Le 19 septembre 2021 dans ce blog, nous rappelions que le chlore, premier gaz de combat utilisé par l’armée allemande à Ypres en 1915, continuait d’être utilisé régulièrement sur les champs de bataille et/ou dans des actes de terrorisme chimique (voir NRBCe : les attentats terroristes à l’arme chimique).
De quoi est-il question ?
Le chlore est disponible partout, et en grandes quantités, comme produit chimique à utilisations ménagère et industrielle. Il forme facilement un véritable gaz, en raison de sa pression de vapeur élevée, et présente un potentiel important de libération accidentelle ou délibérée, comme cela a été observé dans des conflits allant de la Première Guerre mondiale à l’actuel conflit Syrien. En tant que tel, le chlore représente une menace durable pour les populations civiles et militaires lors de futurs conflits ou actes de terrorisme, en plus du danger lié à une exposition domestique ou industrielle accidentelle.
Ou peut-on être exposé au chlore ?
Le chlore gazeux peut se trouver dans un grand nombre de domaines, aussi bien industriels (chimie, pharmaceutique, alimentaire, traitement de l’eau…), agriculture (désinfection de l’eau, des sols, des semences…) et dans l’arsenal des armes chimiques.
Les populations civiles ne sont pas à l’abris d’un empoisonnement au chlore : les expositions civiles au chlore gazeux rapportées dans la littérature médicale sont presque toutes associées à une exposition au chlore gazeux à la suite d’un accident industriel, y compris dans les transports, ou à l’utilisation d’une piscine. La plupart des cas présentent des caractéristiques respiratoires aiguës, principalement une toux et une dyspnée, ainsi qu’une irritation des yeux et de la gorge. Le développement d’un œdème pulmonaire ou d’un Syndrome de Détresse Respiratoire Aigu (SDRA) est rare. L’incidence des décès est faible (0,6 %) et le pronostic est bon pour la majorité des patients.
L’effet gaz
L’introduction de la guerre des gaz au cours de la Première Guerre mondiale a eu un impact considérable. Les blessures causées par les gaz ont été à l’origine de 91 000 des 1,3 million de morts de la Première Guerre mondiale. Pendant la 1ere guerre mondiale le chlore, le phosgène et l’ypérite furent tous les 3 utilisés. Les soldats gazés présentaient des blessures que le monde n’avait jamais vues. Au fur et à mesure que les victimes du gaz affluaient, les médecins et les infirmières ont dû traiter ces affections de la meilleure façon possible. Le premier de ces gaz utilisés fut le chlore.
Des études de cohortes militaires réalisées pendant la Première Guerre mondiale ont fait état d’une incidence élevée de troubles respiratoires aigus, mais de faibles taux de mortalité, généralement inférieurs à 5 %, et d’un nombre relativement faible de symptômes respiratoires chroniques. L’exposition au chlore, généralement diffusé par des bouteilles à haute pression, lors de conflits antérieurs, a été associée à une irritation des yeux, des voies respiratoires supérieures, à une irritation des voies respiratoires centrales et à un œdème pulmonaire. Les victimes développaient généralement un œdème pulmonaire non cardiogénique environ 12 heures après l’exposition, et le décès survenait entre 24 et 48 heures après l’exposition.
Avec l’invention des gaz de guerre il a fallu développer en parallèle de tenues de protection pour le corps et pour les voies respiratoires des soldats sur le terrain.
Alors, comment se protéger ?
De ce fait, à l’heure actuelle, des professionnels comme les militaires portent des tenues NRBCe de combats qui les protège contre toutes sortes de gaz. Aussi les forces d’intervention sont elles aussi équipées de tenues protectrices NRBCe (TFI® : tenue des forces d’intervention) : RAID, BRI, GIGN. Ces tenues protectrices existent aussi pour les professionnels concernés par les produits chimiques : la Polycombi combinaison polyvalente de protection NRBC, la Polyagri pour les agriculteurs, la Polyindus utilisée en milieu industriel.
Tous ces produits sont basés sur un même principe commun, celui des tenues filtrantes. Puis chacune d’elle est plus spécifiquemet adaptée à leur emploi.
Tenue filtrante vs tenue étanche
Pour protéger le corps contre des gaz et autres produits toxiques qu’ils soient liquides, vapeurs ou aérosols, le bon sens nous inciterait à utiliser une combinaison complètement étanche, empêchant les molécules toxiques de traverser le textile et atteindre la peau. Mais c’est une vraie fausse bonne idée !
Pourquoi ? Une tenue étanche, si elle interdit bien le passage des toxiques de l’extérieur à l’intérieur, empêche aussi le passage inverse de la transpiration de l’intérieur vers l’extérieur, transformant rapidement le vêtement en une étuve chaude et saturée d’eau.
Pour le montage final du vêtement deux concepts s’opposent :
Le concept dit « étanche »
Actuellement, les combinaisons étanches sont principalement fabriquées à base de polyéthylène. Ces vêtements de protection répondent aux critères de « type 3 » c’est-à-dire étanche aux liquides. La matière complètement étanche ne laisse passer ni les liquides, ni les gaz. C’est apparemment très rassurant mais c’est sans tenir compte de deux aspects fondamentaux limitants, généralement moins évoqués : les propriétés physicochimiques d’une tenue ne tiennent pas compte du fait que ; – une tenue est composée du tissu mais aussi de coutures et d’interfaces ; – une tenue est revêtue par un individu dont les constantes physiologiques doivent être respectées, en particulier sa température corporelle et son hydratation. La notion de confort doit aussi être prise en compte (confort corporel, confort sensoriel, confort dans l’application de la tâche…).
Le concept dit « filtrant »
Il se caractérise par sa perméabilité à l’air. Il met en œuvre deux couches de textile dont une doublure filtrante capable d’adsorber les toxiques. Ce complexe permet l’évacuation de la sueur et de la chaleur et donc une meilleure thermorégulation. Nous rappelons ici que la sueur pour s’évaporer, tire son énergie de la peau et la refroidit, agissant positivement sur la régulation de la température corporelle.
Figure 1 : schéma du complexe de textiles filtrants : On distingue bien les microbilles de carbone activé.
Comparaison des deux concepts au porté
C’est dans ce contexte que nous avons voulu comparer ces 2 concepts, non plus au niveau des constituants élémentaires, mais au niveau du vêtement entier, dans les conditions réelles d’utilisation. Les résultats obtenus avec une tenue étanche ont été comparés avec ceux d’une combinaison NRBC filtrante (Polycombi®) dans des conditions opérationnelles.
Protocole expérimental
Nous avons employé une méthode dynamique. Une trentaine de capteurs sensibles au méthyle salicylate (MS = simulant de l’hypérite) avaient été disposés sur le corps des sujets tests revêtus, soit d’une tenue imperméable de type 3, soit d’une tenue filtrante et évoluant dans une atmosphère contenant du MS. Ces capteurs mesuraient les doses pénétrantes du produit.
Le méthylsalicylate, à une concentration de 65 mg.m-3a étéutilisé comme simulant de l’ypérite. Pour mesurer la perméation, c’est la méthode SD liquide qui a été employée. Quant aux tests physiologiques en conditions opérationnelles, nous avons utilisé le protocole US MIST (Man in Simulant Test).
Trente dosimètres passifs ont été positionnés sur des individus, sous la tenue, selon le positionnement décrit dans la figure 2. Ils mesurent les doses pénétrantes du simulant au niveau de 8 parties du corps : 1- nuque, 2- arrière épaules/nuque, 3- avant épaules, 4- corps, 5- avant-bras, 6- haut des jambes, 7- bas des jambes à l’avant, 8- bas des jambes à l’arrière. Toutes les interfaces (capuches, gants, pieds) ont été fermées avec un adhésif (tarlatane).
Les sujets ont répété 80 gestes élémentaires identifiés en opération (figure 3), pendant 1 heure dans un caisson simulant un vent de 1m.sec-1.
Fig 2 : Positionnement des 30 dosimètres passifs
Fig 3 : 80 gestes élémentaires représentatifs de l’activité opérationnelle
Résultats
a) Test de perméation in vitro
Textile imperméable type 3 | 0 µg.cm-2 pendant 24 heures |
Combinaison filtrante | 0,1 à 0,5 µg.cm-2 pendant 24 heures |
b) Tests physiologiques sur équipement porté
Pénétration moyenne combinaison type 3 | 408 mg.min.m-3 |
Pénétration moyenne combinaison filtrante | 18 mg.min.m-3 |
Fig 4 : Résultats détaillés en fonction des parties du corps du passage du simulant.
Interprétation
Les tests in vitro nous montrent que la matière constituant la combinaison type 3 ne laisse passer aucune substance tandis qu’une faible quantité de liquide traverse le textile filtrant en 24 heures. Ces résultats sont tout à fait conformes aux résultats attendus.
En ce qui concerne les tests in situ, les doses pénétrantes moyennes de 408 mg.min.m-3 sont donc approximativement 20 fois plus importantes que celles des tenues filtrantes qui ne sont que de 18 mg.min.m-3. Ces résultats, totalement en contradiction avec le comportement apparent des matières constitutives des tenues peut s’expliquer par l’effet dit : « de pompage ».
Les appels d’air sous l’effet de la dépression induite lors des mouvements brusques sont inévitables et sensiblement accrus lorsque la tenue est étanche : en effet, l’air va entrer avec des vitesses de passage importante au niveau au niveau des interfaces mal gérées ou d’autres orifices faits accidentellement ou volontairement. Les points de passage critiques sont les avant-bras, l’entre-jambe et le cou.
Dans le cas des tenues filtrantes, l’effet de pompage est moindre car l’air pénètre uniformément sur toute la surface du textile constitutif de l’équipement (environ 3m2), la dépression interne est donc moindre et la vitesse locale du flux gazeux est réduite. De plus, toute cette surface étant constituée d’une doublure interne carbonée elle est en mesure de ré-adsorber les produits toxiques plus rapidement que la peau (les différences d’enthalpie d’adsorption de la doublure filtrante et de la peau sont favorables au textile).
Conclusion
Non seulement les tenues NRBC filtrantes protègent mieux que les tenues de type 3 mais elles sont physiologiquement plus tolérantes et robustes Les solutions filtrantes présentent donc le meilleur compromis protection/mobilité/robustesse permettant de diminuer les rotations de personnels et le nombre de tenues nécessaires dans la montée en puissance d’un dispositif de secours. La Polycombi® filtrante d’Ouvry protège également contre des projections liquides de produits chimiques, bien utile pour la prise en charge de victimes invalides.
Comparaison la protection vis-à-vis du chlore d’une tenue de protection contre les produits phytosanitaires et la Polyagri® de chez Ouvry (filtrante)
Protocole expérimental
Les capteurs ont été remplacés par un sous-vêtement recouvrant tout le corps et contenant sur toute sa surface un indicateur coloré virant du jaune au rouge en présence de chlore.
Les sujets ont porté, soit une combinaison agricole de protection phytosanitaire, soit l’EPI combinaison PolyAgri® de chez Ouvry.
Ils ont évolué dans une atmosphère chargée de chlore à une concentration de (3,0±0,2) ppm, à une température de (20±2)°C, une humidité relative de (44±5) % et un temps de (30±1) min. Les combinaisons étaient complétées par des gants, des bottes et des masques de protection avec cartouche filtrante. Ils ont effectué des mouvements normés représentatifs des activités agricoles.
À la fin de l’exercice, dans un premier temps, la simple analyse visuelle de la combinaison permet de mettre en évidence des changements de couleur du jaune au rouge aux emplacements exacts de la pénétration du gaz d’essai, le chlore. Puis les sous-vêtements ont été analysés par un appareil colorimétrique appelé LUCY.
Pour une meilleure visualisation des changements de couleur et une analyse quantitative, les taches colorées sont transformées en pseudo-couleurs représentant différentes concentrations, l’intensité des couleurs étant déterminée à partir d’une courbe d’étalonnage.
L’appareil calcule un « Facteur d’ajustement (F) » qui est le rapport de la quantité théorique de gaz appliqué à l’extérieur de la combinaison et de la quantité de gaz qui a pénétré. Plus F est élevé, meilleure est la protection.
On en déduit un « Facteur de protection (Kp) » qui est le pourcentage de la quantité de chlore qui a pénétré par rapport à la quantité totale de chlore appliquée sur le vêtement. Plus Kp est petit, meilleure est la protection.
Kp = 100/F (%)
Fig 5 : Résultats pour la tenue agricole
À gauche la combinaison classique de protection, au milieu le sous-vêtement mesurant le chlore et à droite l’analyse colorimétrique quantitative (échelle en µg/cm2).
Fig 6 : Résultats pour la polyagri
À gauche la PolyAgri® filtrante, au milieu le sous-vêtement mesurant le chlore et à droite l’analyse colorimétrique quantitative.
Résultats
À l’oeil nu il est déjà aisé de voir que le sous-vêtement jaune présente un grand nombre de taches rouges dans le cas de la combinaison classique. Le chlore est donc passé en grande quantité sous le vêtement protecteur ce qui se confirme à l’analyse colorimétrique où de nombreuses taches apparaissent. Dans le cas de la PolyAgri®, aucune modification de la couleur jaune n’apparaît à l’oeil nu, seules quelques traces sont visibles en colorimétrie. Ce qui se confirme en comparant les surfaces impactées de 80 % dans le 1er cas et 0,4 % dans le second cas.
Bien que les 2 combinaisons soient toutes les deux certifiées ISO 27065 (protection contre les produits phytosanitaires), on constate que la PolyAgri® filtrante protège bien mieux contre les vapeurs et les aérosols de pulvérisation. Ceci est dû à l’aspect filtrant du textile qui permet une meilleure répartition des produits absorbés lors des mouvements, à une bonne gestion des interfaces et à une réabsorption des gaz toxiques par la doublure en carbone.
Conclusion
1°) Toutes les tenues filtrantes de chez Ouvry ont le même comportement. L’air contaminé absorbé à l’extérieur est filtré par les microbilles de carbone activé. Le toxique se lie au carbone et s’il a échappé à la filtration directe, il est piégé par le carbone par l’intérieur (l’affinité de la molécule chimique est plus grande pour le carbone que pour la peau ;
2°) Lors des mouvements, l’air entre au niveau de l’ensemble de la surface sans surpression et les toxiques sont piégés tandis que dans un vêtement étanche, l’air passe avec force au niveau des interfaces et contamine gravement l’individu malgré la fermeture dite hermétique de la tenue (effet pompage) ;
3°) Le système fonctionne même si le tissu est mouillé ;
4°) L’air intérieur étant régulièrement renouvelé, l’humidité est éliminée de la peau qui se refroidit constamment permettant une thermorégulation efficace ;
5°) Ces EPI sont lavables et réutilisables ;
6°) La chaleur extérieure est mieux supportée et le renouvellement des hommes sur le terrain se fait donc moins fréquemment.
Non seulement les tenues NRBC filtrantes protègent mieux que les tenues de type 3 mais elles sont physiologiquement plus tolérantes et robustes. Les solutions filtrantes présentent donc le meilleur compromis protection/mobilité/robustesse permettant de diminuer les rotations de personnels et le nombre de tenues nécessaires dans la montée en puissance d’un dispositif de secours.
En résumé, les tenues filtrantes sont plus efficaces (pas d’effet pompage), plus confortables (permettant un refroidissement de la peau), réutilisables (moins de déchets et donc écologiquement plus satisfaisant), elles permettent en outre de moins changer de personnel lors de missions longues.
Pour aller plus loin :