De quoi est-il question ?
Nous avons déjà parlé dans ce blog des catastrophes industrielles d’origine chimique qui se sont déroulées dans le monde (1) : un petit rappel par ordre chronologique :
+ Explosion de la poudrerie de Grenelle à Paris 31 aout 1794, 150 tonnes de poudre, un millier de victimes ;
+ Coup de grisou dans une mine à Courrières le 10 mars 1906, 1099 morts ;
+ Feyzin 4 janvier, 1966, explosion suivie d’un incendie à la suite d’une fuite de propane, 18 morts ;
+ Seveso (Italie), 10 juillet 1976, fuite de dioxine. Pas de morts mais un épandage massif de dioxine, 15 000 personnes évacuées, 1 800 hectares de sol inoccupés pendant 10 ans et des conséquences financières très lourdes ;
+ Bhopal (Inde), 3 décembre 1984, fuite de 40 tonnes de méthylisocyanate (MIC), 3 828 morts et plus 20 000 dans les 20 ans qui suivirent ;
+ Toulouse, 21 septembre 2001, explosion de 400 tonnes de nitrate d’ammonium dans l’usine AZF, 30 morts ;
+ Tianjin (Chine) 12 août 2015 explosion dans une usine entreposant plusieurs types de matières dangereuses : carbure de calcium, diisocyanate de toluène, nitrates d’ammonium, de potassium et de sodium, ainsi que 700 t de cyanure de sodium. Cent soixante treize morts, 70 disparus (essentiellement des pompiers) ;
+ Beyrouth, 4 août 2020, explosion de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, 215 morts.
Autopsie d’une catastrophe industrielle : l’explosion de l’usine AZF de Toulouse
L’usine
L’usine AZF (Azote Fertilisant) appartenant au groupe TotalFinaElf employait 469 personnes et fabriquait des engrais azotés et des nitrates industriels à partir d’ammoniac synthétisé sur place et transformé en nitrate d’ammonium. Elle synthétisait aussi des dérivés chlorés utilisés dans le traitement de l’eau et de la mélamine, matière première de résines.
Rappel des faits : l’accident
Le 21 septembre 2001, l’usine AZF explose et ravage les quartiers sud de Toulouse (2). L’explosion creuse un immense cratère d’une quarantaine de mètres de diamètre et de 7 mètres de profondeur ? L’explosion a été entendue par des habitants de Castres à 74 kms et d’importantes retombées de poussières se produisent alors.
Le bilan humain
Le bilan est très lourd, puisqu’il fait état de 31 morts dont 21 employés du site et 2 500 blessés (2). Des personnes ont été tuées à distance de l’usine, dont un élève d’un lycée situé à 500 m, mort sous l’effondrement d’une structure en béton. Des milliers de personnes ont été hospitalisées (mutilations, éclatements de tympans, contusions d’organes (rate et foie), fractures ouvertes. Plus de 8 000 personnes ont consulté leur généraliste pour un stress aigu post-traumatique dans les semaines qui suivirent l’explosion et 5 000 personnes ont commencé un traitement psychotrope (anxiolytique, antidépresseur, hypnotique), afin, entre autres, de retrouver le sommeil.
Des perturbations d’ordre social liées à la destruction et la dégradation des logements, aux équipements collectifs, au chômage technique, à la perte d’emploi se sont ajoutées aux problèmes médicaux.
Le bilan matériel
L’usine AZF d’une superficie de 70 ha a été en grande partie dévastée.
Des dommages ont été observés dans les établissements industriels sur l’autre berge de la Garonne, dont des établissements classés SEVESO 2 : les 1 100 salariés de ces établissements ont été mis à l’arrêt. Heureusement, « l’effet domino » tant redouté, sur les nombreux stockages de produits chimiques présents à proximité (chlore, ammoniac, engrais, phosgène…) n’a pas eu lieu !
Les dégâts matériels ont été considérables : 25 000 logements détruits ou endommagés et 1200 familles à reloger d’urgence. Des édifices publics comme des établissements scolaires avec 82 écoles, 15 lycées et 4 établissements d’enseignement supérieurs ont été touchés.
Les vitres ont été brisées jusqu’à 7 kms.
Mille trois cents entreprises représentant 20 000 emplois ont été sinistrées à des degrés divers.
Enfin, les télécommunications ont été perturbées dans un rayon de 100 km, les lignes fixes et les réseaux de téléphones portables étant complètement saturés durant plusieurs heures après l’explosion.
D’après les assureurs, les dommages ont été évalués à près de 2 milliards d’euros.
Le bilan environnemental
Des polluants atmosphériques constitués d’acide nitrique (HNO3), d’ammoniac (NH3), de dioxyde d’azote (NO2) et de protoxyde d’azote (N2O), produits de décomposition du nitrate d’ammonium ont été libérés dans l’atmosphère. Les témoins ont souffert d’importantes irritations aux yeux et à la gorge.
Des rejets d’acides nitriques et de solutions azotées, et en particulier d’ammoniaque, ont pollué la Garonne. Plusieurs dizaines de kg de poissons ont péri empoisonnés.
Attentat terroriste ?
Le président de la République, Jacques Chirac et son premier ministre, Lionel Jospin, se sont rendus sur place le jour même. Survenant dix jours après l’attaque contre le World Trade Center à New York, l’explosion a pu laisser penser à un attentat terroriste. Cette thèse a été cependant rapidement écartée par les experts qui se sont orientés sur la piste de l’accident chimique.
L’origine de l’accident ?
Il ne fait aucun doute que l’explosion est due à la présence de 15 à 20 tonnes d’ammonitrates déchargés la veille dans le hangar. Nous avons déjà vu dans ce blog pourquoi le nitrate d’ammonium est si dangereux (4).
Comment expliquer l’explosion ? De nombreuses enquêtes ont été diligentées pour savoir quel a été l’élément déclencheur :
+ Causes externes non-intentionnelles : foudre, météorite, chute de pièce d’avion…toutes ces hypothèses se sont avérées infondées ;
+ Causes externes intentionnelles (attentat, missile), plausible dans le contexte des attentats du 11 septembre 2001. Aucun élément n’a pu étayer cette théorie ;
+ Incident de process : arc électrique ou effet missile d’une pièce projetée à grande vitesse. Ces hypothèses ont été rejetées ;
+ Réaction chimique accidentelle ; les nitrates impliqués étant pollués par des oxydes de fer, du soufre ou le bitume constituant le revêtement du sol du bâtiment 221 où ils étaient entreposés. Peut-être un mélange des nitrates avec du dichlorocyanurate de sodium = DCCNa (traitement des piscines) ?
Le 16 mai 2006, le rapport final des experts enquêteurs a accrédité la thèse de l’accident chimique, imputant les causes de la catastrophe à un mélange malencontreux de quelques dizaines de kilos de DCCNa avec 500 kg de nitrate d’ammonium déversés sur le tas principal de nitrate 20 min avant l’explosion.
Rappelons que des explosions ayant le nitrate d’ammonium comme origine ont été déjà décrites :
+ le 26 juillet 1921 à Kriewald, le « désenrochement » à l’explosif de wagons de nitrate d’ammonium a entraîné une détonation tuant 19 personnes ;
+ le 21 septembre de la même année, dans l’usine allemande d’Oppau, l’exploitation à l’explosif d’un tas de nitrate et de sulfate d’ammonium enroché a provoqué une détonation entraînant 561 morts, et la quasi-destruction de la ville ;
+ Vingt ans plus tard, en Belgique, une attaque à l’explosif d’un tas d’ammonitrate a entraîné plusieurs centaines de morts à Tessenderloo ;
+ Beyrouth, 4 août 2020, explosion de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, 215 morts et la destruction du port.
Intervention et secours
Le Plan Particulier d’Intervention (PPI) et le plan rouge ont été enclenchés : durant les 6 premiers jours 1 430 personnes ont été mobilisée, 460 sapeurs-pompiers de Haute Garonne, 620 d’autres départements, 350 militaires des Unités d’Instruction et d’Intervention de la Sécurité Civile (UIISC), 50 médecins, 32 infirmiers et 80 ambulanciers ont aussi participé.
Dépollution du site
La dépollution du site, effectuée par l’exploitant, a consisté essentiellement à réduire les concentrations d’hydrocarbures, de plomb, d’arsenic et de mercure du sol. Après 2 ans de travaux, plus de 750 000 m³ de terre ont été excavées, les terres et les bétons ont été dépollués sur place par lavage et traitement thermique à 850 °C. Fin des travaux en 2008.
Le site abrite maintenant l’Oncopole de Toulouse (Institut Universitaire du cancer).
Les suites pénales
Le procès s’est déroulé du 23 février au 30 juin 2009. Au terme des débats, le ministère public a requis 225 000 euros d’amende contre Grande Paroisse (la société exploitante du site), ainsi que trois ans de prison avec sursis et 45 000 euros d’amende contre le directeur de l’usine. A l’issue des délibérations, le tribunal correctionnel de Toulouse a prononcé la relaxe des prévenus au bénéfice du doute.
Lors du procès en appel la cour a condamné la société Grande Paroisse et son ancien directeur coupables d’homicides et blessures involontaires par « maladresse, inattention, négligence, imprudence ou manquement à une obligation de sécurité ». Les amendes ont été confirmées pour Grande Paroisse et son directeur, ainsi que les trois années de prison dont deux 2 avec sursis et une sous le régime de la semi-liberté. La Cour a estimé en revanche une nouvelle fois que les poursuites demandées par certaines parties civiles à l’encontre du groupe Total et de son ancien PDG étaient « irrecevables ». Plus tard, la Cour de cassation a confirmé les peines.
Conclusion
L’explosion était considérée comme improbable dans le cas de nitrates d’ammonium conformes à la norme. La méthode d’évaluation des risques s’est avérée insuffisante. L’étude de dangers doit considérer le potentiel de danger des installations, examiner les accidents possibles, leurs conséquences y compris les plus dramatiques ou improbables. De plus, l’évolution de l’urbanisation n’a pas été prise en compte, l’usine construite en plein champ en 1930 s’est retrouvée en pleine ville quelques années après.
C’est pourquoi, les pouvoirs publics ont engagé différentes réflexions et actions dans le domaine de la prévention et du contrôle. On pourra se référer à la publication 1.
Bibliographie
- Les catastrophes chimiques : domaine du NRBCe, François Renaud, Ouvry, 2015
- La catastrophe de l’usine AZF à Toulouse. Lumni, ministère de l’éducation nationale (2007, 2022).
- Explosion dans l’usine de fabrication d’engrais AZF. Le 21 septembre 2001, Toulouse (Huate Garonne) France. Ministère chargé du développement durable – DGPR / SRT / BARPI
- Le nitrate d’ammonium : François Renaud, Ouvry, 2020
(187)