Nous avons eu l’occasion à plusieurs reprises dans ce blog de parler de la guerre biologique. Une revue intéressante vient de paraître sur ce sujet et c’est l’occasion pour nous de faire un point sur nos connaissances actuelles concernant cette menace NRBCE.
Historique
Le premier à avoir utilisé l’arme biologique est sans aucun doute le général carthaginois Hannibal qui, 200 ans avant J.-C. faisait lancer sur le pont des navires ennemis des pots d’argile remplis de serpents. L’effet de surprise était total et les marins devaient se battre contre un ennemi supplémentaire : les reptiles.
L’utilisation de ce qu’on pourrait appeler la « macrobiologie » a été suivie par celle de la « microbiologie », beaucoup plus sournoise car d’aspect invisible à l’œil nu. L’invention de la catapulte a permis l’envoi d’excrétas humains, voire de corps entiers contaminés par la peste comme ce fut le cas par Djanisberg, projetant des cadavres de pestiférés par-dessus les murailles de Jaffa assiégée par les tatars en 1347 dans le but de faire fuir les Génois. Il est dit qu’en prenant la mer ils auraient propagé la peste dans toute l’Europe sous la forme de la terrible « peste noire » qui a décimé près de la moitié de la population européenne de l’époque. Il est néanmoins difficile de croire que ce sont les cadavres pesteux qui ont introduit la maladie dans la citadelle, la peste étant transmise par les rats et leurs puces, certainement présents en grande quantité dans la ville assiégée, cohabitant avec la population génoise.
Un autre fait bien connu est la distribution de couvertures contaminées par la variole en 1764, aux indiens des alentours de Fort Pitt, par le général en chef britannique Amherst, dans le but de répandre sciemment la maladie et les éliminer. Les indiens furent décimés et même si on continue à raconter cette histoire, la réalité scientifique est très certainement toute autre car les maladies infectieuses se répandaient rapidement à l’époque dans une population vierge d’immunité contre les maladies du vieux continent.
Un grand nombre d’autres exemples de ce type pourraient être cités ici.
Les armes biologiques
Les agents des armes biologiques sont des micro-organismes vivants (bactéries, virus, champignons…) ou des toxines issues de microbes, entraînant la maladie ou la mort des êtres humains, des animaux ou des plantes. Les micro-organismes vivants se multiplient chez leurs hôtes et si la maladie est contagieuse elle se répand dans toute la population sensible. Quant aux toxines, elles sont inertes mais leur pouvoir toxique est infiniment plus important que celui des toxines chimiques. L’apparente facilité à produire et à se servir de micro-organismes infectieux fait qu’un grand nombre d’états ou de groupes non étatiques ont rêvé, ou rêvent encore, de posséder un arsenal biologique. Malheureusement pour eux, si plus de 12 000 agents infectieux sont potentiellement utilisables, très peu d’entre eux possèdent les caractéristiques leur permettant d’être réellement efficaces : haut pouvoir infectieux, grande virulence, pas de traitement ni de vaccins disponibles et surtout, moyen de dissémination (militarisation) efficace. A cet aspect de maladie infectieuse se répandant dans la population, on ajoute maintenant les notions d’armes biologiques dirigées contre les cultures, le bétail, les poissons…,voire une arme antipersonnel (rappel du parapluie bulgare). Les insectes peuvent aussi être considérés eux-mêmes comme une arme biologique. La panique générée par une telle arme doit aussi être prise en considération.
Caractéristiques de l’arme biologique
Haut pouvoir infectieux, grande virulence, non-disponibilité des vaccins ;
Une faible quantité peut produire de grands effets grâce à la multiplication du germe dans la population ;
Petite taille facilitant la dissimulation et le transport.
L’agent doit également être capable de conserver son pouvoir infectieux et la virulence pendant une longue période.
Rappelons qu’ une arme chimique ou biologique est composée d’une agent toxique et du moyen de dispersion adéquate (militarisation). Pour l’arme biologique, les systèmes de distribution et de contrôle de la propagation actuellement développés ne permettent pas de la classer dans les armes de destruction massive (ADM) mais plutôt comme arme de désorganisation massive.
Modifications génétiques
L’utilisation des outils génétiques peut conduire à la création de nouveaux germes ; c’est la « guerre biologique génétique ». Elle serait caractérisée par les effets suivants : rendre les vaccins inefficaces en modifiant les antigènes ayant servi à l’immunisation, rendre les bactéries résistantes à tous les antibiotiques ou les virus résistants à tous les antiviraux, augmenter artificiellement la virulence d’un microbe, rendre pathogène un germe avirulent, augmenter la transmissibilité d’un germe pour que l’infection se répande plus facilement dans la population, modifier la gamme des hôtes habituels d’un germe pour le rendre pathogène chez un hôte habituellement insensible, rendre le germe indétectable et non identifiable avec les moyens existants. La principale innovation concernant la biologie synthétique est sans conteste le système CRISPR/cas9, représentant une sorte de « biologie noire ». Il permet de produire du matériel génétique mortel à partir des virus. Nous avons déjà parlé de ce qui pourrait représenter une véritable menace.
Il est donc plus que jamais nécessaire de travailler sur les systèmes de détection, les équipements de protection individuel, les contre-mesure médicales comme la mise au point de nouveaux antibiotiques ou vaccins.
L’attaque biologique
Il est nécessaire de connaître les indices épidémiologiques courants qui peuvent annoncer une attaque biologique ; l’apparition d’une maladie causée par un germe peu couramment rencontré, un agent génétiquement modifié, des taux de morbidité ou de mortalité anormalement élevés, l’apparition anormale d’un point de vue géographique ou saisonnier d’une maladie connue, une maladie endémique dont les cas augmenteraient d’une manière trop importante. Il faudra aussi considérer comme suspect les cas de transmission généralement rares comme les aérosols, la nourriture ou l’eau ou la contamination par un système de ventilation connu n’ayant jamais connu de problèmes auparavant, une maladie rare touchant une grande population ou un groupe d’âge en particulier.
Le diagnostic d’une attaque biologique reposera donc sur des éléments épidémiologiques, cliniques et des examens de laboratoire. Les moyens de détection et d’identification font actuellement l’objet d’intenses recherches dont nous parlerons dans un prochain article.
La surveillance
Un système efficace de surveillance doit être mis en place, impliquant le secteur médical et tout particulièrement les cliniciens, les experts de la santé et les vétérinaires. L’un des principaux problèmes est que, partout dans le monde, il peut apparaître des maladies infectieuses émergentes d’origine inconnue, pouvant être, comme tout phénomène épidémique classique, confondu avec une attaque terroriste. Une identification rapide du germe aiderait à mettre en route rapidement les mesures prophylactiques et antibiotiques adéquat.
Avantages et inconvénients
Elle peut être produite rapidement et son coût est modéré. Disséminée sur une grande zone elle pourrait entraîner une grande morbidité ainsi qu’une grande mortalité surtout si la transmission d’une personne à l’autre est facile. On peut imaginer que les ravages psychologiques et la panique empireraient l’aspect purement infectieux.
Conclusion
Les grands organismes militaires de recherche comme l’unité 731, ont mis énormément de moyens sur le thème des armes biologiques avec un grand nombre de moyens financiers et humains. La militarisation menant à une arme de destruction massive est très difficile, en revanche les expérimentations diverses montrent que l’utilisation terroriste est tout à fait possible.
Il est habituel de dire que la première guerre mondiale fut chimique, la seconde, nucléaire et la prochaine…biologique.
Bibliographie
Shringarpure KS and Brahme K, biowarfare: where do we stand ? Int. J. Com. Med. Public Health, 2018, 10, 4637-4640.
La guerre des microbes : de l’antiquité au 11 septembre 2001. Jean Freney et François Renaud Editions ESKA