Nous avons parlé de la maladie du charbon à plusieurs reprises dans ce blog et avons insisté sur l’aspect « arme biologique » de la spore charbonneuse. On pourra se rafraichir la mémoire en suivant ces liens : Corée du nord, Sverdlovsk, Sverdlovsk à nouveau, les lettres piégées d’octobre 2001, le dégel du permafrost, le bioterrorisme , Gruinard Island
L’apparition cet été d’une grave épidémie en France nous permet de rappeler ce qu’est la maladie du charbon et comment elle peut être à l’origine d’une arme biologique.
Les faits
Ce sont 28 fermes des Hautes-Alpes qui ont été touchées par la maladie du charbon. Une cinquantaine d’animaux (vaches, moutons, chevaux) sont morts à la suite de l’infection. Les premiers cas ont été observés à Montgardin (à côté de Gap) où 6 vaches ont été retrouvées mortes. La maladie s’est étendue à 13 communes en 2 mois.
Cette maladie est aussi appelée « anthrax » chez les anglo-saxons et ne doit pas être confondue avec une pathologie appelée anthrax en français, généralement due à Staphylococcus et qui est une accumulation de plusieurs furoncles à tendance nécrosante.
La bactérie responsable de la maladie du charbon s’appelle Bacillus anthracis, c’est un bacille à Gram positif dont la spore est extraordinairement résistante (des spores retrouvées chez des momies égyptiennes ont été capables de germer pour redonner des formes végétatives !) Les cadavres d’animaux morts enfouis dans le sol contiennent un nombre important de spores de B. anthracis qui peuvent être remontées à la surface du sol, en particulier par les vers de terre. Les animaux sains peuvent alors paître de l’herbe contaminée et devenir à leurs tours malades. Du temps de Pasteur, les champs ainsi contaminés étaient appelés « champs maudits ». Dans les cas récents, c’est la sécheresse qui fait brouter de la terre mêlée à l’herbage d’estive qui contient alors des spores que le ruissellement des eaux des orages a mis à jour. Nous avions déjà parlé de ce phénomène
Les animaux (herbivores) ingèrent le germe et développent un charbon gastro-intestinal qui se caractérise par une forte fièvre, leur sang devient incoagulable et tout noir (comme du charbon, d’où le nom de la maladie) et les animaux finissent par mourir d’une infection généralisée (septicémie). Tout l’animal est alors contaminé et peut transmettre la maladie à l’homme. Des cas sporadiques existent dans le monde entier et des flambées occasionnelles se produisent en Asie centrale et en Afrique.
Dès qu’un cas de maladie du charbon est diagnostiqué, on vaccine (vaccin animal) les autres animaux afin que la maladie ne s’étende pas et c’est ainsi que 500 bovins et caprins de la ferme des Bourrines à Bertholène dans l’Aveyron ont été vaccinés en juillet. Puis la vaccination des animaux s’est étendue au territoire de 17 autres communes. C’est Pasteur qui a expérimenté pour la première fois un vaccin contre la maladie du charbon en injectant un bacille atténué qui les a protégé de la maladie. Cette expérience restée célèbre a été menée dans une ferme à Pouilly le fort, Les vaccins vétérinaires sont venus à manquer cette année et des pourparlers sont actuellement menés au niveau européen pour une utilisation des stocks des différents pays.
La maladie humaine
Actuellement, les cas de transmission à l’homme sont extrêmement rares et personne n’a été malade pendant l’épisode de cet été.
Les différents types de maladie charbonneuse
Les infections cutanées représentent de 95 à 99% des cas. Les autres infections peuvent être gastro-intestinales ou pulmonaires.
La forme cutanée suit la contamination de la peau par un animal malade, le bacille pénétrant la peau à cause d’une coupure ou d’une excoriation. Il se forme alors un ulcère de couleur noir puis une nécrose. Cette forme de la maladie n’est pas mortelle sauf si un traitement efficace n’est pas mis en place rapidement. On peut voir ces manifestations dans le cas des transporteurs de carcasses d’animaux par exemple (maladie professionnelle).
Pustule noire de la maladie du charbon sur la main
La forme gastro-intestinale suit l’ingestion de viande contaminée. Il se produit alors une inflammation aiguë de l’intestin. Le patient présente des nausées, des vomissements, des douleurs abdominales et de la diarrhée. Selon les conditions, la mortalité peut aller jusqu’à 60%. On relate qu’en 2009, une quinzaine de personnes sont mortes en Ouzbékistant d’avoir consommé de la viande d’une carcasse de vache contaminée alors que des enfants auraient aussi contaminés en se baignant dans la rivière où les viscères de l’animal avaient été jetés.
La forme la plus dangereuse est la forme pulmonaire qui se traduit par l’inhalation de spores dans l’air. En quelques jours des troubles sévères de la respiration apparaissent amenant irrémédiablement vers un choc septique aboutissant à la mort si aucune prise en charge thérapeutique n’est mise en place. Les situations les plus fréquentes sont celles mettant en oeuvre le tannage de la peau ou le traitement de la laine. Au siècle dernier, cette maladie était aussi appelée « maladie des trieurs de laine ». C’est aussi cette forme de maladie qui est redoutée dans le cadre de l’arme biologique constituée de spores de B. anthracis.
Trieurs de laine
Pouvoir pathogène
Il est dû à une capsule polypeptidique (dont le gène est situé sur le plasmide pXO2) et une toxine constituée de 3 protéines (dont les gènes sont situés sur le plasmide pX01) : PA antigène protecteur, LF facteur létal, EF facteur d’œdème. La souche « Sterne » qui a perdu son plasmide pX02 ne synthétise plus de capsule et est donc facilement phagocytée par les polynucléaires de l’hôte (la souche munie d’une capsule résiste à la phagocytose). Cette souche sert de souche atténuée vivants pour des vaccins animaux.
Prévention et diagnostic
Le diagnostic de l’infection pulmonaire se fait sur une radiographie complétée par un scanner. Pour toutes les formes, on pourra mesurer le taux d’anticorps ou le taux de toxines dans le sang et on recherchera B. anthracis dans les différents prélèvements. Le traitement antibiotique est basé sur l’utilisation pénicillines : amoxicilline [clamoxyl®], fluoroquinolones : ciprofloxacine [ciflox®], cyclines : doxycycline [tolexine®]. Lorsque qu’un doute de contact avec un animal malade ou d’inhalation de spores existe, on traite le patient à titre préventif par de la ciprofloxacine. Ce fut le cas cet été pour la moitié des 103 personnes des Hautes-Alpes signalées comme ayant potentiellement été en contact avec des animaux infectés (agriculteurs, vétérinaires, ouvriers d’abattoir). Le traitement dure 60 jours, c’est parfois le temps nécessaire pour que les spores germent en donnant des formes végétatives sécrétrices de toxines. Seules les formes végétatives sont sensibles aux antibiotiques.
La spore : arme biologique
De nombreuses recherches ont été réalisées dans le monde dans le but de modifier les spores de B. anthracis afin de les militariser. Il est en effet difficile de répandre des spores dans l’atmosphère pour qu’elles pénètrent directement dans les poumons et donner la maladie pulmonaire la plus redoutable. Les spores sont relativement lourdes et décantent rapidement pour se déposer sur les surfaces où elles sont alors inefficaces. Il faut donc empêcher la fixation des spores sur les surfaces lorsqu’elles sont aérosolisées en diminuant par exemple les forces électrostatiques. Ces spores sont considérées comme étant en tête de liste des agents qui peuvent être utilisés dans le cas d’une arme biologique ou de bioterrorisme. On pourra se référer aux articles concernant les évènement d’octobre en 2001 ou celui relatant la production industrielle des spores à Sverdlosk par l’URSS. La souche utilisée aux USA en 2001 était une souche »Ames » transformée en poudre militarisée.
Les vaccins
Il existe des vaccins contre la maladie du charbon surtout à usage vétérinaire. Les vaccins humains ont une tolérance inégale, et leur efficacité est souvent médiocre (environ 40%). Ils doivent être réservés aux groupes suivants :
– personnels de laboratoire travaillant sur la bactérie
– personnes qui manipulent des produits animaux pouvant être infectés dans des zones à risque
– vétérinaires pratiquant dans les régions où la maladie est endémique
– militaires dans des régions où le risque d’utilisation d’armes biologiques est important.
Il n’y a aucune indication de la vaccination en France actuellement.
Conclusion
La maladie du charbon est une maladie des herbivores. Elle est due à la présence de spores de Bacillus anthracis dans l’herbe consommée par les animaux. Les animaux meurent après avoir développé un charbon gastro-intestinal au cours duquel l’animal est complètement envahi par la forme végétative (la forme de la bactérie qui se multiplie), tous les organes sont touchés y compris sa peau. Lorsque l’animal meurt, s’il est enfoui dans le sol, les bactéries forment une forme de résistance appelée spores. Les spores sont remontées à la surface par les vers de terre ou au cours d’un épisode sécheresse-orage. Si un animal consomme ces spores, elles vont « germer » chez ce dernier en redonnant une forme végétative qui va se multiplier et envahir l’animal.
La transmission chez l’homme est très rare : elle peut se faire par la voie cutanée (contact avec la peau de l’animal par exemple), digestive (consommation de viande contaminée) voire pulmonaire (inhalation de spores contenues dans l’air). Les spores vont germer (parfois jusqu’à 60 jours) et donner la maladie. Les moyens préventifs et curatifs du la maladie du charbon sont très efficaces.
L’arme biologique dite de « désorganisation massive » est constituée d’une suspension de spore dans l’air, laquelle répandue sur des populations donnent des formes pulmonaires très graves. Cette arme est très difficile à mettre au point et les essais réalisés par différents groupes terroristes n’ont pas été concluants. Il est quand même à noter que les attentats aux lettres piégées en 2001 aux USA ont fait 5 morts. Les spores distribuées sous forme de « poudre blanche » contenue dans des enveloppes ont été répandues dans l’atmosphère au passage sous les trieuses automatiques de la poste.