Une évolution significative des risques et des menaces
Les récentes interventions de madame la Ministre des armées, celle relative la révision 2021 de la Revue stratégique de 2017 et celle en date du 1er février 2021 prononcée à l’occasion du Comité exécutif sur le contre-terrorisme à la base aérienne d’Orléans Bricy, mettent en évidence les risques et les menaces qui pèsent sur le monde, sur les pays occidentaux, et sur la France en particulier. Ces menaces ont passé un cap de criticité tant par leur nature que par leurs effets constatés ou évalués, mais aussi par leur prégnance, leur étendue et leur diversité.
Ces menaces sont, comme le constate la Revue stratégique ainsi révisée, le fruit « de pratiques désinhibées de certaines puissances mais aussi de la part de certains groupuscules terroristes ». Nous pouvons aussi y ajouter ceux qui, par aubaine, par profit, par intérêt idéologiques ou par esprit de nuisance, sont impliqués dans les trafics illégaux et mafieux, dans le crime organisé, menant des actions coordonnées ou non, parfois même isolées. Ainsi sur fond de menaces les plus évidentes et visibles que sont « le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, et le durcissement de la compétition entre puissances », on trouve bien d’autres preuves de stratégies hybrides et de mise en œuvre de moyens et d’actions protéiformes. Il s’agit « de la combinaison d’actes directs et indirects, légaux et illégaux tels que l’utilisation de groupes armés, le cyber, le spatial, la manipulation de l’information et l’instrumentalisation du droit ».
Force est de constater que contrairement aux armes nucléaires et conventionnelles, aux armes cybernétiques et spatiales, les armes relevant du domaine NRBC ne sont pas considérées comme étant des menaces de premier rang. En effet, la synthèse de l’actualisation de la Revue stratégique ne parle explicitement que du nucléaire et c’est dans le texte même de la révision de cette Revue stratégique qu’est développé ce qui relève du NRBC dans son ensemble et sous tous ses aspects. En revanche, et c’est nouveau[1], ces dernières menaces sont parfaitement bien désignées et sont citées comme des composantes d’importance notamment en tant qu’armes de destructions massives et comme armes de désorganisation des organisations internationales ou inter- étatiques et des structures, des ressources qui sont plus particulièrement indispensables au bon de fonctionnement des états.
« La menace NRBC s’est par ailleurs diversifiée et ne se limite plus aux seuls théâtres d’opérations. L’emploi répété d’agents chimiques à des fins de terreur ou d’empoisonnement a renforcé le sentiment qu’un tabou était levé. La menace est donc réelle, y compris sur le territoire national, et elle pourrait encore se renforcer avec les évolutions attendues en matière de biologie de synthèses »;
En 2017, dans la Revue stratégique, ces mêmes menaces étaient jugées comme ne pouvant être exclues[2].
Ainsi, dans ce tableau général particulièrement sombre et fourni de menaces en ce début 2021, tableau qui ne peut qu’inquiéter et interroger, se trouvent les menaces NRBC, acronyme auquel il peut, de notre point de vue, être adjoint le « E » de « Explosif ». En effet, si on pense en premier rang, à la prolifération des armes nucléaires et des armes conventionnelles, missiles par exemple, il ne faut en rien négliger, notamment celle des armes ou des agents chimiques, biologiques ou bactériologiques de destruction massive que nous pouvons considérer aussi comme étant des armes « à potentiel de désorganisation massive[3] ». En effet, il ne faut pas oublier les armes conventionnelles explosives produites à très grande échelle industrielle ou tout simplement fabriquées artisanalement à coût réduit qui peuvent y être associées. D’ailleurs, on compte dans la liste noire des faits marquants de 2020, les récents attentats au Liban et, certes, ce n’est pas vraiment de même nature, l’explosion du port de Beyrouth, aux effets dévastateurs qui ont consterné la communauté internationale. Ces évènements sont directement, l’attentat, mais aussi indirectement, l’accident, la preuve de ce que peut être l’ampleur des stocks « clandestins ou mal contrôlés et surveillés» de matières dangereuses existant dans le monde. Cela laisse donc imaginer les stocks de matières chimiques ou de composants illicites les plus divers qui existeraient à ce jour.
Les enseignements, liés au NRBC, tirés du constat exprimé dans la révision de la Revue stratégique :
Les leçons de ce constat inquiétant et alarmant sont tirées dans ce document d’actualisation de la Revue stratégique. Elles sont clairement explicitées et mettent en lumière la nécessaire remise en question de l’appréciation que nous avions du niveau de notre résilience face aux risques et aux menaces contemporains et des capacités de nos forces militaires à pouvoir y faire face ; mais pas seulement, car il s’agit aussi de reconsidérer la réalité de la résilience de nos forces de sécurité publique, de nos forces de sécurité civile, aussi bien que celle de notre système de santé, dont on sait aujourd’hui combien il est fragile[4]. En effet, toutes ces composantes de l’action régalienne ont été mises à mal par des politiques publiques de restrictions budgétaires, par les coups de butoir de crises et de tensions intérieures[5], sociales, les mouvements des gilets jaunes, sociétales, la présence de bandes armées ou de contestataires de tous bords virulents et violents, dans certaines zones urbaines et même rurales. Dans un autre registre, le système de santé a été au bord de la rupture au plus fort de crise sanitaire, avec la pandémie de Covid-19[6].
Ainsi, ces travaux de la Revue stratégique de 2021 ont conduit la Ministre des armées à considérer que la fonction « protection résilience » s’affirme désormais comme indispensable. « En effet les notions de protection et de résilience se complètent, la résilience étant un prérequis indispensable pour assurer la protection des français et du territoire national et garantir les fonctions essentielles de la Nation ». Il en découle un constat, on ne peut plus « mitigé », eu égard à ce qui s’est passé avec « la pandémie de Covid-19 qui a mis en évidence chez les puissances occidentales de réelles fragilités étatiques, depuis les mécanismes d’alerte jusqu’aux systèmes de santé, qui sont susceptibles d’inciter à une exploitation opportuniste ».[7]
D’autre part il est rappelé que, « avec le dispositif Vigipirate et l’opération Sentinelle les armées ont montré, depuis plusieurs années, qu’elles étaient en mesure d’apporter aux forces de sécurité intérieure un concours précieux et modulable en fonction de l’évolution de la menace, terroriste. Ce rôle accru en matière de sécurité intérieure a nécessité des moyens et un entraînement spécifique. De même face à la menace NRBC, notamment de nature terroriste, il paraît indispensable de renforcer les équipements dédiés, ainsi que l’acculturation de tout le personnel, et de poursuivre les programmes de recherche dans les domaines biologique et chimiques[8] ». La synthèse de la revue stratégique évoque l’impérieuse nécessité d’assurer « la mise en œuvre d’une fonction stratégique « protection – résilience et la reconstitution d’une certaine « épaisseur » organique (stocks, moyens logistiques…) »[9]. La Revue précise que « les armées françaises devront retrouver progressivement en masse critique, en effectifs et en équipements ».
Ludovic Ouvry dans un article de SLD Opérationnels rappelait que « le caporal stratégique » doit avoir des équipements, notamment NRBC[10], pour qu’il puisse rester stratégique ». Le caporal stratégique du système de santé, le soignant, ne doit pas manquer d’équipements et de moyens, masques, respirateurs, tablier et combinaisons de protection, gants, lunettes, ni pour s’instruire, ni pour s’entraîner et pour répéter les bons gestes afin d’être en mesure d’exécuter bien, au plus fort de la crise, les actes technico-opérationnels élémentaires, individuels et collectifs qui lui incombent[11]…. Qui plus est, il apparaît que « le renforcement de la protection des forces sera nécessaire sur leurs emprises et leurs plates-formes de combat et concernera les domaines de la santé et du NRBC ». Sans nul doute que ce renforcement devra être appliqué aussi sur le territoire national.
La Revue stratégique aborde aussi le sujet de l’importance du maintien à niveau des filières industrielles stratégiques[12] et aussi de leur impérieuse nécessité de préserver la sécurisation et l’autonomie d’approvisionnement en ressources rares[13], car en temps de crise « tout le monde en veut ! ».
Pour conclure cette analyse nous ajouterons d’une manière générale et plus particulièrement pour le domaine NRBC, que si la capacité d’innovation est fondamentale, il ne faut en rien négliger les besoins en compétences qui en découlent : l’ingénierie de production, trop souvent délaissée et oubliée en France, la conception de machines outil, la logistique et les circuits commerciaux, les savoir-faire artisanaux, parfois uniques et les bras qui les incarnent….
Nous le constatons actuellement, un système industriel et son réseau de distribution, une fois démantelés ne renaitront pas au claquement de doigt, du jour au lendemain[14].
Vous pouvez télécharger la Actualisation 2021 de la Revue stratégique des Armées via ce lien : Revue stratégique des Armées 2021
[1] Jusque très récemment les menaces de nature NRBC étaient plutôt publiquement évoquées mais sans pour étant être explicitement détaillées et décrites dans les Revues stratégiques ou dans certaines déclarations étatiques dès lors qu’il s’agissait de possibilités d’attaques chimiques de masse.
[2] Pour Ludovic Ouvry, dans DSI Hors-série « Eurosatory 2018 » « Le terrorisme NRBC reste un risque très crédible et donc plausible ».
[3] Cf. Entretien : Ludovic Ouvry dans DSI Hors-série « Eurosatory 2018 », « Contrer les risques NRBC » page75
[4] La défense nationale au titre de la Constitution est globale et, depuis 2009, est instauré un conseil de défense et de sécurité nationale devant traiter de la sécurité intérieure.
[5] L’agressivité et la violence constatée contre les forces de l’ordre (jets d’acide, usage de mortiers explosifs..), nécessitent d’adopter des équipements de protection notamment faciale, adaptés aux projectiles et aux matières utilisées (masques ou cagoules respiratoires, cartouches, qui seraient parfois même placés à portée de main).
[6] Le manque d’équipements basiques de protection individuelle a été critique.
[7] D’où la nécessité d’acquérir, notamment, des tenues d’instruction adaptées (i.e similaires aux tenues en service opérationnel) et d’instruire le personnel sur les bons gestes à appliquer (habillage et déshabillage, entre autres) et de s’entraîner avec.
[8] Cf. Entretien : Ludovic Ouvry dans DSI Hors-série « Eurosatory 2018. « Il est très important de maintenir à niveau à défaut de les renforcer, les centres d’essais spécialisés ».
[9] Le NRBC, semble effectivement, depuis 2019, faire l’objet d’un effort d’investissement en achats d’équipements et en programmes dans lesquels la société Ouvry est, parmi d’autres, partie prenante.
[10] Pour le NRBC, le triptyque « Protection, détection-identification, décontamination immédiate ou d’urgence » est essentiel pour la survie du combattant et pour permettre aux forces de poursuivre le combat.
[11] Dans son activité industrielle Ouvry applique une stratégie de développement d’équipements duaux (Défense et sécurité publique ou civile), en particulier pour le domaine des secours et de la santé. Comme beaucoup d’autres PME, Ouvry a contribué à la fabrication et à l’approvisionnement d’équipements lors de la crise sanitaire de la Covid-19.
[12] Ludovic Ouvry, juin 2018 DSI page 75: « les antidotes contre les agents, qui n’intéressent pas l’industrie pharmaceutique (activité trop peu rentable) doivent faire l’objet d’un effort particulier de la part du Service de Santé des Armées….
[13] NRBC, adjuvants, charbon actif, tissus, …
[14] Usine de fabrication des masques en Bretagne ; création d’une chaîne de fabrication ou de conditionnement de vaccins.