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Temik et autres carbamates

La presse nous révèle qu’à l’annonce de son verdict, un condamné a fait une tentative de suicide en ingurgitant un produit toxique qu’il avait caché dans ses vêtements.

Le procureur d’Amiens indique que « Le produit ingéré (…) est un pesticide appelé le Temik ».

C’est un produit extrêmement dangereux dont la commercialisation est strictement réglementée sur le territoire français et européen et qui a des effets à la fois sur le système nerveux et le système cardiovasculaire ».

C’est pour nous l’occasion d’étudier plus en détail ce produit toxique.

Le principe actif

Le principe actif du Temik 10 G est l’Aldicarbe ou methyl-2(methylthio)-2-propionaldehyde Omethylcarbamoyloxime.  Cette substance appartient à la famille des carbamates.

Elle est utilisée pour ses propriétés insecticides et nématicides. C’est un solide cristallin incolore ou blanc à odeur légèrement soufrée.

Pratiquement non volatil, lipophile et soluble dans les solvants organiques.

Formule générale d’un carbamate

Le produit est modérément soluble dans l’eau et il est facilement retenu par les matières organiques su sol provoquant une toxicité environnementale importante.

Formule de l’Aldicarbe

L’aldicarbe présente une analogie structurale avec l’acétylcholine.

Formules comparées Aldicarbe, Acétylcholine

Mode d’action

L’Aldicarde est rapidement métabolisé en sulfoxyde et sulfone d’aldicarde. Ces 3 produits sont des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase. La molécule se positionne sur le site actif de l’enzyme en empêchant l’accès à l’acétylcholine qui n’est donc pas hydrolysée. Nous avons déjà décrit ce phénomène pour les organophosphorés [1] mais dans le cas des carbamates, la fixation est spontanément réversible (in vitro demi-vie de 30 à 40 minutes)

Il provoque rapidement une inhibition réversible (en quelques minutes à 6 heures, le plus souvent en 2 heures) de l’activité acétylcholinestérase du système nerveux et des tissus.

Fixation de l’Aldicarbe sur l’acétylcholinestérase

Le carbamate se fixe sur le site anionique de l’acétylcholinestérase grâce à son N+ puis la molécule est scindée et occupe le site actif de l’enzyme. L’inhibition compétitive au niveau du site actif par carbamylation du site actif est réversible contrairement aux organophosphorés qui, en se fixant par phosphorylation, produisent des liaisons covalentes fortes.

Toxicité

L’absorption digestive est très rapide et quasi-complète ce qui en fait une molécule de choix pour le suicide. Grâce à la lipophilie, la pénétration percutanée est bonne. Il peut y avoir une toxicité respiratoire (poussières, aérosol). La toxicité intrinsèque est très élevée. Il n’est ni génotoxique, ni cancérogène.

On doit distinguer les effets toxiques aigus des effets chroniques

            Toxicité aigue

En cas d’intoxication légère on observera de la fatigue, une faiblesse, des étourdissements et une vision trouble. Si l’intoxication est plus importante apparaîtront des céphalées des sueurs, des larmoiements et des vomissements. Dans les cas sévères il y a des crampes intestinales, incontinence, diarrhée, hypersalivation, bradycardie, myosis et des difficultés respiratoires pouvant mener à la mort.

            Toxicité chronique

Les expositions répétées peuvent mener aux symptômes décris ci-dessus.  Il n’y a pas d’accumulation du produit dans l’organisme.

L’ensemble des signes cliniques est regroupé dans un Toxidrome [2] nommé « syndrome cholinergique ».

L’albicarde et ses métabolites passent rapidement dans l’urine et une petite partie est éliminée par la bile.  

Premiers secours

En cas d’inhalation il est souhaitable d’amener la personne dans un endroit aéré et la mettre sous respiration artificielle. En cas de contact avec les yeux un lavage avec de l’eau pendant au moins 5 minutes, ou jusqu’à élimination complète eu produit permet d’ôter le produit. En cas de contact avec la peau on peut décontaminer avec de l’eau.

Après une ingestion, la bouche doit être rincée et il faut prévenir immédiatement le centre antipoison ou un médecin.

Traitement

L’antidote de première intention est l’atropine [3] à très forte dose par son action antagoniste sur les récepteurs postsynaptiques à l’acétylcholine. L’utilisation de Pralidoxime est déconseillée pour les intoxications au carbamate.

L’amélioration clinique des patients est généralement consécutive à la régénération spontanée des cholinestérases. Un cas non mortel est rapidement réversible.

Utilisation

Produit phytosanitaire [4] utilisé comme pesticide depuis 1965. Interdit dans l’Union Européenne, la France a bénéficié d’une dérogation jusqu’en 2007 pour la betterave à sucre et la vigne. Il n’est pas impossible que des stocks aient été constitués pour une utilisation frauduleuse.

Cas cliniques

Nous rapporterons ici quelques cas cliniques caractéristiques.

Un couple présentant des signes de crise cholinergique a été admis à l’hôpital. Les analyses par chromatographie liquide à haute performance et par chromatographie en phase gazeuse – spectrométrie de masse sur le sérum, l’urine et le contenu de l’estomac prélevés quelques heures après les premiers symptômes, ont révélé la présence de l’Aldicarbe. Une tentative de meurtre a été soupçonnée parce que les patients ont montré les premiers signes quelques minutes après avoir bu du café en rentrant chez eux et aucun produit commercial contenant de l’Aldicarbe n’a été retrouvé dans la maison. En raison de la réversibilité de l’inhibition de l’acétylcholinestérase, les patients se sont rétablis après un traitement par l’atropine et la Toxogonine. Ils ont quitté l’hôpital après 12 jours.

Une fillette de 7 mois a ingéré de la poudre d’Aldicarbe destinée aux plants de roses. Les signes comprenaient un myosis, des contractions musculaires, des sécrétions excessives, une évacuation spontanée de la vessie et des intestins, des convulsions et une cyanose nécessitant une respiration assistée. Au total, 105.6 mg d’atropine ont été administrés ; la récupération a été complète et l’enfant est sorti de l’hôpital au 6e jour.

Un groupe de Californiens est tombé malade après avoir mangé de la pastèque lors d’un pique-nique à l’occasion d’une fête. … Sur 1 300 plaintes, 638 cas d’empoisonnement à l’Aldicarbe ont été jugés « probables » et 344 « possibles »… Un enfant a présenté des crises d’épilepsie, une femme d’âge moyen a failli mourir et un enfant est mort-né suite à cet empoisonnement.

D’innombrables cas d’empoisonnements d’animaux ont été rapportés.

Les carbamates, armes chimiques ?

La classe générale des produits chimiques à base de carbamate présente une large gamme d’écotoxicités et de toxicités, allant d’une toxicité très légère à des effets neurotoxiques sévères voire mortels.

Deux familles de carbamates dotés de groupes amine chargés positivement (l’une contenant un groupe carbamate, l’autre en contenant deux) ont été récemment proposés à l’interdiction dans le cadre de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques.

Les carbamates se lient moins avec l’acétylcholinestérase que ne le font les organophosphorés, faisant qu’ils sont plus facilement éliminés de l’organisme. Le sous-groupe des produits contenant un ou deux carbamates et qui contiennent deux amines quaternaires chargées positivement a des propriétés particulières, il est probable que ces amines ont été ajoutées volontairement pour accroître la capacité de ces molécules à pénétrer dans la jonction neuromusculaire afin d’exacerber l’effet inhibiteur de l’acétylcholinestérase. La proposition n°4 de la 1ère proposition de mise à jour des annexes de la CWC (1993) porte sur ces deux sous-groupe de carbamates (une décision est attendue pour novembre 2019).

Phrases H

H300 – Mortel en cas d’ingestion

H311 – Toxique par contact cutané

H330 – Mortel par inhalation

H410 – Très toxique pour les organismes aquatiques, entraîne des effets néfastes à long terme

Interdiction par l’Union Européenne

Depuis 2003 l’Aldicarbe – directive 2003/199/CE- n’est pas inscrit dans l’annexe I de la directive 91/414/CEE : il ne peut donc pas entrer dans la composition des préparations phytopharmaceutiques commercialisées sur le territoire de l’Union européenne (délai dérogatoire en France sur vigne et betteraves à sucre, avec une interdiction à la vente après le 30 avril 2007, et interdiction à l’utilisation après le 31 décembre 2007.

Ce délai supplémentaire a pour objet de permettre l’élaboration d’une solution efficace pour remplacer la substance concernée, dans les cas où leur emploi ne présente pas de risque inacceptable, et où leur retrait provoque une impasse technique présentant un enjeu économique particulier.

Les propriétés toxicologiques et écotoxicologiques sont prises en compte pour ces interdictions.

Carbamates et médicaments

Les carbamates ont été les premiers anxiolytiques mis sur le marché. Cette classe médicamenteuse est en effet apparue dès 1950 mais elle a été progressivement supplantée par les benzodiazépines.  

Les carbamates, agiraient au niveau des récepteurs des neurotransmetteurs GABA. C’est le cas de l’Equanil® IM (méprobamate) dont l’action était rapide mais de courte durée.

Il était utilisé pour ses propriétés myorelaxantes et anxiolytiques, notamment pour le sevrage alcoolique. Il a été retiré du marché français en janvier 2012.

Les traitements médicamenteux ne sont actuellement pas capables de guérir la maladie d’Alzheimer. Ils ne permettent pas d’arrêter totalement son évolution.

Quatre médicaments dont 3 inhibiteurs de l’acétylcholinestérase sont actuellement sur le marché. Ils ont pour but de traiter certains symptômes du malade mais ils n’empêchent pas la progression de la maladie. Les médicaments sont le Donépézil (Aricept), la Rivastigmine (Exelon), la Galantamine (Reminyl) et la Mémantine (Exiba).

Les 3 premiers médicaments sont des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase. L’acétylcholine est très diminuée dans la maladie d’Alzheimer. Ainsi les, les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, en empêchant la dégradation du neurotransmetteur permettraient d’augmenter sa quantité au niveau du point de jonction entre deux neurones : la synapse.

Néanmoins ces produits exposent à des troubles digestifs dont des vomissements parfois graves, des troubles neuropsychiques, des troubles cardiaques, dont des bradycardies, des malaises et des syncopes, et des troubles de la conduction cardiaque. En plus, le Donépézil expose aussi à des troubles sexuels compulsifs.

Il a été montré que leur efficacité est minime et transitoire. Ils sont peu maniables en raison d’effets indésirables disproportionnés et exposent à de nombreuses interactions. Aucun de ces médicaments n’a d’efficacité démontrée pour ralentir l’évolution vers la dépendance et ils exposent à des effets indésirables graves, parfois mortels. Or ils sont utilisés en traitement prolongé et impliqués dans des interactions dangereuses. L’important est de se concentrer sur l’aide à l’organisation du quotidien, le maintien d’activité, l’accompagnement et l’aide de l’entourage. C’est pourquoi, la revue  « Prescrire » conseille d’écarter des soins ces inhibiteurs de l’acétylcholinestérase.

La myasthénie est une pathologie de la transmission neuromusculaire. Elle résulte du blocage ou de l’altération des récepteurs nicotiniques post-synaptiques dans le contexte d’un processus auto-immun. Elle se traduit par une symptomatologie neurologique à type de fatigabilité musculaire variable tant par sa localisation que par sa sévérité. 

Trois médicaments sont actuellement disponibles :  la Pyridostigmine,  la Néostigmine et l’Ambénonium, tous des inhibiteurs de l’acétyl-cholinestérase.

Ils prolongent et augmentent les effets muscariniques et nicotiniques de l’acétylcholine à savoir l’intensité et le rythme des contractions des fibres musculaires.

Conclusion

Si l’Aldicarbe n’est plus autorisé dans les formulations phyto-pharmaceutiques la tentative de suicide qui vient de se produire nous montre clairement que le produit toxique circule encore d’une manière illégale.

Des cas d’empoisonnements sont encore décrits çà et là dans la littérature médicale et c’est pourquoi les urgentistes sont confrontés à ce type de toxidrome cholinergine, la difficulté pour eux étant de distinguer un empoisonnement dû à un organophosphoré et celui dû à un carbamate, la posologie d’atropine devant être largement augmentée dans le second cas alors que l’utilisation de pralidoxime peut se révéler être néfaste.

Sans oublier que les carbamates peuvent être utilisés comme arme chimique

Bibliographie

1°) Empoisonnement à l’Aldicarbe : symptomatologie des intoxication aux inhibiteurs de l’acétylcholinestérase de type carbamate. R. Blondet et al. 2012, Ann. Fr. Med. Urgence, DOI 10.1007/s13341-012-0206-9

2°) Répertoire toxicologique, Aldicarbe CAS : 116-06-3

3°) Wikipédia, Carbamate Consulté décembre 2019

4°) Revue « prescrire ». Bilan 2020 des médicaments à écarter/