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Les brûlures chimiques

Les forces de sécurité chargées de maintenir l’ordre pendant les manifestations qui secouent notre pays, ont peut-être été la cible de jets de produits corrosifs comme des acides forts.  C’est l’occasion pour nous de faire le point sur les brûlures chimiques : comment les produits agissent ils, quelles sont les prises en charge d’urgence, quels sont les traitements ?

Un peu d’histoire

D’un côté il y a les expositions accidentelles à des produits corrosifs ménagers (acides forts pour détartrer, bases fortes pour déboucher les canalisations ou nettoyer les fours…), ou à des produits professionnels sur le lieu de travail comme l’acide fluorhydrique (industrie pétrolière, verrerie, métallurgie, uranium), les acides pour batteries, l’eau de Javel…. Les enfants sont généralement victimes de brûlures au sein du milieu familial pendant leur phase dite « d’exploration ». Le contact direct enfant-produit est parfois évident (contact peau ou oeil) mais il peut parfois être caché lorsque le produit a été ingéré. Les adultes sont victimes à la fois à la maison et sur leur lieu de travail.

D’un autre côté, des brûlures peuvent apparaître à la suite d’agression par jet d’acide par exemple. Ces manifestations violentes sont connues depuis le milieu du XIXe siècle mais sont en forte recrudescence. Auparavant connues sous le nom de « crimes d’honneur », elles peuvent être le fait d’hommes jaloux ou de femmes enceintes hors mariage (moins fréquent).

Actuellement, d’autres types d’agressions voient leur nombre augmenter :  en 2016 en grande Bretagne, 700 cas dont 431 Londres ont été recensés. Ils sont la conséquence de rivalités entre gangs et de la délinquance : les hommes sont plus fréquemment atteints que les femmes contrairement aux cas précédant. En juin 2017, une infirmière britannique de 47 ans est morte après avoir été aspergée d’acide. Elle a succombé à une septicémie.

En Europe, le nombre de victimes brûlées ou défigurées a explosé depuis dix ans. Plus de  2 600 attaques à l’acide ont été perpétrées entre 2015 et 2018, soit deux en moyenne chaque jour.

En France, 4 américaines ont été agressées à la gare St Charles de Marseille en 2017 et 3 personnes dans le métro parisien en février 2019. Cette arme, accessible à tous et en vente libre a pu être utilisée contre les forces de l’ordre pendant les manifestations violentes hebdomadaires qui se déroulent actuellement en France.

Quels sont les produits corrosifs les plus souvent mis en cause ?

Physiopathologie

Nature de la brûlure

Les brûlures chimiques sont rares (1 à 2 % des brûlures) et le plus souvent oculaires (50 % des brûlures chimiques).

Contrairement à une brûlure thermique, la brûlure chimique poursuit son évolution tant qu’elle n’est pas chimiquement neutralisée. Le danger est de ne réaliser qu’un traitement simple, non spécifique de l’agent causal menant à  un risque accru de toxicité systémique (par passage cutané ou par inhalation).

La gravité de la brûlure chimique est directement liée à :

Mécanismes d’action

Six mécanismes prédominent :

Les brûlures par les acides

Les mécanismes d’action principaux des brûlures par les acides sont la déshydratation, la coagulation des protéines et la réaction exothermique. Les lésions sont le plus souvent bien délimitées et peu profondes avec une nécrose sèche d’où une exsudation moindre, un risque d’infection diminué et une détersion lente. Dans 76 % des cas, les brûlures chimiques sont causées par l’acide sulfurique ou nitrique.

Les brûlures par les bases

Elles agissent par destruction des protéines et du collagène avec déshydratation cellulaire et dégagement calorique. Les lésions sont des nécroses de liquéfaction avec modifications irréversibles de la matrice protéique et dommages vasculaires locaux ou généraux. Les pertes liquidiennes sont très importantes. Les atteintes oculaires sont très graves.

Les principaux agents responsables sont la soude caustique NaOH et l’ammoniac NH4OH qui dégage des gaz très irritants.

Dans l’ensemble, les agents alcalins sont plus toxiques que les agents acides, en raison de la destruction irréversible des protéines.

Prise en charge

Peau

Enlever les vêtements et tous les objets contaminés comme les bagues et autres bijoux.

Il est nécessaire d’enlever le plus rapidement possible le produit corrosif de la peau. Comme nous l’avons déjà lu dans le blog sur la décontamination sèche [1], l’absorption du produit par un support absorbant à sec permet de réduire considérablement les effets néfastes du produit ne serait-ce que pour éviter l’étalement du produit. En revanche, l’irrigation avec de l’eau est indispensable.

On parle souvent de  la règle des trois 15. On lisant les différentes publications on s’aperçoit que le nombre de 15 est bien supérieur à 3 !

Ne pas utiliser de produits neutralisants comme un produit basique pour neutraliser de l’acide ou inversement.

Lorsque le fluorure d’hydrogène est en cause, un traitement spécifique est possible associant un lavage précoce et prolongé à l’eau et l’administration de gluconate de calcium. Le gluconate peut être administré en gel à 2,5 % ou en injection sous cutanée à 10 % (0,5 mL par cm2 de surface brûlée) dans les zones brûlées. En cas de nécrose, une excision chirurgicale sera réalisée.

Oeil

Lorsque l’œil est atteint son rinçage soigneux à l’eau, y compris sous les paupières est primordial.

A noter la place très discutée de la Diphotérine ® comme décontaminant de la peau et des yeux. Ce produit est amphotère et hypertonique mais nous ne connaissons pas sa composition. Son hypertonicité empêcherait le produit chimique de pénétrer dans les tissus. Il aurait une vertu analgésique certaine et rapide. Son énergie de liaison chimique avec les agents serait supérieure à celle des récepteurs tissulaires. Il agirait sur les produits chimiques par le biais d’une réaction non exothermique. Cependant, les études scientifiques montrent une absence de données objectives démontrant la supériorité de la Diphotérine ® sur le lavage à l’eau. Ce produit n’a pas le statut de médicament mais seulement de dispositif médical et son efficacité clinique n’a pas été prouvée.

Pour être complet, face à une brûlure chimique, quelle que soit la dilution de l’agent causal, la durée et/ou la surface de contact, il faut toujours se poser la question du risque de toxicité systémique. Dès la prise en charge, il faudra traiter l’agent causal de façon spécifique, après avoir pris contact avec un Centre AntiPoison.

Le tableau suivant issu de la référence 5 fait un bon bilan des lésions et des effets toxiques des produits courants

 

Ingestion

Lors une ingestion, pas d’agents émétiques ni neutralisants qui pourraient aggraver la situation.

Dans le cas de l’ingestion de piles bouton (surtout par les enfants),  elles sont susceptibles de laisser échapper des produits alcalins provoquant des brûlures locales, généralement œsophagiennes. Cela nécessite une prise en charge endoscopique et un suivi radiographique  Un retrait précoce est fortement recommandé. Si la pile est passée à travers le pylore, il faut attendre patiemment et surveiller son apparition dans les selles.

Intérêt des lingettes [2] Decpol ABS®

Les lingettes Decpol ABS® ont un intérêt primordial pour limiter la propagation des produits chimiques sur les vêtements et sur la peau. Ces systèmes permettent d’éviter l’étalement et stoppent la pénétration des produits chimiques au niveau cutané. La simplicité d’utilisation et le faible encombrement, en particulier des lingettes Decpol ABS® , permettent d’être efficace en intervenant rapidement : c’est facteur clé pour limiter la gravité des lésions chimiques. Notons que la lingette fait partie du « Kit de protection d’urgence [3]« .

 

Bibliographie

1- Angéline Plebanskyj. Attaques à l’acide. Éviter le pire grâce à un geste simple. (https://www.alternativesante.fr/fre/22/article/journaux/achat_journaux/56/4547 [4])

2- Tess B. VanHoy, Michael H. LeWitt, Bhupendra C. Patel. Chemical Burns. NCBI Bookshelf. A service of the National Library of Medicine, National Institutes of Health. StatPearls [Internet]. Treasure Island (FL): StatPearls Publishing; 1 mars 2019.

3- A. Breden, J. Laguerre. Brûlures chimiques cutanées ; mécanismes et prise en charge. Le point du vue du brûlologue.

www.toxicologie-clinique.org/stc2009/conferences/breden.htm [5]

4- F. Testud.  Brûlures chimiques cutanées et oculaires : mécanismes et prise en charge
Le point de vue du toxicologue. http://toxicologie-clinique.org/stc2009/conferences/testud.htm [6]

5- E. Bourgeois, MR Losser. Brûlures graves. Chapitre 72. SFMU, SAMU