Lors de mes recherches bibliographiques récentes, je suis tombé sur des articles traitant des médicaments périmés. Certes, je ne suis pas spécialiste du domaine pharmaceutique mais, le citoyen que je suis, se pose des questions devant ce qui s’apparente, lorsque ces médicaments sont détruits, à un énorme gâchis. En revanche, si on essaie d’approfondir un tant soit peu, on s’aperçoit que l’utilisation des médicaments périmés ou en voie de l’être pourrait présenter bien des avantages (coût moindre pour les particuliers, moins de pénuries, distribution plus large dans le monde…), mais que cela pourrait engendrer des problèmes de rentabilité pour l’industrie pharmaceutique, des problèmes réglementaires voire des problèmes éthiques.
De quoi est-il question ?
Par cet article j’aimerais simplement, en ces périodes très fortement marquées par les considérations écologiques, faire prendre conscience que la destruction pure et simple des médicaments périmés est certainement une solution difficilement acceptable, mais que les solutions envisagées pour leur réutilisation ne sont peut-être pas économiquement viables, impactant aussi bien les industriels fabriquant ces médicaments que les consommateurs.
Ces réflexions s’inspirent largement de l’article de A. Arioura & D. Shaw, Use of expired drugs : Patients benefits versus industry interest.(1)
Qu’entend-on par date de péremption ?
Date de péremption
Le concept de durée de conservation a vu le jour en 1979 lorsque la Food and Drug Administration (FDA) a demandé aux fabricants de fixer une date limite d’utilisation pour les produits pharmaceutiques afin de s’assurer qu’ils fonctionnent de manière sûre et efficace pour les patients. L’agence Européenne des Médicaments donne les lignes directrices pour les tests. La date de péremption est obligatoire pour la délivrance de l’AMM.
Elle est obligatoirement inscrite sur la boîte de médicaments ou sur la plaquette et correspond grosso modo à la date limite de consommation que l’on trouve sur certains aliments. C’est la date jusqu’à laquelle les médicaments contiennent encore 90 % de leur teneur initiale en principe actif : en effet, les médicaments sont jugés efficaces tant qu’ils contiennent encore un minimum de 90% de teneur nominale en principe actif (soit une perte de 10% par rapport à son état initial).
Tout médicament contient un principe actif qui se dégrade progressivement avec le temps.
Pour fixer cette durée de péremption, des études de stabilité sont réalisées afin de déterminer jusqu’à quelle date après fabrication, un produit conservera ses propriétés thérapeutiques et organoleptiques. Cette date de péremption, en général de trois à cinq ans après la fabrication du médicament, est fixée par le fabricant lui-même qui fait preuve d’une grande prudence car il en est le seul responsable.
Les principes actifs se dégradent en fonction de la chaleur, la lumière et l’humidité. Ces facteurs environnementaux favorisent aussi le développement des micro-organismes comme les bactéries et les champignons qui peuvent aussi altérer le médicament. (3)
D’ailleurs, la notion de date de péremption prend réellement tout son sens pour des produits fragiles qui peuvent s’altérer dans des mauvaises conditions de conservation ; on peut penser aux sirops, aux pommades et autres gels, aux collyres, aux antibiotiques, aux produits injectables…
Interprétation de la date de péremption
La date de péremption ne signifie pas nécessairement que le médicament n’est plus efficace immédiatement après la date inscrite, mais plutôt qu’il n’existe pas de données ou d’études démontrant qu’ils peuvent encore être utilisés au-delà de cette date.
Une étude rapportée par le Journal of Pharmaceutical Sciences en 2006 a montré que 2/3 des 122 produits pharmaceutiques périmés testés pour leur efficacité étaient encore stables et utilisables en toute sécurité pendant des mois. La date de péremption a donc été prolongée d’un à cinq ans pour certains d’entre eux, avec une prolongation moyenne de 66 mois.(3)
Dans de nombreux pays, les autorités militaires disposent de stocks de produits pharmaceutiques qui sont contrôlés chimiquement et physiquement chaque année. Les résultats de ces contrôles ont montré que les produits pharmaceutiques sont très résistants.
Une étude américaine (4) de 2012 a analysé huit médicaments délivrés uniquement sur ordonnance et stockés entre 28 et 40 ans dans une pharmacie. Quatre-vingt-six % des substances contenaient au moins 90 % de l’activité spécifiée du produit pharmaceutique. Ce pourcentage devrait suffire pour la grande majorité de la population car l’absorption des produits pharmaceutiques varie d’un individu à l’autre. Néanmoins, la réglementation et la législation de la plupart des pays interdisent aux pharmaciens et aux prestataires de soins de santé de délivrer des médicaments périmés. Mais attention, dans certains cas la date de péremption ne doit pas être dépassée comme pour l’insuline, l’épinéphrine, la tétracycline (qui peut donner des produits de décomposition toxiques) et d’autres antibiotiques.
Peut-on mettre les médicaments à la poubelle ?
Les médicaments ne sont pas des produits alimentaires. En les jetant dans une poubelle réservée aux déchets ménagers, à l’évier ou dans les toilettes, ils risquent de se répandre dans l’environnement en polluant des ressources naturelles. Les principes actifs peuvent contaminer durablement les rivières et les sols et ils représentent un véritable danger pour l’environnement.
Un dispositif de récupération et de valorisation des déchets pharmaceutiques issus de la consommation de médicaments par les ménages, a été mis en place dès 1993 par l’association Cyclamed. Depuis 2009, La France a choisi de consolider cette filière de prévention et de gestion des médicaments à usage humain non utilisés (MNU) par un encadrement réglementaire.(5)
Chaque année, plus de 14 000 tonnes de MNU collectés dans le réseau des 22 500 officines de pharmacie sont valorisés (sic) énergétiquement par incinération. Seuls les médicaments sont concernés par le dispositif de tri Cyclamed. Avant de déposer vos produits à la pharmacie, supprimez tous les contenants, notices et autres emballages : ils iront, eux, dans une poubelle spécifique de tri sélectif.
Une fois les médicaments périmés ou non périmés ramenés chez votre pharmacien, ils sont pris en charge par l’association Cyclamed. Les médicaments sont alors transportés jusqu’à une des 55 unités d’incinération prévues à cet effet en France. L’énergie récoltée par l’incinération est ainsi utilisée pour produire de l’électricité.
En quelle quantité ?
Un volume massif de médicaments périmés s’accumule chaque année dans le monde en raison de la sur-prescription pharmaceutique, combinée à la surproduction.
En plus des médicaments périmés, plus d’un milliard d’euros de médicaments non périmés sont détruits chaque année en France (6). Les pharmacies envoient à la destruction les médicaments 3 mois avant leur date de péremption. Quant aux industriels c’est 6 mois avant, considérant que les pharmacies les refuseraient. Chaque pharmacie envoie en moyenne 15 000 euros de médicaments et de produits de parapharmacie en destruction chaque année. En incluant les grossistes et les laboratoires, c’est plus d’un milliard d’euros de produits qui sont détruits chaque année, incinérés ou enfouis pour un coût écologique faramineux.
Pourquoi ?
L’envie est grande parfois d’utiliser, un peu dans l’urgence, une boite de médicaments stockée dans notre armoire à pharmacie, mais dont la date de péremption est dépassée de quelques mois. Toutes les informations dont vous disposez, sur la fiche du médicament, sur internet, de la part de votre pharmacien et même de votre voisin vous en dissuadent mais les raisons données ne sont pas claires : au mieux, le médicament est devenu inactif, au pire il est toxique !
Comme nous l’avons vu plus haut, une grande quantité des médicaments sont encore pleinement actifs bien longtemps après la date de péremption. (7,8)
La question qu’on peut légitimement se poser est la suivante : peut-on réutiliser ces médicaments, quels en seraient les avantages et les inconvénients ? D’autant plus que certaines organisations comme le « Comité Permanent des Médecins Européens (CPME) demande à la commission européenne de réviser la règle de la possibilité de prolonger les dates de péremption des produits pharmaceutiques.(9)
Les avantages de l’utilisation de produits pharmaceutiques périmés
De nombreux pays en développement et autres pays à revenu moyen ne peuvent pas acheter des produits pharmaceutiques et souffrent d’une pénurie aiguë de nombreux médicaments essentiels, tels que les antibiotiques et d’autres. Parfois, lorsqu’un traitement est prescrit, les patients ne prennent qu’une pilule sur deux ce qui fait que, non seulement ils ne sont pas soignés mais ils présentent souvent des problèmes ultérieurs. Peut-être serait-il plus satisfaisant de rediriger les médicaments périmés dont l’efficacité et l’innocuité ont été prouvés vers ces pays ? Pour ne pas contrevenir aux règles de l’éthique, le donateur peut utiliser les médicaments périmés et fournir des lots frais à ceux qui en ont besoin. On évite le gaspillage, on économise de l’argent et on fait preuve de solidarité.
Depuis 2009, les médicaments périmés ou non utilisés ne peuvent plus être envoyés dans les pays en développement comme c’était le cas auparavant. L’Union européenne et les organismes d’aides favorisent l’envoi de médicaments neufs, à la traçabilité connue, pour des raisons sanitaires.
Les intérêts financiers des entreprises pharmaceutiques
Bien évidemment, et cela se comprend, l’industrie pharmaceutique n’est pas favorable à cette redistribution. Actuellement rien ne l’oblige à tester les médicaments au-delà des dates limites et ils ne prennent pas part à l’effort financier que cela impliquerait. D’autres part, un médicament jeté même encore valable est un médicament vendu à sa place. Il est vrai que pour ce type d’industrie les bénéfices servent à la recherche et au développement d’autres molécules en faisant évoluer nos médicaments, l’obligation de prolonger la date de péremption pourrait avoir des conséquences négatives sur leurs performances et sur l’industrie pharmaceutique en général. Le producteur ne s’intéressant plus aux médicaments ne se renouvelant pas assez pourrait en arrêter la production ce qui en réduirait l’accès et/ou en augmenter le prix.
Programme de prolongation de la durée de conservation : Shelf Life Extension Program (SLEP)
À la fin des années 1980, la FDA et le Département de la Défense des États-Unis se sont mis d’accord pour prolonger la date de péremption de certains médicaments afin de réduire les coûts de remplacement. Chaque année, des médicaments provenant des stocks sont sélectionnés en fonction de leur valeur et de leur date de péremption imminente, et analysés par lots afin de déterminer si leur date de péremption peut être prolongée en toute sécurité. L’expérience a montré que la durée de conservation réelle de nombreux médicaments est bien supérieure à la date de péremption initiale. Personne n’a été lésé par des médicaments périmés dans l’étude après leur utilisation.
Dans certains cas, la FDA peut autoriser une autorisation d’utilisation d’urgence (EUA) au cas où un produit périmé serait considéré comme non approuvé, mais cela est limité aux urgences liées au domaine NRBCe.
Quel est le dilemme ?
Devons-nous donner la priorité à la santé des patients ou devons-nous soutenir l’industrie pharmaceutique qui est un acteur majeur dans la mise à disposition des médicaments ?
- L’industriel nous affirme qu’il n’est pas dans l’intérêt des patients de leur donner des médicaments périmés (cet argument tient de moins en moins) ;
- Il est clairement dans l’intérêt des patients de leur permettre d’accéder à des médicaments abordables en donnant une seconde vie aux médicaments périmés ;
- Cela pourrait également permettre aux systèmes de santé d’économiser de l’argent.
Pour ménager les intérêts des fabricants de produits pharmaceutiques, ne pourrait-on pas exiger de toutes les entreprises pharmaceutiques qu’elles effectuent des tests de stabilité à long terme afin d’établir des étiquetages plus précis. La mise en œuvre d’un programme d’extension a un coût, mais il est évident qu’il permet d’économiser beaucoup en réutilisant les médicaments périmés.
On notera aussi que dans ce cas de figure peut-être y aurait-il moins de pénuries de médicaments ?
Conclusion
Plusieurs études ont apporté des preuves supplémentaires de la pleine efficacité des produits pharmaceutiques au-delà de leur date de péremption, parfois pendant des décennies. La prolongation de la durée de conservation est une bonne solution pour donner une seconde vie à ces produits, pour éviter la pénurie de certains médicaments et pour rendre les médicaments abordables pour les personnes à faible revenu. En fait, la prolongation de la durée de vie sûre et efficace des médicaments est un impératif éthique.
De nos jours, la plupart des médicaments périmés sont ceux qui n’ont pas été consommés intentionnellement ou non. S’il est prouvé que les produit sont sûrs et efficaces, il serait bien utile de le remettre sur le marché et de le rendre disponible pour les patients qui en ont le plus besoin. Mais il ne faut pas non plus que ce concept nuise à l’industrie pharmaceutique et ralentisse sa capacité à nous proposer des formulations nouvelles et améliorées.
Un effort pourrait donc être demandé à l’industrie pharmaceutique pour qu’elle allonge la durée de vie des médicaments. L’effort est important quand on sait que cela ne peut pas se faire d’une manière uniforme mais que ça dépend de la nature du principe actif et de la forme galénique du médicament. Ceci ne peut se faire qu’au travers de concertations entre les industriels et les autorités de santé de façon a ce que des médicaments puissent être à la disposition des pays en développement dont les populations ne peuvent pas acheter les médicaments (médicaments courants aussi bien que les médicaments très onéreux comme ceux utilisés dans les chimiothérapies par exemple), sans pour autant pénaliser l’industrie pharmaceutique dont le rôle est fondamental pour la santé des populations.
Les « Big Pharma » s’honorerait à rendre accessibles les médicaments à toutes les populations en évitant l’incinération pure et simple de molécules complexes qui ont été mises au point à grand renfort de capitaux !
Bibliographie
1- A. Arioua & D. Shaw, Use of expired drugs : Patients benefits versus industry interest. JMA J, 2024, 7, 1-4
2- https://www.3ssante.com/peremption-des-medicaments-demeler-le-vrai-du-faux/
3- Lyon R.C., Taylor J.S., Porter D.A., et al. Stability profile of drug peroducts extended beyond labeled expiration dates, J. Pharma. Sci., 2006, 95, 1549-1560.
4- Lee Cantrell et al. Stability of Active Ingredients in Long-Expired Prescription Medications. Archives of Internal Medicine 2012; DOI 10.1001/archinternmed.2012.4501. http://archinte.jamanetwork.com/article.aspx?articleid=1377417
5- https://www.ecologie.gouv.fr/medicaments-non-utilises
7- Sandford-Smith J. Outdated drugs may be useful. BMJ., 2003, 326, 51
8- Sarla G.S., Efficacy and disposal of drugs after the expiry date, Egypt. J. Inter. Med. 2019, 31, 431-434
9- On 23 May 2015, the CPME Board adopted the “CPME position paper on rules regarding expiration dates of pharmaceuticals” (CPME 2014/074 Final)
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