Dans l’histoire du NRBCe, celle du feu grégeois n’est pas facile à résumer. Un grand nombre de textes anciens montrent son existence mais des difficultés de traduction brouillent un peu le message historique. Ce qui est certain c’est que c’était une arme redoutable dont la composition est restée très longtemps mystérieuse. Comparable un peu à un lance-flammes, il a été détrôné par la poudre à canon dont il est un peu le précurseur.
Histoire du NRBCe : feu grégeois, greek fire, feu de mer, feu romain, feu de guerre, feu liquide, feu mède, feu collant…dans tous les cas, c’était un produit incendiaire redoutable !
Qui a utilisé le feu grégeois ?
Les Spartiates (Spartes VIIIe siècle av. J.-C. au IIe siècle av. J.-C ) utilisent un mélange de poix (produit de la distillation de résines d’arbre ou d’asphalte servant d’enduit imperméabilisant et inflammable) et de soufre pour incendier les agglomérations. Les Grecs rajoutent du naphte (affleurements de pétrole par des failles) ou du pétrole. En 424 av. J.-C. Thucidide rapporte l’utilisation de lance-flammes pendant le siège de Délion (guerre du Péloponnèse en 424 av. J.-C.). En 515 l’empereur byzantin Anastase 1er a maté la rébellion de Vitalien grâce à un mélange à base de soufre mais le vrai développement du produit se fera en 673.
En 673, lors du siège de Constantinople sous le règne de Constantin III, l’architecte et ingénieur Callinicus, transfuge Syrien s’enfuit de son pays et rejoint les byzantins en leur apportant son invention « le feu grégeois ». La flotte musulmane est brûlée et ils se dégagent du siège de Constantinople.
Les Sarrasins (musulmans à l’époque médiévale), lancent des tonnelets enflammés sur les galères chrétiennes.
Principalement utilisé dans les batailles navales (les bateaux étaient en bois), il a aussi servi sur terre pour défendre Constantinople lors des deux sièges arabo-musulmans de Constantinople (en 674-678 et en 717-718). Cette arme joua un rôle majeur dans la victoire byzantine. L’arme faisait peur car les soldats en armure préféraient la noyade en se jetant à l’eau plutôt qu’affronter le feu.
Rien n’éteint le feu, ni l’eau, ni le sable, ni le crottin de cheval…Plongé dans l’eau il réapparait à la surface « l’eau nourrit le feu au lieu de l’éteindre ». Ceci correspond à la description d’un produit pétrolier comme le naphte courant au proche orient à cette époque. Ce fut une arme majeure dans les mains de l’empire romain d’orient (l’empire romain d’occident disparait en 476 et l’empire romain d’orient (Byzance) en 1453 avec la prise de Constantinople par les ottomans soit 1 000 ans après, en partie grâce au feu grégeois). Dans la composition on trouve un mélange de matières grasses et de combustibles dont l’allumage est facilité par le soufre – résine, poix, naphte, colophane (distillation térébenthine). Pour le lancer on utilisait balistes, trébuchets, mangonneaux, catapultes et autres grandes arbalètes. On enflammait le tonnelet avant de le projeter. Sur mer, on équipait des brûlots qu’on lâchait sous le vent. La mise sous pression dans des siphons permettait de projeter le liquide enflammé sur l’ennemi.
Le produit a aussi été utilisé pendant les croisades et en particulier pendant le siège de Jérusalem en 1099, et surtout de Saint Jean d’acre en 1149 et 1191 .Les chroniqueurs tant arabes que chrétiens rapportent ces faits. En 1203, la IVe croisade partie de Venise en 1202 affronte pour la dernière fois le feu grégeois lors du siège de Constantinople car les byzantins ont perdu les territoires dont étaient issus les matières premières nécessaires à sa fabrication.
Les différents feux grégeois
Il semble qu’il y ait eu 2 types de feu grégeois. Le premier appelé feu « liquide » (naphte), était lancé à partir de la proue des navires par un tube d’airain. Des petits tubes emplis de feu qu’on lançait à la main, des pots plein de feu qui, en se cassant enflammaient les navires. On pouvait s’en protéger par induction de talc. D’une manière concomitante, un autre type de feu dite « forme sèche » était utilisé. On y avait ajouté du « pulvérin », un produit nitré à base de salpêtre. L’innovation était majeure ! Elle permettait de transformer le feu « flambant » des Grecs par du feu « fusant » plus redoutable. Les proportions des différents composants étaient alors les suivantes : 12.5 parties de charbon, 12.5 de soufre et 75 de salpêtre (poudre noire). On faisait des fusées incendiaires en disposant dans un bâton de roseau 1 partie de colophane, une partie de soufre et 2 parties de salpêtre. En mettant le feu, le bâton s’envolait pour incendier sa cible.
L’une des propriétés surprenantes de cette arme était que la flamme, qui normalement va de bas en haut, pouvait être dirigée y compris de bas en haut ! Ce phénomène bien connu maintenant est dû à l’utilisation d’un comburant tel que le salpêtre.
Qui a inventé le feu grégeois ?
L’ouvrage latin le plus ancien décrivant la formule du feu grégeois est celui de l’alchimiste Marcus Graecus « Liber ignium ad comburendos hostes »… ou Traité des feux propres à détruire les ennemis… ». On pense que cet auteur a vécu vers le IXe siècle. Pour la recette du feu grégeois il cite « soufre vif, tartre, sarcocolle (résine), poix, sel cuit (salpêtre ?), huile de pétrole, huile commune. En revanche il détaille aussi la composition des fusées et des feux volants dans laquelle le salpêtre est clairement nommé.
Le salpêtre est indispensable car, une fois enflammé il continue de brûler quelle que soit la vitesse du projectile, sans contact avec l’air (et même sous l’eau) et il n’est éteint qu’avec extrêmes difficultés.
Qui est à l’origine de cette nouveauté ? Callinicus prétend que c’est lui, d’autres soutiennent que ce sont les chinois qui utilisaient le salpêtre depuis l’an 1 000 dans des fusées et des feux d’artifice. Mais comme ceux-ci ignoraient encore l’emploi des canons et des armes à feu au XIIIe siècle on doute alors qu’ils aient pu l’utiliser pour faire du feu grégeois. Peut-être sont-ce les arabes eux-mêmes, mais là encore rien n’est moins sûr.
L’importance de cette découverte est telle qu’elle a été attribuée à « l’intervention divine ». L’empereur Constantin VII porphyrogénète enjoint son fils et héritier Romain II de ne jamais révéler les secrets de la production de l’arme qui furent « montrés et révélés par un ange au grand et saint premier empereur chrétien Constantin » et que l’ange lui fit jurer « de ne préparer ce feu que pour les Chrétiens et seulement dans la cité impériale ».
Malheureusement, les Arabes s’emparèrent d’un navire incendiaire intact et de plusieurs siphons non incendiés. Ils ont donc percé le mystère de la substance mais n’ont jamais, apparemment, été capables de reconstituer la projection par les siphons. Ils se contentèrent des catapultes pour projeter le feu.
Nous n’avons aucune indication concernant la façon dont ils se sont procuré le salpêtre. Il semble que ce soit Callinicus au VIIe qui fut le propagateur de la découverte du salpêtre et de ses propriétés comburantes mais que les Grecs l’ont gardé secret. Peut-être des efflorescences salines retrouvées sur certains terrains et cavernes et décrites par Pline et Dioscoride ainsi que chez les alchimistes grecs, mais ces produits dont les noms varient fleur de natron, nitre…recouvrent un très grand nombre de sels comme les carbonate de soude, sulfate de soude, chlorure de sodium et… salpêtre.
Le secret a filtré au moment des croisades et les écrivains arabes le décrivent dès le XIIIe siècle.
Quelle est la composition du feu grégeois ?
Le fracas, la fumée et la distance de projection font penser à une décharge explosive et donc à la présence de salpêtre. Néanmoins, il semble que ce produit n’ait jamais été utilisé avant le VIIIe siècle et il est totalement absent des sources des meilleurs chimistes du monde méditerranéen que sont les arabes, avant le VIIIe siècle.
Le salpêtre (nitrate de potassium = nitre, se forme sur les murs). Le fait que le feu grégeois ne soit pas éteint par l’eau suggère une réaction explosive entre l’eau et l’oxyde de calcium déjà bien connu des Byzantins et des Arabes. Le simple contact avec l’eau permettrait d’allumer le feu grégeois. Cependant, des expérimentations poussées montrent que ceci n’explique pas l’intensité décrite.
Il semble donc que même si ces composants étaient présents, le pétrole brut ou raffiné devait obligatoirement faire partie de la composition. Les Byzantins y avaient accès grâce aux champs naturels de pétrole présents autour de la Mer Noire. Procope de Césarée (historien du VIe siècle) indique que du pétrole brut appelé « naphte » par les Perses est connu sous la dénomination « d’ huile mède » par les Grecs. Or le feu grégeois était aussi appelé « feu mède » ce qui corrobore ainsi la présence de pétrole dans la composition. L’ajout de résine permet d’épaissir le produit et de justifier le terme de « feu collant ». De plus, elle accroit la durée et l’intensité des flammes.
La fin du feu grégeois
A fur et à mesure que l’empire perd de sa puissance, il perd aussi l’emprise sur les endroits où se trouvaient les lieux d’approvisionnement de sa composition. La recette était jalousement gardée et les différents éléments étaient assemblés par des personnes différentes. Deux personnes seulement connaissaient la recette : le grand Dongaire (chef de la marine impériale) et le Basileus (l’empereur byzantin) La recette a été définitivement perdue avec l’empire byzantin en 1453.
Cette arme présentait cependant des faiblesses car elle ne pouvait s’utiliser que sur une mer calme dans des conditions de vent favorables. De plus, les siphons avaient une portée limitée ce que les musulmans avaient compris en gardant leur navire à bonne distance des navires incendiaires et en recouvrant les coques de peaux imprégnées de vinaigre seul capable avec le sable, d’éteindre les flammes.
Au XVIIIe siècle, on rapporte qu’Antoine Dupré, joailler a retrouvé la formule en expérimentant des produits pour son métier. Un ministre de Louis XV l’invita à la cour pour présenter son produit. Le roi choqué par une telle puissance aurait acheté à Dupré son invention afin qu’il ne dévoile pas son secret. Le joailler a été gardé par 2 agents le reste de sa vie qui se termina tragiquement 10 ans plus tard. Néanmoins, il semble que l’administration de la marine procéda à de essais dans le port du Havres en 1758 ou une chaloupe a été brûlée par une pompe à huile de naphte enflammée par une mèche allumée.
La poudre à canon découverte au XIVe siècle a remplacé le feu grégeois.
Bibliographie
– Le feu grégeois, un mystère. Historama, Mars 1971
– Lalanne Ludovic. Controverse à propos du feu grégeois. In : Bibliothèque de l’école des chartes. 1847, tome 8. pp. 338-346.
doi : 10.3406/bec.1847.452080
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/bec_0373-6237_1847_num_8_1_452080
– Toutain Jules. Le Feu grégeois. In : Journal des savants. Avril-juin 1953. pp. 77-80.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jds_0021-8103_1953_num_2_1_3183
– Le feu grégeois : arme de destruction massive
http://www.forumfr.com/sujet599588-le-feu-gregeois-arme-de-destruction-massive.html
– Les Compositions incendiaires dans l’antiquité et au moyen âge. M. Berthelot
Revue des Deux Mondes tome 106, 1890
– Le Livre des feux de Marcus Græcus1
Revue scientifique (Revue Rose) Numéro 15 tome XLVII – 11 avril 1891