L’eau a joué un rôle important dans les conflits anciens : elle a été utilisée comme un vecteur d’empoisonnement mais aussi pour inonder l’ennemi. Indirectement, faire stationner l’armée adverse dans une zone marécageuse impaludée peut aussi être considéré comme une stratégie utilisant l’eau (ce fut le cas d’Hermocrate, général Syracusien qui provoqua la défaite d’Athènes en obligeant l’armée Athénienne à stationner longuement dans la plaine humide autour de Syracuse et infestée de paludisme, en 416 av. J.-C.)
Introduction
L’eau est indispensable à la vie et aucun substitut ne peut la remplacer. Une pénurie ou l’impossibilité de l’utiliser par contamination par exemple, provoque des dommages parfois irréversibles chez les adversaires.
Mais l’eau peut aussi être utilisée comme moyen de défense, comme nous le montre la présence de fossés autour des châteaux-forts, ou offensivement en inondant l’ennemi.
Éthiquement, ces agissements encore utilisés de nos jours, ne sont pas sans poser de questions, d’autant plus qu’ils contreviennent à la convention de Genève du 12 août 1949.
Les auteurs militaires classiques
Les Romains, bien plus que les Grecs, étaient culturellement réticents à mener une guerre « de voyous » en utilisant des embuscades, des trahisons voire même des attaques de nuit ! L’éthique militaire de cette époque prônait le combat « face à face ». C’est après la seconde guerre punique que les Romains ont changé leur vision de la guerre lorsqu’ils eurent à contrer le tacticien Carthaginois génial Hannibal, maître de la guerre non éthique mais victorieuse. Quittant l’Espagne, il franchit les Pyrénées puis les Alpes pour venir défier Rome en passant par le nord de l’Italie (218 av. J.-C.) Etant conscient que sa flotte était beaucoup moins puissante que celle des Romains, il choisit ce chemin, inimaginable à l’époque, surtout accompagné d’éléphants de guerre. Dès lors, le général romain Quintus Fabius Maximus utilisa des « tromperies » pour venir à bout de l’armée Carthaginoise.
Cette nouvelle façon de faire la guerre est bien décrite dans le manuel des stratagèmes « Strategematica » écrit par Frontinus au premier siècle de notre ère. On y trouve les premières descriptions d’utilisation des poisons pour contaminer délibérément les sources d’eau.
Mais en fait, c’est le général Aquilus qui, en 129 av. J.-C. semble avoir inventé le concept en matant des rebellions en empoisonnant l’eau des cités asiatiques assiégées. Ce geste lui a été formellement reproché par Florus qui dit de lui » qu’il déshonoré l’armée romaine qui n’avait jamais été souillée jusque-là … en violant les lois et les pratiques des anciens… ».
En revanche, si l’utilisation de l’empoisonnement de l’eau est « honteux » pour les Romains, ce n’est pas le cas des Grecs qui ont décrit, encouragé et généralisé ces pratiques depuis les traités militaires les plus anciens écrit par Élien, surnommé Élien le Tacticien (Aelianus Tacticus) (fin du premier siècle).
Sextus Julius Frontinus (40-103)
Curator aquarum à Rome, c’est lui qui pose les bases des systèmes des aqueducs. Il s’intéresse aussi à la guerre en écrivant des traités de l’art de la guerre dans laquelle il décrit tous les stratagèmes utilisés par les généraux dans le passé. Il y décrit notamment comment un bon général doit planifier le facteur « eau » pendant les campagnes militaires (détournement des cours d’eau, empoisonnements…)
Contamination intentionnelle de l’eau
Ce procédé est clairement plus efficace lorsque l’eau n’est pas très abondante. Les Assyriens, au VIe siècle avant J.-C. utilisaient l’ergot de seigle, plante hallucinogène, pour inhiber les capacités des combattants adverses.
Des racines d’hellébore provoquant des violentes réactions gastro-intestinales auraient été utilisées pour la première fois par l’Athénien Solon.
Des morts inexplicables chez les Athéniens ont fait penser que les Spartes avaient empoisonné les citernes d’eau, provoquant une épidémie importante en 430 av. J.-C. Nous noterons ici qu’un effet important de panique a accompagné le phénomène mais que Thucydide n’a pas confirmé les faits. On ne parlait pas à l’époque « d’arme de désorganisation massive » mais le concept est bien identique à celui qu’on manipule actuellement !
Le général byzantin Belisaire (Belisarius) a fait jeter dans les citernes alimentant la ville d’Osimo en 539 ap. J.-C. des animaux morts et de l’herbe mais se fut un échec.
Le général carthaginois Maarble a laissé à disposition de rebelles Lybiens des outres de vins dans lesquelles il avait introduit de la mandragore (IIIe av. J.-C.). Revenant sur les lieux quelques heures plus tard, il n’eut aucun mal à prendre l’ennemi profondément endormi !
Plus tard, les cas d’empoisonnement de l’eau se sont multipliés.
L’énergie de l’eau comme arme de guerre
Metellus (Quintus Caecilius Metellus Numidicus) menant bataille contre les Celtes (143 av. J.-C.) obtint la victoire en inondant le camp de son ennemi situé dans la vallée en déviant un cours d’eau dans une réserve située au-dessus du camp avant de la libérer soudainement.
Plusieurs actions de ce type ont eu lieu : le roi sparte Agesipolis a dévié la rivière Ophis pour inonder Mantinea en 385 av. J.-C., l’armée de l’empereur Julien en 363 a été battue par la mise en place d’une déviation du fleuve Tigre par les Perses…
A la renaissance, Leonard de Vinci a mis au point une écluse permettant de retenir de grandes quantités d’eau destinées à être relâchées sur l’ennemi. Filippo Brunelleschi (l’architecte du dôme de Florence), a développé un projet en 430 de dérivation de la rivière Serchio pour inonder la ville de Lucques (Lucca) assiégée par les troupes florentines. Cependant, l’écroulement d’une berge a dévié le flot qui a inondé les troupes florentines qui se sont échappées de justesse !
L’eau peut être aussi utilisée comme arme défensive. Carl Von Clausewitz cite un épisode connu de la guerre entre les troupes de Louis XIV ont franchi la frontière pendant la guerre de Hollande en 1672. Les hollandais, en ouvrant les portes des barrages ont inondé le terrain, obligeant les troupes envahissantes à se retirer.
La construction de tunnels et d’aqueducs
Construire un tunnel pour passer sous des fortifications ou pour faire écrouler un mur a été l’une des premières techniques utilisées par les Romains. Pénétrer par un aqueduc procède de la même intention, l’installation représentant un point faible dans les défenses d’une ville. Plusieurs exemples peuvent être cités, nous donnerons celui qui eut lieu pendant la guerre gothique entre l’empire romain et les goths en 536. La ville de Naples, alliée aux Goths étaient assiégée par le général Belisarius. La ville a été conquise par 400 soldats qui sont passés par un tunnel souterrain, l’aqueduc romain « Bolla »qui amenait l’eau à la ville. Ces évènements ont été rapportés par Procope ce qui permit à l’espagnol Alfonso de reprendre la ville tenue par le roi Angevin en suivant le même chemin en 1442 !
Jules César lui-même a fait remplir d’eau les douves entourant la ville d’Alésia afin que les Gaulois ne puissent pas construire de tunnels pour s’échapper de la ville assiégée.
Eau et logistique
Les camps romains construits sous forme d’un carré permettaient sur l’un de ses côtés, souvent à proximité d’une rivière, d’approvisionner les soldats et les animaux en eau. Lorsque l’eau était plus rare, elle était apportée dans des barils en bois escorté d’hommes armés.
L’eau dans les barils devait rester potable et lorsque celle-ci devenait impropre à la consommation elle était additionnée de petites quantités de vinaigre.
Conclusion
Ce court aspect historique nous montre que l’eau est un élément majeur de tout conflit armé. Contaminée elle peut être responsable d’empoisonnements, détournée elle peut inonder des plaines entières, rendue rare, elle peut manquer aux populations et provoquer de graves désordres pathologiques.
Nous étudierons prochainement dans ce blog les menaces actuelles, y compris terroristes qui pèsent sur l’eau.
Bibliographie
L.J. Del Giacco, R. Drusiani, L. Lucentini, S. Murtas. Water as a weapon in ancient times considerations about technical and ethical aspects.