L’utilisation massive des pesticides en Afrique est devenue une source majeure de préoccupation, tant pour la sécurité alimentaire que pour la santé publique. Bien que ces produits soient initialement conçus pour protéger les cultures et améliorer les rendements agricoles, leur usage incontrôlé et souvent inapproprié engendre des conséquences dramatiques pour les populations, les écosystèmes et la biodiversité. Cette crise sanitaire silencieuse, mais grandissante, appelle à une mobilisation urgente.
Une utilisation croissante et mal encadrée des pesticides
Ces dernières décennies, l’Afrique, notamment subsaharienne, a connu une intensification de l’utilisation des pesticides. Cette croissance est liée à la pression démographique, à la nécessité de produire davantage pour nourrir les populations, et à l’influence des marchés internationaux qui exigent des produits exempts de parasites.
Cependant, cette montée en puissance s’est faite sans cadre réglementaire adéquat. De nombreux pesticides interdits ailleurs — comme le parathion, le DDT ou l’atrazine — continuent d’être utilisés sur le continent. Par exemple, selon l’ONG PAN Africa, près de 60 % des pesticides vendus en Afrique sont classés dangereux par l’OMS (Organisation mondiale de la santé).
En 2020, l’Union européenne a exporté plus de 81 000 tonnes de pesticides interdits sur son propre territoire vers des pays en développement, dont plusieurs pays africains (source : Public Eye & Unearthed, 2020).
Des conséquences sanitaires alarmantes
Le manque de formation, la faible lisibilité des étiquettes (souvent rédigées dans des langues non parlées localement) et l’absence d’équipements de protection individuelle exposent directement les agriculteurs et leurs familles aux risques d’intoxication.
Cas concrets :
- Une étude menée en Côte d’Ivoire (2019) a révélé que plus de 80 % des producteurs de cacao souffraient de maux de tête, de vomissements ou de troubles respiratoires suite à l’exposition aux pesticides.
- Au Sénégal, une enquête du Centre antipoison a recensé des centaines de cas d’intoxications aiguës liées à l’usage inapproprié des pesticides entre 2015 et 2020.
Les conséquences à long terme sont également redoutables : cancers, maladies neurodégénératives (comme Parkinson), troubles hormonaux, stérilité, malformations congénitales.
Un impact environnemental dévastateur
Les pesticides contaminent les sols, les nappes phréatiques et les cours d’eau. Les insectes utiles, comme les abeilles, indispensables à la pollinisation, sont décimés. En Afrique de l’Ouest, des apiculteurs ont signalé une diminution de 60 % de leurs colonies d’abeilles en moins de dix ans. Les effets en chaîne sont multiples :
- Déséquilibre des écosystèmes.
- Apparition de résistances chez les ravageurs, poussant à un usage accru des pesticides.
- Réduction de la productivité des sols à long terme.
Un danger pour les ouvriers agricoles et les fleuristes européens
Un exemple souvent ignoré de l’usage problématique des pesticides concerne la culture intensive des fleurs coupées en Afrique de l’Est, notamment au Kenya, principal exportateur vers l’Europe. Sur les rives du lac Naivasha, des centaines d’hectares de serres utilisent quotidiennement des mélanges de pesticides, parfois interdits en Europe, pour répondre aux exigences esthétiques des acheteurs. Les ouvriers agricoles, souvent peu rémunérés et insuffisamment formés, manipulent ces produits sans équipement de protection individuel (gants, masques, combinaisons), les exposant à de graves risques sanitaires tels que maux de tête chroniques, fausses couches, stérilité et troubles neurologiques. Cette réalité est illustrée par la photo ci‑dessus, montrant un travailleur dispersant des pesticides sans aucune protection.
Mais les conséquences ne s’arrêtent pas aux frontières africaines : les fleuristes européens, en manipulant quotidiennement ces fleurs fraîchement traitées, inhalent des résidus chimiques persistants. En France, aux Pays‑Bas ou en Allemagne, plusieurs professionnels du secteur floral ont signalé des cas de dermatites, d’asthme, et même des perturbations hormonales, liées à la manipulation prolongée de ces tiges potentiellement contaminées. Ces situations soulignent l’urgence d’une traçabilité stricte, d’un étiquetage des produits utilisés, et d’un cadre réglementaire global harmonisé, incluant la culture non alimentaire. Sans ces mesures, les chaînes de production et de distribution resteront dangereuses aussi bien pour les ouvriers africains que pour les professionnels européens.
Quelles solutions ? Une agriculture plus résiliente et durable
1. Renforcement de la réglementation :
- Interdire l’importation et la vente des pesticides classés dangereux par la FAO/OMS.
- Harmoniser les politiques phytosanitaires au niveau régional (ex. : CEDEAO).
2. Formation et sensibilisation :
- Former les agriculteurs à l’usage raisonné des pesticides.
- Promouvoir les EPI (équipements de protection) à coût accessible.
3. Alternatives écologiques :
- Lutte intégrée contre les ravageurs (biocontrôle, rotations culturales).
- Agriculture biologique et agroécologie. Exemple : au Burkina Faso, des coopératives agricoles utilisent le neem (Azadirachta indica), plante locale aux propriétés insecticides, pour remplacer les produits chimiques.
4. Surveillance épidémiologique :
- Création d’observatoires nationaux des pesticides.
- Systèmes de suivi des effets sanitaires et environnementaux.
Conclusion :
L’Afrique est à un tournant. Soit elle poursuit un modèle agricole intensif basé sur la chimie, au détriment de la santé humaine et de l’environnement, soit elle opte pour une agriculture plus sobre, plus résiliente et plus respectueuse du vivant.
Cette transformation ne pourra se faire sans volonté politique, coopération internationale, et engagement communautaire. Il est urgent de considérer cette crise non pas comme une fatalité, mais comme une opportunité pour repenser le développement agricole en Afrique, en plaçant la santé publique au cœur des priorités.
