- Ouvry – Systèmes de protection NRBC - https://ouvry.com -

Les agents Novichok : mini-revue des données disponibles

Pendant la guerre froide les nations de l’Ouest et l’URSS ont développé des armes de destruction massive. Même si une grande partie de ces programmes sont « top secret », on connait quelques informations sur la synthèse d’agents chimiques par l’URSS dans le cadre des programmes FOLIANT et NOVICHOK, tous deux développés en réponse à la mise au point par les anglais et les américains de l’agent VX. E. Nepovimova E. et K. Kuca nous donne ces informations dans un article paru dans Food and Chemcal Toxicology, 121, (2018), 343-350 intitulé « Chemical warfare agent NOVICHOK – minireview of available data ».

Considérations historiques

L’utilisation des premières armes chimiques pendant la première guerre mondiale ayant connu un succès évident, les différents belligérants, après-guerre, ont cherché à améliorer leurs performances en inventant des produits toujours plus puissants. En 1934 le chimiste Gerhard Schräder est chargé de mettre au point des insecticides au sein de l’entreprise IG Farben (Allemagne). Il synthétisa alors 2 000 produits organophosphorés dont  l’éthyl dimethyl-phosphoramidocyanidate aussi appelé tabun ou GA, puis, dans la foulée, le propane-2-yl methylphosphonofluoridate ou GB ou sarin. Ces produits très toxiques ont été brevetés pour des applications déclarées secrètes par l’armée allemande. Un peu plus tard, en 1944 c’est la 3,3-dimethylbutan-2-yl, methylphosphonofluoridate ou soman ou GD qui a été synthétisé par les prix Nobel Richard Kuhn et Konrad Henkel. Jusqu’en avril 1945 ce sont 9 000 tonnes de tabun, 1 300 tonnes de sarin et 20 tonnes de soman qui ont été produites et stockées par le régime allemand sans pourtant avoir été utilisées. Plusieurs raisons sont avancées : l’expérience personnelle négative d’Hitler sérieusement atteint par de l’ypérite pendant la première guerre, peur des représailles et sous-estimation de la supériorité allemande dans ce domaine.

Après la 2ème guerre mondiale, les russes et les forces alliées se sont emparé des usines de production allemandes, des technologies et des experts du domaine.

En 1949, les britanniques ont synthétisé des esters organophosphorés dont l’agent VX à Porton Down. Ils ont ensuite négocié un accord avec les États Unis pour échanger la technologie VX contre la technologie arme nucléaire et c’est pourquoi en 1961 la production à l’échelle industrielle du VX a pu commencer aux USA. Pendant cette même période, un isomère du VX était synthétisé en Union Soviétique et a pris le nom de VX Russe ou VR. Cette molécule a servi de base à toute une série d’autres produits toxiques : les Novichoks.

La naissance des Novichoks

Jusqu’aux années 1950 l’utilisation d’armes chimiques « unitaires » posait des problèmes de production, de stockage, de stabilité, d’hostilité des populations locales et des problèmes environnementaux. Aucune arme chimiquement stable au stockage n’était mise au point ce qui mena les américains à lancer un programme intitulé  » système d’armes létales binaires » se basant sur l’utilisation de 2 produits neurotoxiques : le sarin et le VX. Deux ou plusieurs composés précurseurs non toxiques sont physiquement séparés. L’étape finale de synthèse est réalisée immédiatement ou pendant la mise à feu de la munition. Ceci évite les problèmes de toxicité pendant la manipulation, le transport et la mise à feux de l’arme. En revanche, la construction de la munition est plus compliquée avec des cartouches plus petites et des rendements plus faibles à l’étape finale. Les soviétiques ne croyaient guère à cette nouvelle arme, plus difficile et plus couteuse à faire d’autant plus que leur stock était récent et qu’ils ne s’étaient pas encore posé la question de la destruction des armes défectueuses et/ou anciennes.

C’est l’observation que le stockage du VX Russe était très sensible à l’humidité et son amélioration dans une forme épaissie et un composé binaire qui ont conduit les autorités à initier le projet secret « Foliant » en 1973 et 1976. Il était destiné à fabriquer une 3ème génération de VX largement plus toxique que ses prédécesseurs et non détectable par les standards de l’OTAN. Au moins 3 produits ont alors été synthétisés A230, A232 et A234.

Ces molécules sont instables mais le problème est résolu par la mise au point de précurseurs stables. Cinq types d’agents binaires ont été développés avec des précurseurs non listés par la convention sur les armes chimiques. Les premières informations exactes sur les agents A et les Novichoks ont été publiées seulement après la fin du projet Foliant (après 1992) par des transfuges comme Mirzayanov en 2009. Ce dernier fut arrêté, condamné pour haute trahison et libéré quelques mois après sous la pression médiatique. Il a émigré aux USA.

Actuellement

Aujourd’hui, les informations sur la synthèse, les propriétés physico-chimiques, la toxicité et les caractéristiques militaires des agents A et des novichoks sont toujours tenues secrètes.

Le tableau suivant fait le point sur les différentes molécules connues.

En mars 2018, l’ancien espion russe Sergey Skripal et sa fille Yuliya ont été retrouvés inconscients à Salisbury, au Royaume-Uni. Plus tard, les autorités britanniques ont qualifié cet incident d’empoisonnement par un agent neurotoxique du groupe Novichok en accusant la Russie, soit d’en être responsable soit de ne pas avoir maitrisé une éventuelle fuite du produit. La Russie s’en défend mais, dans la mesure où l’enquête est toujours en cours, il n’est pas possible à l’heure actuelle de déterminer avec certitude qui a raison et qui a tort.

Les propriétés physicochimiques

Le tableau  suivant représente les propriétés physico-chimiques les plus connues des agents A, du sarin et du VX. Un inconvénient important des neurotoxiques actuellement disponibles est le déséquilibre entre leur persistance et leur volatilité. D’un côté, il y a les agents G caractérisés par  une volatilité élevée et une faible persistance. D’autre part, il y a des agents en V qui montrent une persistance élevée, mais une efficacité réduite par une action directe des vapeurs.  La troisième génération montre des propriétés physico-chimiques équilibrées de volatilité, densité et stabilité à la lumière et à l’humidité.

Mode d’action

Le mode d’action des agents A est une inhibition irréversible de l’acétylcholine estérase (AChE) avec un processus de vieillissement rapide.   Les réactivateurs actuellement disponibles (pralidoxime, obidoxime, HI-6) attaquent très difficilement le phosphore de telle sorte qu’il n’est pas envisageable de restaurer la fonction de l’AChE inhibée par les agents A. En revanche, l’injection de butyrylcholinestérase BChE  (« bioscavenger ») en préventif qui se lierait et détoxifierait le neurotoxique l’empêcherait d’atteindre l’AChE des tissus et produire les effets délétères. Par conséquent, les seules approches thérapeutiques efficaces seraient le traitement symptomatique alliant la  combinaison d’un agent anticholinergique et d’un anticonvulsivant.

Selon des sources non autorisées, les agents A sont des neurotoxiques qui exercent une toxicité plus élevée ou au moins similaire à celle du VX. Néanmoins, il y a aussi plusieurs différences. Dans les rapports non autorisés, il a été mentionné que les symptômes d’intoxication étaient pratiquement incurables et que les personnes exposées à un tel type d’agent neurotoxique demeuraient handicapées. Ces rapports décrivent une neurotoxicité dite retardée caractérisée par une perturbation grave du système nerveux se manifestant par une paralysie survenant entre 1 et 3 semaines après l’intoxication.
Le scientifique Andrey Zheleznyakov a été probablement exposé à l’A 232. Cinq ans après l’intoxication, il est décédé des suites d’une cirrhose, d’une névrite du trijumeau et d’épilepsie.

Traitement

L’approche doit être à la fois pharmacologique et non pharmacologique comme l’oxygénation, la réanimation et la décontamination du blessé et de son environnement.

La décontamination immédiate de la peau par des produits à bas d’oximes peut préserver la survie des victimes en prévenant la progression des effets nocifs associés à l’intoxication. La décontamination des surfaces (peau, vêtements, matériels… limite les transferts de contamination au  personnel médical et/ou aux personnes présentes. La décontamination immédiate ou d’urgence peut être réalisée par de la décontamination sèche assurée par Decpol ABS® [1].   Le produit  DesDec peut, quant à lui, décontaminer l’environnement.  Au niveau pharmacologique le traitement consistera en (1) l’administration d’un d’anticholinergique comme l’atropine); (2) l’administration d’anticonvulsivants (habituellement le diazépam ou l’avizafon) ; et (3) l’utilisation d’agents réactivants représentés par des réactivateurs AChE (appelés oximes). Cependant, comme nous l’avons mentionné précédemment, il semble que les oximes ne seraient guère efficaces, puisque l’intermédiaire formé entre le site actif de l’AChE et de l’agent A rend plus difficile l’initiation de l’attaque nucléophile par les réactivateurs. La piste des « bioscavengers »  doit également être étudiée pour traiter l’intoxication par l’agent A : non sélectifs ils peuvent inactiver les agents A circulants dans le flux sanguin.

Conclusion

Près de trente ans se sont écoulés depuis que les premières informations sur les mystérieux composés, appelés Novichoks, ont été révélées.  Des données exactes et fiables font toujours défaut et beaucoup restent encore de l’ordre des hypothèses.  Dans tous les cas, ces produits représentent une menace sérieuse et des études sur des produits synthétisés devraient être menées pour mettre au point des méthodes de détection et des antidotes.

Il serait aussi urgent de renforcer les réglementations et les vérifications internationales en incluant les agents A et leurs précurseurs dans la liste l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques.