude (Simons et al.) ont montré que le gaz moutarde n’avait que peu d’effet sur les histones mais provoquait une augmentation significative des méthylation d’ADN sur des cellules isolées et sur des cellules de peau.

Le syndrome de la guerre du golfe

On estime qu’entre 25 et 32 % des 900 000 vétérans de la guerre du golfe (1990-1991) présentent les symptômes  du « syndrome de la guerre du golfe ». Il se traduit par tout un panel de symptômes très disparates: troubles neurologiques, psychologiques, musculaires, respiratoires ou encore dermatologiques. Les symptômes nerveux prédominent comme des troubles du comportement, des problèmes de mémoire et un état dépressif. Il y a des anomalies neuro-immunitaires et neuro-inflammatoires. Des tumeurs cérébrales ont été aussi décrites. Les vaccins qu’ont reçu les soldats avant leur départ ont été mises en cause, provoquant chez eux la synthèse d’anticorps  anti-squalène (bien qu’absent des vaccins). Cette piste concernant les vaccins semble être abandonnée.

En revanche, l’exposition  au bromure de pyridostigmine trouvé dans les comprimés prescrits aux soldats pour les protéger des gaz de combat a été envisagée.

Dans un récent papier publié par Ashbrook et al. il est montré que des cellules de souris exposées à la cortisone (hormone du stress) puis au  diisopropyl fluorophosphate (DFP) un simulant du gaz sarin (inhibiteur irréversible de l’acétylcholinestérase) modifie les histones et la méthylation de l’ADN des gènes impliqués dans l’inflammation neuronale et les symptômes cognitifs. Il est donc tout à fait probable que le stress intense des soldats et l’exposition aux organophosphorés puissent être, en tout cas en partie, responsable des symptômes du syndrome de la guerre du golfe, y compris les cancers qui se déclenchent plus tardivement.

La cause du syndrome n’est donc pas psychologique.

 

Conclusion

Non seulement les toxiques de guerre comme le gaz moutarde et les organophosphorés agissent directement sur l’organisme par leur toxicité, ils agissent aussi plus durablement en modifiant la régulation des gènes au moyen de marqueurs épigénétiques. Les connaissances en épigénétique apportent des éléments nouveaux dans la compréhension des effets pathologiques qui se prolongent dans la durée : le HD et les organophosphorés sont capables de poser des « étiquettes » sur l’ADN et les histones, modifiant durablement l’expression de certains gènes mais pas leur structure.

 

Bibliographie

T. Simons, D. Steinritz, B. Bölck, A. Schmidt, T. Popp, H. Thiermann, T. Gudermann, W. Bloch, K. Kehe. Sulfur mustard-induced epigenetic modifications over time-a pilot study. Toxycol. Lett. (2017) https://doi.org/10.1016/j.toxlet.2017.11.010

D.Steinritz, A. Schmidt, F. Balszuweit, H. Thiermann, T. Simons, E. Striepling, B. Bölck, W. Block. Epigenetic modilations in early endothelial celles and DNA hypermethylation in human skin after sulfur mustard exposure. Toxycol. Lett. (2016). http://dx.doi.org/10.1016/J.toxlet.2015.09.016

D. Ashbrook, B. Hing, L. T. Michalovicz, K.A. Kelly, J.V. MIller, W.C.de Vega, D.B. Miller, G. Broderick, J.P. o’Callaghan, P.O. McGowan. Empigenetic impacts of stress priming of the neuroinflammatory response to sarin surrogate in mice: a model of Gulf war illness. J. Neuroinflam. (2018). htpps://doi.org/10.1186/s12974_018-1113-9

Image : http://www.delphinebailly.com/portfolio_page/epigenetique-ca-minteresse/