Le développement, la production et le déploiement des gaz de guerre comme le chlore, le phosgène et l’ypérite a créé une menace pour la santé publique mettant en danger, non seulement les soldats et les civils sur le champ de bataille mais aussi les travailleurs de la chimie chargés de mettre en oeuvre les processus chimiques à grande échelle. Parallèlement aux personnels de santé qui ont alors travaillé pour protéger et soigner les populations civiles et militaires, les chimistes ont organisé la riposte en synthétisant des nouveaux produits.
Chaque année, le 11 novembre, nous commémorons l’armistice de 1918 et rendons hommage à tous les morts pour la France. La première guerre mondiale s’est déroulée il y a cent ans. Les historiens l’appellent la guerre de la chimie car les différents belligérants ont beaucoup travaillé au niveau scientifique et technique pour la mise en oeuvre de cette nouvelle arme.
Les faits
La date du 22 avril 1915 est à jamais marquée par la libération par l’armée allemande de 160 tonnes de chlore qui ont enveloppé dans leurs nuées dérivantes les troupes françaises, obligeant les hommes paniqués à effectuer un retrait chaotique. Mille soldats français et algériens en moururent et 4 000 furent sérieusement blessés.
L’état major allemand n’ayant pas prévu un tel effet fut incapable de lancer une offensive qui put être décisive. Cette journée marque néanmoins un tournant important dans l’histoire militaire : l’arme chimique n’était plus un tabou !
Cette arme de destruction massive peut aussi être utilisée à plus petite échelle par des terroristes (par exemple l’utilisation par la secte Aum de gaz sarin dans le métro de Tokyo) mettant en oeuvre des « agents sales » (substances chimiques fixées à des poudres comme du talc). Les autorités de santé doivent savoir guérir les blessures sur la peau, les muqueuses et les poumons mais aussi les blessures psychologiques engendrées par de telles armes.
La militarisation des progrès scientifiques en chimie
Le début du XXe siècle a été marqué par des innovations technologiques comme les tanks, les sous-marins et les avions qui ont changé radicalement la façon de mener une guerre. C’est aussi le cas de la mise au point des gaz de combat, issus des progrès de la chimie et de la technologie. Parallèlement, la recherche médicale a beaucoup travaillé sur la mise en oeuvre des moyens de protection et de traitement des blessures.
Bien sûr, les armes chimiques étaient connues depuis longtemps et leur potentialité destructrice faisaient déjà peur, en témoignent la déclaration de La Haye en 1899 et la convention de La Haye en 1907 qui interdisait l’utilisation des poisons et des armes empoisonnées dans les conflits armés.
En ce début de siècle, l’Allemagne était incontestablement le leader mondial de la recherche chimique et c’est Fritz Haber, futur prix Nobel de Chimie et plus tard surnommé le « père des armes chimiques » qui menait les recherches. Le succès de cette nouvelle arme était tel que dans un premier temps, la France et la Grande Bretagne ont travaillé sur les aspects uniquement défensifs. Néanmoins, à la fin du conflit, les programmes nationaux de tous les pays en guerre étaient dirigés sur les aspects défensifs et aussi offensifs, en mobilisant toutes les ressources académiques, industrielles et économiques. Les spécialistes de toutes disciplines ont travaillé d’arrache pied : chimistes, physiciens, ingénieurs, médecins, biologistes, physiologistes… En Angleterre les grandes institutions comme les universités d’Oxford, de Cambridge.. le Lister Institute ont été mis à contribution. En France, 16 laboratoires représentant 110 chimistes, ont militarisé leurs recherches sous la direction de Charles Mourieu (1863-1919).
Les Etats Unis entrés en guerre plus tardivement ont commencé leurs travaux début février 1917 par l’intermédiaire du « Bureau of Mines » dont les recherches étaient appliquées aux gaz nocifs, aux appareils respiratoires, aux explosifs et à la détection des gaz. Ensuite, de grandes universités comme le MIT, Harvard ou Yales ont activement participé aux différents programmes. En juillet 1918 ce sont plus de 1 900 scientifiques et techniciens qui travaillaient sur ce qui était à l’époque le plus grand programme de recherche de l’histoire des USA.
On a estimé qu’à la fin de la guerre ce sont 5 500 scientifiques et des milliers d’industriels qui travaillaient sur les armes chimiques des 2 côtés des lignes de front.
Les travaux de recherche
Les masques à gaz
Tout au long du conflit chaque avancée dans le domaine des gaz était contrebalancée par une avancée dans la protection.
En ce qui concerne les masques de protection respiratoire, les pièces de tissus, additionnées au non de thiosulfate se sont rapidement révélés insuffisants et la mise au point de masques protecteurs efficaces a stabilisé la situation.
L’ypérite ou gaz moutarde
En juillet 1917, conscients qu’ils perdaient leur domination dans le domaine technologique et donc leur capacité à gagner la guerre, les Allemands on introduit sur le champ de bataille un nouvel agent chimique bien plus puissant que tous les gaz existants combinés (le chlore, le phosgène et le chlorure de cyanogène) : l’ypérite ou gaz moutarde. Les patients atteints pas ce gaz vésicant est beaucoup plus difficile à soigner. Le produit atteint la peau, les yeux et les poumons. Il persiste dans la nature et crée un environnement toxique : une nouvelle marche était franchie ! De plus, ce nouveau produit traverse les textiles et même le cuir : les travaux de recherche ont donc repris pour mettre au point des matériaux imperméables et des masques respiratoires efficaces.
Les travailleurs de l’industrie
La production d’armes chimiques est différente de la production des armes traditionnelles comme les munitions. Les produits chimiques sont souvent synthétisés sous la forme de précurseurs. Les travailleurs dans les usines chimiques ont payé un lourd tribu à la production des gaz de combat : par exemple, il a été montré après la guerre qu’un grand nombre d’hommes sont morts dans l’usine d’Höchst bien qu’officiellement aucune preuve n’ait été apportée sur la relation entre ces décès et le produits manipulés : ce qui est sûr, c’est que, quotidiennement, au moins 1/3 du personnel était constamment absent à cause de l’intoxication aux gaz.
Il en est de même dans les usines britanniques et françaises qui étaient généralement trop petites et mal adaptées à la production de produits chimiques. Les postes les plus dangereux étaient ceux consacrés au remplissage des pièces d’artillerie : nombreux ont été blessés, voire mortellement et ce quel que soit le pays de production.
Les services médicaux se sont alors développés pour surveiller étroitement les personnels travaillant dans ces conditions dangereuses.
On pourra se reporter au papier de Fitzgerald
et aux différentes conférences du colloque de l’IRBA « premières attaques chimiques, 1915-1918, de la surprise à la riposte (23 septembre 2015)
Photographie : John Singer Sargent : Gassed (1918), huile sur toile, 231 x 611,1 cm, Imperial War Museum, Londres