Les évènements récents concernant la contamination de lait infantile par une souche de Salmonella nous amènent à nous poser la question de l’utilisation de telles bactéries dans un but malveillant du type NRBCe par exemple.
Les faits
Le 1er décembre 2017 une épidémie de Salmonella Agona chez des enfants a été identifiée. Au 11 janvier 2018, 37 cas (âge médian de 4 mois) et 2 plus tardifs hors de France ont été confirmés. Cinq produits lactés infantiles différents fabriqués dans la même usine ont été rendus responsables. Après plusieurs rappels successifs, le 22 décembre tous les produits fabriqués depuis février 2017 ont été retirés du marché. Il est à noter que cette même usine a déjà été contaminée par la même souche bactérienne en 2005. Notre but n’est pas ici de mettre en exergue les hésitations et autres ratés, en particulier de la grande distribution dans la mise en oeuvre des directives de retrait, mais de parler des Salmonelles et de leur éventuelle implication dans des utilisations malveillantes.
Les symptômes
Les enfants ont présenté des symptômes gastro-intestinaux : diarrhées (dont certaines sanglantes), fièvre et vomissements. Il n’y a pas eu de septicémie ni de méningite. Dix-huit enfants ont été hospitalisés, aucun enfant n’est décédé.
Les bactéries du genre Salmonella
Elles appartiennent à la famille des entérobactéries. Le genre « Salmonella » comprend plusieurs espèces dont l’espèce « enterica » est la plus fréquente. Les bactéries de la sous espèce « enterica » regroupe l’essentiel des bactéries infectant l’homme. Pour distinguer les différentes Salmonella on a recours à une réaction faisant intervenir des antisérums : on différencie ainsi des « sérotypes ». Cette récente épidémie était due à Salmonella enterica subsp. enterica, sérotype Agona ou plus simplement Salmonella Agona = S. Agona.
On distingue 2 types de pouvoir pathogène chez les Salmonella.
Les salmonelle dites « majeures » : S. Typhi, S. parathyphi A, B et C. Ce sont des bactéries strictement humaines et elles sont responsables de fièvres typhoïdes et paratyphoïdiques qui sont des maladies graves voire mortelles. Dans le monde on estime à 20 millions de cas et plus de 200 000 morts ar an. Les bactéries passent dans le sang. La contamination se fait essentiellement par l’eau contaminée par les selles. Les cas seront donc principalement regroupés dans les pays en développement ou les réseaux d’adduction ne sont pas fiables. Notons que le vaccin contre la typhoïde n’est plus commercialisé en France. Le patient guéri peut garder très longtemps la salmonelle, en particulier au niveau des voies biliaires, et devenir ce qu’on appelle un « porteur sain », répandant autour de lui le germe contaminant.
Les salmonelles dites « mineures » responsables de toxi-infections alimentaires ou « salmonelloses ». Présentes naturellement dans le tube digestif des animaux d’élevage (bovins, ovins, volailles…) elles se propagent par leurs déjections. Elles peuvent vivre plusieurs mois dans l’eau. Les déjections peuvent contaminer le lait au moment de la traite ou les oeufs au moment de la ponte. Si la coquille est fêlée ou si l’oeuf a été lavé (dans ce cas, la barrière protectrice obturant les pores de la coquille est enlevée) la bactérie peut pénétrer à l’intérieur.
Les symptômes sont ceux d’une gastro-entérite aiguë. Après une courte incubation de quelques heures à un jour, le germe se multiplie dans la lumière intestinale en provoquant un syndrome inflammatoire intestinal avec diarrhée souvent muco-purulente et sanguinolente. Chez les nourrissons, la déshydratation peut entraîner un état de toxicose grave et c’est pourquoi la récente épidémie qui s’est répandue chez les nourrissons a été très inquiétante, les enfants ayant été hospitalisés. Chez l’adulte en bonne santé, généralement, la maladie est bénigne. Chez les patients immunodéprimés la bactérie peut passer dans le sang et donner une maladie beaucoup plus grave. Cette maladie est fréquente avec 10 000 cas de Salmonellose en France et par an déclarés, mais comme tout le monde ne consulte pas pour une gastro-entérite, ce sont pratiquement 200 000 infections estimées provoquées par ces salmonelles mineures. En Europe occidentale, le sérotype le plus fréquent est S. Thyphimurium (70 %).
Les salmonelles se transmettent donc par les selles qui la contiennent et donc les mains contaminées. Ceci explique pourquoi, les selles des personnels de l’usine Lactalis ont été testées afin d’y déterminer l’éventuelle présence de cette bactéries, l’origine de la contamination n’étant toujours pas expliquée.
S. Typhi est classée dans le groupe 3 des bactéries pathogènes, les Salmonella paratyphi sont dans le groupe 2 ainsi que tous les autres sérotypes.
La typhoïde
Les périodes de guerre ont été propices à la propagation de la maladie. Ce fut le cas pour les guerres Napoléoniennes, la guerre de Sécession et la guerre des Boers au cours de laquelle l’armée britannique a perdu plus de 8 000 soldats à cause de la maladie c’est à dire plus que le nombre de tués par les faits de guerre. Pendant la première guerre mondiale, on a dénombré 125 000 cas dans l’armée française dont 15 000 décès. Pendant le seconde guerre mondiales ce sont 58 000 cas qui ont été déclarés au sein des populations civiles avec un létalité atteignant parfois 25 % selon les régions.
Mary Mallon (1869-1938)
Mary Mallon appelée aussi « Mary typhoïde » est le premier cas connu de porteur sain du bacille typhique. D’origine irlandaise elle émigre aux États-Unis en 1884. Engagée comme cuisinière dans la région de New York, 2 semaines après son arrivée, ses employeurs contractent la typhoïde. Elle déménage et chez ses nouveaux employeurs, une lingère meurt de fièvre typhoïde. Embauchée chez un avocat, 7 des 8 membres de la famille contractent la maladie. Chez tous ses employeurs successifs les cas de typhoïde se répètent. Identifiée comme porteur sain elle est mise en isolement, en quarantaine, dans une clinique pour 3 ans : bien évidemment elle ne comprend pas ce qui lui arrive et ne veut pas abandonner son métier de cuisinière. En 1910 on la libère à condition qu’elle suive des mesures d’hygiène stricte et qu’elle n’officie plus comme cuisinière. Elle change alors de nom pour travailler clandestinement en cuisine et, au total, ce sont au moins 32 personnes qui seront infectées dont 2 moururent. De plus, on sait qu’elle a contaminé des collègues cuisiniers qui ont pu eux-même transmettre la maladie. Remise en quarantaine en 1915 elle y restera jusqu’à la fin de sa vie qu’elle finira en tant que technicienne de laboratoire. Son autopsie montrera la présence de S. Typhi dans sa vésicule biliaire.
La secte Rajneeshees
Bhagwan Shree Rahneesh (1931-1990) (voir photo de couverture) avait créé une secte : la « Rajneesh Foundation International ». En 1981 elle s’installe dans un ranch à proximitié de la petite ville de The Dalles dans l’Oregon. Forte de 4 000 adeptes elle compte étendre ses activités sur l’ensemble du comté lors des élections locales de 1984. Pour empêcher la population d’aller voter, elle envisage de rendre malade les électeurs en contaminant les salades et autres crudités des 10 restaurants de The Dalles à l’aide d’une souche de Salmonella Typhimurium (ils projettent même de contaminer le système de distribution d’eau le jour de l’élection). Finalement, 700 personnes furent contaminées et l’étude épidémiologique a bien démontré la responsabilité des Rajneeshees dans cette première attaque bioterroriste sur le sol américain. En 1985, Rajneesh est expulsé et après avoir été refusé dans 21 pays il retourna à Poona (Pune en Indes) où sa secte se développa à nouveau pour atteindre 15 000 membres !
Le programme Sud-Africain
Pieter Willem Botha (1962)
Nous noterons que en 1981, le gouvernement Sud-Africain de Pieter Willem Botha entreprit un programme offensif de développement d’armes chimiques et biologiques connu sous le nom de code de « Project Cost » , développé par Wouter Basson (cardiologue, officier de l’armée de l’air), au cours duquel des cultures bactériennes ont été produites en grande quantité, et parmi elles, des salmonelles.
Conclusion
Les salmonelles sont des bactéries dont certaines ont un pouvoir pathogène important (Typhoïdes, paratyphoïdes) et d’autres à l’origine de gastro-entérites. Ces bactéries ont été utilisées dans le cadre d’actions terroristes et des essais de militarisation ont apparemment eu lieu sans beaucoup de succès. Elles sont classées dans la catégorie B qui inclut des micro-organismes plus difficiles à disséminer ,qui déterminent des maladies moins graves que celles de la catégorie A, avec une mortalité plus faible ou des conditions de culture plus complexes mais qui nécessitent une surveillance et une capacité diagnostique spécifiques.
Bibliographie
Ongoing nationwide outbreak of Salmonella Agona associated with internationally distributed infant milk products, Fran, December 2017, Nathalie Jourdan-da Silva et al. Euro Surveill. 2018;23(2):pii=17-OO852. https://doi.org/10.2807/1560-7917.ES.2018.23.2.17-00852.