Les sapeurs pompiers exercent un métier difficile qui n’est pas sans risques puisqu’ils interviennent sur des lieux où se sont produits des accidents, des incendies, voire des catastrophes naturelles. Il est connu aussi qu’ils ont plus de risques de contracter des cancers que la population générale. Nous avons analysé les très nombreuses publications scientifiques concernant ce sujet pour préciser ces risques et peut être confirmer ou infirmer d’autres pathologies.
Nous décrypterons dans cet article les différentes publications parues sur les risques spécifiques qu’encourent les sapeurs pompiers vis-à-vis du cancer ou d’autres maladies.
De quoi s’agit il ?
Les sapeurs pompiers exercent un métier difficile physiquement et moralement. Ils interviennent sur des lieux d’accidents (de l’accident de la route, les accidents de chantier, les catastrophes naturelles ou les actes terroristes), des incendies (du feu de cheminée aux incendies industriels). L’assistance aux personnes fait aussi partie de leur mission. Leur engagement est sans faille, nous avons tous le souvenir des pompiers New-yorkais intervenant pendant le drame des tours jumelles de 2001 : 343 d’entre eux ont perdu la vie.
En ce qui concerne les sapeurs pompiers français, on compte 11 décès en service commandé en 2013, 5 en 2014 et 7 en 2015.
Ce que l’on sait moins c’est que ces hommes côtoient souvent des substances dangereuses susceptibles de provoquer chez eux des maladies graves comme des cancers.
Les différentes études
Un très grand nombre d’études scientifiques ont été publiées sur le sujet, aussi nous ne considérerons que les dernières parues puisqu’elles reprennent généralement les résultats des précédentes.
L’analyse et la comparaison des résultats sont très difficiles pour plusieurs raisons :
– il faut inclure un très grand nombre d’individus sur une période très longue afin d’avoir des résultats statistiquement validés ;
– les analyses statistiques tiennent généralement compte de plusieurs types de coefficients : le rapport à la mortalité standardisée (SMR Standardized mortality ratio), l’odds ration, le ratio standardisé d’incidence (SIR Standardized Incidence Ratio)… Même très proches, tous ces coefficients ne sont pas interprétables de la même façon ;
– le choix de l’échantillonnage est très important et ils ne sont pas identiques d’une étude à l’autre : activité professionnelle du sapeur pompier (plutôt actif, plutôt dans la prévention ? ), activité extraprofessionnelle (régime alimentaire, consommation d’alcool (stress)…
1°) French firefighter mortality : analysis over a 30-years period. Am. J. Ind. Med (Amadeo Brice et al., 2015, 58, 437-443).
C’est une analyse importante sur la mortalité des sapeurs pompiers français. La mortalité de 10 829 hommes, en service en 1979 a été comparée à celle de la population masculine générale sur une période de 30 ans (1979-2008). L’analyse comparative par rapport à la population générale montre que la mortalité générale est significativement moindre de 20% chez les sapeurs pompiers. Quelles que soit les tranches d’âge, ce chiffre est toujours inférieur à celui de la population générale et ce jusqu’à l’âge de 70 ans ou les mortalités sont équivalentes.
Ces résultats sont en accord avec ceux de l’ensemble des autres publications. Il s’explique par le fait que les sapeurs pompiers sont des individus en excellente forme physique à cause du travail particulièrement difficile physiquement qu’ils ont à effectuer.
Concernant les autres maladies, il est surprenant de constater que les sapeurs pompiers meurent moins que la population générale de cancers du poumon et des bronches ou du cancer de la prostate. En revanche, le nombre de décès est significativement plus élevé par cancer du rectum, de l’anus, de l’estomac, de la bouche, du pharynx, du larynx de la trachée et du foie. Ceci peut être expliqué par l’exposition professionnelle chronique à des substances responsables de cancers digestifs : c’est le cas en particulier pour des produits de combustions se trouvant dans la fumée. De tels produits peuvent être transférés au niveau du tractus gastro-intestinal et endommagent l’épithélium digestif (les aromatiques polycycliques(PAHs) par exemple font partie de ces substances nocives.
Il peut être surprenant de constater que les décès dus à des maladies respiratoires non malignes ne sont pas plus nombreux que dans la population témoin étant donnée l’exposition fréquente des poumons aux fumées irritantes : le port du masque respiratoire peut-être une explication.
2°) Risk of cancer among firefighters in California, 1988-2007. Rebecca J. Tsau et al. Am. J. Ind. Med. 2015, 58, 715-729.
Cette étude a porté sur 3 996 sapeurs pompiers atteints de cancers.
Les cancers significativement plus élevés chez les pompiers américains sont le mélanome, le myélome multiple, la leucémie aigue myéloïde, le cancer de l’œsophage, de la prostate, du cerveau et du foie.
Certaines explications sont avancées pour l’origine de ces pathologies :
pour le cancer de la prostate, il pourrait avoir pour origine des produits chimique comme les pesticides, le cadmium, le bisphénol A (BPA) ou les PCB interférant avec le métabolisme androgène (à moins que ce ne soit à cause d’un contrôle accru de ce type de cancer chez les pompiers…!) ;
pour le mélanome c’est l’exposition au benzène, au PAH, PCB, huiles lourdes et hydrocarbures aromatiques qui pourrait être responsable ;
les cancers de l’œsophage auraient pour origine une réponse inflammatoire aux produits oxygénés de combustion.
3°) Cancer incidence among firefighters : 45 years of follow-up in five nordic countries. E. Pukkala et al. Occup Environ Med, 2014, 71, 398-404.
Cette étude a porté sur 16422 sapeurs pompiers hommes. Une augmentation très modérée portant sur l’ensemble des cancers a été mesurée. En revanche, dans la tranche d’âge 30-49 ans, le cancer de la prostate et le mélanome de la peau sont très significativement augmentés (et pas dans les autres tranches d’âge).
Au contraire, et particulièrement vers l’âge de 70 ans et plus, on voit augmenter les risques de cancers de la peau autres que les mélanomes, les myélomes multiples, l’adénocarcinome du poumon, et le mésothéliome. Les auteurs ont rattachés ces résultats aux hydrocarbures aromatiques polycycliques, à l’amiante et au travail posté perturbant le rythme circadien.
4°) Mortality and cancer incidence in a cohort of male paid Australian firefighters. DC Glass et al. Occup Enviro Med, 2016 In press 25 juillet.
Cette étude Australienne donne des résultats similaires à la précédente c’est à dire une légère augmentation du risque, tous cancers confondus. Une augmentation plus nette pour les cancers de la prostate et du mélanome.
En revanche, le taux de mortalité est réduit par rapport à la population générale pour deux raisons : la constitution physique plus robuste des sapeurs pompiers et le taux de fumeurs moindre que dans la population australienne.
5°) Non-cancer occupational health risks in firefighters. JO Crawford and RA Graveling. Occup Enviro Med, 2012, 62, 485-495.
D’autres maladies peuvent être liées au métier de sapeur pompier mais les résultats de cette étude ne donnent que des indications, les liens de cause à effet n’étant pas formellement établis : maladie coronarienne, difficultés respiratoires, perte de l’audition, ostéoarthrose de la hanche et du genou, sarcoïdose.
Pour faire un résumé succinct de ces différentes études on pourra dire qu’il y a effectivement un lien entre certains cancers et l’activité du sapeur pompier.
Les cancers les plus cités sont les cancers du rectum, de l’anus, de la prostate, du foie. Les mélanomes, les myélomes multiples et les leucémies aiguës myéloïdes sont aussi fréquemment cités. Les cancers du poumon sont relativement absents de cette liste sauf en fin de vie.
Les substances potentiellement responsables sont connues : HAP (hydrocarbures polycycliques aromatiques), PCB, bisphénol A (BPA), benzène huiles lourdes, hydrocarbures aromatiques, et autres COV, composés oxygénés produits lors de la combustion.
Il faut noter la parution d’un papier original dans Med Hypotheses en 2009 de S. Milham qui constate que les cancers cités ici présentent de grandes similitudes avec ceux des travailleurs soumis à l’action des radiations de radiofréquence (RFR) qui pourraient être émises par les appareils de communication.
Il semblerait aussi que les tenues retiennent les composés volatils toxiques respirées ou en contact peau ultérieurement par les sapeurs pompiers.
On notera pour conclure cette étude que toutes les publications ont été réalisées sur des périodes très longues (jusqu’à 45 ans) et qu’elles couvrent donc des périodes pendant lesquelles les équipements de protection individuels (tenues, gants, protection respiratoire…) et les protocoles d’intervention étaient très différents de ceux actuellement en place.