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Le sarin : une histoire sans fin

On sait que le gaz sarin a été mis au point en 1939 dans les laboratoires de l’IF Farben. Le Sarin signifie Schrader, Ambros, Rüdiger et Van der Linde du nom de leurs inventeurs qui lui ont donné leurs initiales.

Il appartient à la famille des organophosphorés qui comprend des agents tels que des insecticides et aussi des agents de guerre comme les agents G : GA tubun, GB sarin, GD soman, les agents V : VX et VR et  les agents A également appelés agents Novitchok (agents A-230, A-232 et A-234). Une tentative d’assassinat à l’encontre d’Alexei Navalny en 2020 a bien été perpétrée par un agent A.

De quoi est-il question ?

L’acétylcholine (ACh) est un neuromédiateur qui joue un rôle dans le système nerveux central (mémoire, apprentissage) ainsi que dans le système nerveux périphérique (activité musculaire et fonctions végétatives).

Dans un neurone, l’acétylcholine est stockée dans les vésicules de la membrane présynaptique. (Rappel une synapse est la zone située entre la terminaison d’un neurone et soit un autre neurone, soit une cellule musculaire). Lorsqu’un potentiel d’action arrive au niveau de l’extrémité du neurone, il provoque l’ouverture de canaux à Ca++ ce qui provoque la fusion des vésicules et la libération d’ACh dans la fente synaptique. Elle parvient alors aux récepteurs postsynaptiques (c’est à dire de l’autre côté de la fente) et provoque une modification de la perméabilité ionique membranaire et la contraction musculaire si c’est une jonction neuro-musculaire.

On distingue 2 types de récepteurs : les récepteur muscariniques divisés en 5 classes de M1 à M5 et les récepteur nicotiniques neuronaux N1,( Système Nerveux Central et ganglions périphériques et musculaires),  et les récepteurs nicotiniques de type musculaires de type N2.

TissuEffet de l’acétylcholineRécepteurs impliqués
Système nerveuxMémorisation et apprentissageM1
CœurDiminution de la fréquence cardiaqueM2
VaisseauxVasodilatation, baisse de la pression artérielleM3
PoumonContraction des bronches, sécrétionM3
Intestins, EstomacContractions, sécrétionsM3
Glandes salivairesSécrétionM3
ŒilContraction de la pupille, larmesM3
Glande médullosurrénaleInhibe la sécrétion d’adrénaline (qui n’est plus stimulée par le système orthosympathique)N
muscle squelettiqueContractionN
Action de l’acétylcholine [1] dans le système nerveux périphérique

Dans tous les cas, l’ACh doit disparaître rapidement de la synapse après sa libération et pour ça, elle est hydrolysée par une enzyme, l’acétylcholinestérase (AChe) en quelques millisecondes en acétate et en choline.

Les inhibiteurs des acétylcholinestérases

En médecine

Dans certaines maladies, il est nécessaire d’accroître la transmission cholinergique, par exemple en apportant des agonistes (non hydrolysables) des récepteurs cholinergiques (muscarine, alcaloïdes, nicotine…). On peut aussi utiliser des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase comme la physostigmine, la pyrodostigmine et divers autres inhibiteurs sont testés pour traiter les déficiences cholinergiques associées à la maladie d’Alzheimer (rivastigmine…).

On peut aussi, plus spécifiquement, utiliser des antagonistes des récepteurs de l’ACh comme la belladone et l’atropine.

Les organophosphorés

Ces molécules organophosphorées neurotoxiques bloquent l’Acétylcholinestérase (AChE).

C’est le cas du Sarin.

En bloquant l’acétylocholinestérase, l’acétylcholine s’accumule au niveau des synapses et stimule à l’excès les nerfs, les muscles et les glandes (notamment les glandes lacrymales), les glandes salivaires et les glandes sudoripares dans l’ensemble de l’organisme. Au début, les muscles stimulés tremblent puis se contractent de manière incontrôlable, puis dans un deuxième temps ils se fatiguent et s’affaiblissent.

L’exposition à des agents neurotoxiques peut entraîner des troubles neurologiques et neurocomportementaux à long terme, notamment une anxiété, une dépression, une irritabilité et des problèmes de mémoire. (MSD [2])

Mode d’action des Organophosphorés (OP)

Ils se fixent aux cholinestérases quelles qu’elles soient et occupent en le phosphorylant le site estérasique de l’enzyme, s’opposant ainsi à l’hydrolyse physiologique de l’acétylcholine en choline et en acide acétique. La déphosphorylation de l’enzyme inhibée par l’OP est très lente, mais peut être accélérée par un réactivateur des cholinestérases ou « oxime » qui fait partie du traitement actuel de l’intoxication.

À température ambiante le sarin est un liquide qui s’évapore facilement attaquant alors l’individu par voie cutanée et respiratoire. L’exposition de la peau à ces agents cause initialement des contractions et de la transpiration au site de l’exposition. Des effets affectant l’ensemble de l’organisme surviennent après un certain délai pouvant durer jusqu’à 18 heures après l’exposition d’un agent G ou V.

Les agents neurotoxiques stimulent les cellules nerveuses dans le cerveau et les personnes deviennent agitées, confuses, et sujettes à des crises convulsives ou perdent connaissance.

La stimulation des cellules nerveuses en dehors du cerveau provoque la nausée, des vomissements, des larmes, des sécrétions nasales, une salivation importante, des sécrétions pulmonaires, une respiration sifflante, des sécrétions digestives exagérées (telles que diarrhée et vomissements), et de la transpiration. La stimulation des cellules musculaires entraîne des crampes suivies de faiblesse et de paralysie. La faiblesse des muscles respiratoires et l’interruption du centre respiratoire dans le cerveau constituent habituellement la cause du décès.

Le diagnostic sur le terrain est réalisé par un médecin qui s’appuie sur l’histoire du terrain, le toxidrome [3] et l’utilisation de papier détecteur [4], ou d’autres types de détecteurs.

Traitement

Atropine

L’atropine est le véritable antidote de l’intoxication aux OP. L’atropine agit en compétition avec l’acétylcholine au niveau des récepteurs muscariniques, mais elle est sans effet sur les cholinestérases de la jonction neuromusculaire. L’atropine bloque les récepteurs de l’ACh empêchant alors cette dernière de continuer à stimuler les neurones. La pralidoxime est un réactivateur des cholinestérases qui hydrolyse la liaison enzyme-inhibiteur, mais également l’inhibiteur et agit en synergie avec l’atropine permettant la diminution des doses de celle-ci. Il se fixe sur le groupement alkyl-phosphate de la cholinestérase alkyl-phosphorylée et le détache de l’acétyl-cholinestérase qui est ainsi régénérée

Pralidoxime

Il existe des auto-injecteurs contenant les 2 produits.

Phosphorylation de la cholinestérase

Illustration du mécanisme de phosphorylation et de vieillissement de la cholinestérase. (a) enzyme libre ; ( b) composé organophosphoré ; (c) enzyme phosphorylée ; (d) intermédiaire ; (e) produits de désalkylation et (f) enzyme vieillie.

Sous la forme déalkylée, l’enzyme n’est plus réactivable

Mode d’action du Pralidoxime : réactivation de la cholinestérase

Le mode d’action du Pralidoxime n’est plus valide si l’exposition au Sarin dépasse les 5 heures. C’est la onséquence d’un processus de vieillissement de L’AChE sur le long terme, aussi appelé « Aging Porcess ».

Processus du vieillissement de l’AChE après 5 heures d’exposition au Sarin – AChE détériorée (ici en vert)

Ces figures très pédagogiques sont tirées de l’article consacré au Sarin de la revue « Zeste de savoir  [5]»

La décontamination

 Elle réduit la dose d’organophosphoré absorbée au niveau de la peau et évite un transfert de contamination vers l’entourage (DecPol Abs [6]). En cas d’alerte chimique, la nature du toxique, souvent inconnue, augmente le nombre de victimes potentielles avec risque majeur de transfert de contamination (voir la situation des soignants lors de l’attaque au gaz sarin dans le métro de Tokyo).

Les utilisations du Sarin

Dans un article [7] précédant nous avons fait état des nombreux cas d’utilisation du gaz sarin, tant du point de vue terrorisme que du point de vue étatique. Il est conseillé de se le remémorer afin de constater que c’est un produit qui a été largement employé.

En allant un peu plus loin : le syndrome de la guerre du golfe

Les rapports sur le « sur le syndrome de la guerre du Golfe » ont donné lieu à des spéculations sur les associations possibles entre les expositions toxiques.

L’uranium appauvri n’a pas été retenu comme cause ce qui laisse l’exposition aux composés organophosphorés en aérosol (pesticides et agent neurotoxique sarin) comme cause(s) plus probable(s) du syndrome de la guerre du Golfe.

Dans une étude intéressante de H.M Bolt, la question était posée de savoir si le Sarin pouvait avoir joué un rôle dans le syndrome de la guerre du golfe.

L’étude du polymorphisme génétique du génotype Q192R de la paraoxonase-1 (PON1) peut fournir des informations sur son association avec certaines conditions ou maladies, notamment des troubles métaboliques tels que le diabète de type 2, l’obésité, ou d’autres maladies cardiovasculaires.

Dans notre cas, on a cherché à savoir si le syndrome de la guerre du golfe a une relation avec l’exposition à de faibles doses d’agents neurotoxiques ?

L’étude a été menée sur 508 soldats malades comparés à 508 soldats témoins non malades.

L’exposition à de faibles doses d’agents neurotoxiques a été estimée à l’aide de questions d’enquête sur le fait d’avoir entendu des alarmes sonores d’agents neurotoxiques sur le terrain.

Les études ont montré que l’interaction gène-environnement du génotype Q192R et des alarmes auditives a été fortement associée à la maladie de la guerre du Golfe.

Au total, ces données soutiennent l’idée d’une relation de cause à effet entre les composés organophosphorés de faible niveau, en particulier le sarin, et les symptômes de la maladie de la guerre du Golfe. Dans la presse non spécialisée, des spéculations ont été avancées sur un lien avec le bombardement de la cache d’armes chimiques de Sadam Hussein en janvier 1991 autour des villes de Muthanna et Fallujah, qui avait libéré du sarin.

Conclusion

Étant donné la complexité des actions toxiques systémiques du sarin, en particulier celles qui affectent le cerveau et l’absence d’antidotes efficaces contre les lésions du Système Nerveux Central, la recherche sur la toxicité du sarin peut se poursuivre encore longtemps.

Bibliographie