Au moment où la contestation contre les vaccins est toujours d’actualité, nous allons nous intéresser à un vaccin dont l’obligation a été abrogée en France en 1984 : le vaccin antivariolique. En effet, si la variole est éradiquée de la surface du globe (le dernier cas a été signalé en octobre 1977 à Merqua en Somalie), justifiant ainsi l’arrêt de l’obligation vaccinale, cette maladie représente un danger potentiel puisqu’elle est toujours considérée, dans le cadre du NRBCe, comme une des armes biologiques majeures, classée en catégorie A. Le vaccin antivariolique est donc toujours d’actualité. Mais, rassurons-nous, il ne fait pas partie des 11 vaccins obligatoires qui font beaucoup parler d’eux en ce moment !
Un peu d’histoire
La grande parenté des virus tels que le monkeypox (singe), le cowpox (bovin), ou le camelpox (chameau) montre que la maladie est apparue au néolithique à partir de la domestication des animaux au moment de la sédentarisation soit au IVe millénaire avant J.-C. Le virus de la variole bovine pourrait être très proche de l’ancêtre commun à tous ces virus. On la retrouve dans l’Antiquité au Moyen Orient (des momies Égyptiennes sont marquées par la maladie). Elle est présente aux Indes, en Chine et dans l’Empire Romain où elle a certainement été à l’origine de plusieurs épidémies. Mais, pour la première fois, elle a été bien individualisée en 570 en France et en Italie, et c’est Marius, évêque d’Avenches, qui le premier utilisa le terme de Variola pour décrire l’épidémie qui faisait rage cette année-là.
Très contagieuse, la variole est due à un orthopox virus. Pendant des siècles elle a sévi sur tous les continents en décimant les populations. C’est sans doute l’une des maladies les plus meurtrières qu’ait connue l’humanité.
La maladie
Les symptômes
Le virus reste silencieux pendant la période d’incubation qui est de 12 à 14 jours. L’apparition de la maladie est soudaine : symptômes grippaux, fièvre, céphalées, prostration… Puis, la température baisse, et apparaît l’éruption caractéristique de la maladie sur le visage, les mains, les avant-bras puis plus tardivement le torse. Les vésicules sont remplies d’un liquide clair, elles se transforment en pustules contenant du pus qui se transforment ensuite en croûtes qui sèchent et se détachent. La variole était mortelle dans 30% des cas.
La transmission
C’est une maladie exclusivement humaine. La transmission se fait par les voies respiratoires (postillons, aérosols) et contacts cutanés avec les pustules. Les croûtes séchées retrouvées dans les vêtements sont aussi infectieuses.
La mort
Elle intervient à cause de l’accumulation de produits toxiques dans le sang issus de la multiplication du virus. Ceci provoque un œdème aigu du poumon, un choc septique ou un collapsus cardiovasculaire. Avant l’apparition des antibiotiques, les surinfections bactériennes cutanées ou pulmonaires augmentaient la mortalité du virus. Dans la grande majorité des cas il reste des séquelles importantes comme des marques indélébiles sur le visage.
La prophylaxie
La variolisation
Les personnes qui ont contracté la maladie mais qui n’en sont pas mortes sont protégées plusieurs années, voire décennies. La variolisation consiste donc à inoculer un sujet sain avec le contenu d’une vésicule d’un malade faiblement atteint ou lui-même variolisé pour le protéger de la variole. On pensait que cette forme de maladie était peu virulente et qu’elle pourrait protéger les sujets d’une manière efficace. Le résultat restait néanmoins aléatoire et risqué, le taux de mortalité ayant été chiffré à 2%.
Cette pratique est certainement née en Chine et elle s’est propagée le long de la route de la soie. La technique est importée en Occident par au début du XVIIIe siècle par Lady Mary Wortley Montagu, épouse de l’ambassadeur d’Angleterre en Turquie qui a variolisé ses propres enfants. À quelques rares exceptions près, cette méthode controversée car risquée et accusée de provoquer des épidémies, les personnes inoculées étant contagieuse, n’a jamais été pratiquée dans la population française.
Le principe de la vaccination
Edward Jenner ( – ) était un scientifique et médecin anglais.
En partant de l’observation que les trayeuses de vaches ne contractaient généralement pas la variole, il a théorisé que le pus présent dans les vésicules des trayeuses qui avaient contracté la vaccine (une maladie semblable à la variole, mais beaucoup moins virulente), protégeait les trayeuses de la variole. En effet, le virus de la vaccine (cowpox) est très proche du virus de la variole (smallpox) et donne chez l’homme une maladie bénigne transmissible qui peut être à l’origine d’une réaction croisée protectrice contre la variole.
, Jenner a testé sa théorie en inoculant James Phipps, un jeune garçon de huit ans, avec le contenu des vésicules de vaccine de la main de Sarah Nelmes, une trayeuse qui avait contracté la vaccine transmise par une vache. Quelques temps après, il « variolise » le jeune garçon qui ne présente alors aucune réaction : il est donc bien protégé contre le virus de la variole. La protection a été réalisée par l’injection de vaccine ou « vaccination » . Ce type de protection sera ensuite nommée « vaccination Jennerienne » par Pasteur (plus tard, simplifiée pour devenir la « vaccination »). Jenner poursuit ses travaux et finalement la vaccination fut acceptée et, en 1840, le gouvernement britannique interdit la variolisation et encourage la vaccination gratuite. Elle s’est ensuite répandue dans toute l’Europe.
On notera que la transmission de la vaccine a été longtemps réalisée de bras à bras mais on constata que, non seulement cela entraînait une diminution de l’efficacité du vaccin mais que cela permettait aussi la transmission de maladies telles que la syphilis. Le virus a ensuite été prélevé directement sur un bovidé malade du cowpox.
En réalité, le virus vaccinal qui a ensuite été utilisé, en particulier pour l’éradication de la maladie n’est pas du virus cowpox (CPXV) comme celui utilisé par Jenner mais du virus de la vaccine (VACV) qui lui immunologiquement est très proche.
Le vaccin et l’éradication de la variole
À la fin des années 60, la variole était encore endémique en Afrique et en Asie, c’est donc dans ces régions que se sont principalement concentrés les efforts de l’OMS pour lutter contre cette terrible maladie. L’efficacité d’une vaccination de masse des populations n’a pas donné les résultats escomptés et c’est par une autre méthode dite de « surveillance-endiguement » que la variole a été endiguée totalement. Ce processus long et minutieux a consisté à isoler les malades et à vacciner tous leurs contacts afin de rompre la chaîne de transmission. C’est en 1980 que le directeur général de l’OMS proclame l’éradication mondiale de la variole.
Vaccination contre la variole
L’obligation vaccinale en France
La Loi du 23 décembre 1874 (Loi Roussel) oblige les nourrices à être vaccinées contre la variole. En 1902 que la France instaure le premier vaccin obligatoire, en l’occurrence celui contre la variole. La suppression de la vaccination contre la variole chez les bébés eut lieu en 1979. Cette décision était intervenue après plusieurs accidents provoqués par des encéphalites varioliques. On avait alors jugé que le risque causé par la vaccination était plus grand que le risque d’être atteint par la maladie. La suppression de la re-vaccination (rappels) est intervenue en 1984.
Les vaccins antivarioliques
Les vaccins de première génération
Ce sont les vaccins traditionnels historiques constitués de virus vivants réplicatifs. Ces vaccins contiennent des virus de la vaccine entretenus sur les animaux ou l’œuf. Ils peuvent être à l’origine de complications post-vaccinales et ne correspondent plus aux normes des bonnes pratiques de fabrication, ils n’ont donc plus d’AMM. Mais des réserves importantes ont été constitués et ils pourront être utilisés en cas de besoin important.
Les vaccins de deuxième génération
Ce sont les mêmes souches virales qui sont utilisées mais elles sont produites sur des cultures cellulaires.
Deux types de vaccin ont été développés : un vaccin monoclonal après sélection d’un clone viral atténué et un vaccin polyclonal respectant la diversité antigénique du virus initial.
Le seul vaccin de deuxième génération homologué est le vaccin monoclonal ACAM2000 actuellement fabriqué par Sanofi Pasteur Biologics et constitué d’un clone viral cultivé sur cellules Véro. Actuellement homologué aux États-Unis en Australie et à Singapour et a été administré à plus de 1 million de personnes. Il présente peu de complications post-vaccinales.
Les vaccins de troisième génération
Ces vaccins sont aussi des virus vivants de la vaccine produits en culture cellulaire. Ayant perdu plusieurs gènes ils sont atténués et ne sont plus capables de se répliquer dans des lignées cellulaires humaines. C’est le cas du vaccin Imvanex/Imvamune fabriqué par Bavarian Nordic. Ce vaccin est homologué en Europe et au Canada. Administré à plus de 7 600 personnes il n’a pas donné de complications postvaccinales.
Ces 2 types de vaccin ont montré un pouvoir protecteur chez les animaux.
Les vaccins de première génération induisent une protection de 80% qui s’élève à 95% chez les personnes plusieurs fois revaccinées. Après une exposition, une vaccination est capable de protéger quand elle est administrée dans les 3 à 4 jours qui suivent l’exposition. En France, la suspension de la primovaccination est intervenue en 1978 et les rappels en 1984. On considérait en 2004 que plus de la moitié de la population n’avait jamais été vaccinée (don bien plus en 2017) et que l’autre moitié présentait une protection déjà ancienne. La vulnérabilité immunitaire des populations vis-à-vis d’une réintroduction de la maladie est donc préoccupante.
Les risques post-vaccinaux
Le vaccin antivariolique est très réactogène surtout chez les primo-vaccinés. Il peut donc présenter un certain nombre d’effets secondaires qui peuvent être graves.
Certains accidents sont fréquents mais réversibles comme l’inoculation accidentelle et la vaccine généralisée.
L’inoculation accidentelle est une contamination à distance de la lésion vaccinale généralement située au niveau de l’oeil ou du périnée chez le sujet vacciné, voire sur la peau des sujets contacts de l’entourage du vacciné car la pustule vaccinale est relativement contagieuse.
La vaccine généralisée est l’apparition quelques jours après l’inoculation d’une éruption couvrant parfois la totalité du corps : le pronostic est bon.
Beaucoup plus redoutables avec risque fatals sont l’eczéma vaccinal, la vaccine progressive et l’encéphalite post-vaccinale
L’eczéma vaccinal a une fréquence de 1,5 à 4,5 cas pour 100 000 primo-vaccinations dont 6% fatals,Cette complication qui intervient chez des patients atteints d’eczéma ou ayant des antécédents d’eczéma : une éruption au niveau de l’eczéma et l’inflammation intense peut être particulièrement grave si la surface lésée est importante.
La vaccine progressive létale à 45% (vaccinia necrosum) se produit chez les sujets immunodéprimés : la lésion vaccinale ne guérit pas, des lésions secondaires apparaissent sur tout le corps et la mort peut intervenir dans les é à 5 mois suivants la vaccination.
L’encéphalite post-vaccinale à raison de 1 cas pour 100 000 primo-vaccinés surtout nourrissons, elle est mortelle dans 30% des cas et laisse parfois de lourdes séquelles chez les survivants. Elle se caractérise par des convulsions chez l’enfant de moins de 2 ans ou bien par un tableau comprenant fièvre, vomissements, céphalées et malaise avec perte de conscience , confusion et même coma chez les enfants de plus de 2 ans.
Il peut aussi se produire des myocardites et péricardites.
Prise en charge des accidents vaccinaux
Le traitement des accidents post-vaccinaux peut se faire par l’administration d’immunoglobulines anti-vaccine. Ces immunoglobulines sont constituées de plasma hyper-immuns collectés auprès de volontaires récemment vaccinés. Le stock est constitué de poches individuelles conservées au froid.
La société Emergent BioSolution Inc. commercialise la « Vaccinia Immune Globulin Intravenous (human) = VIGIV. Ce produit aussi appelé CNJ-016 est approuvé par la FDA en 2005 et par le ministère de la santé Canadienne en 2007. Il est constitué d’une solution stérile d’immunoglobulines (>96%) contenant des anticorps anti-virus de la vaccine stabilisés par du maltose et du polysorbate 80. Il ne contient aucun conservateur et se conserve jusqu’à 10 ans à – 15°C. Les Ig proviennent de plasmas de donneurs sélectionnés venant de subir un rappel vaccinal afin de booster leur titre en anticorps.
VIGIV est indiqué pour le traitement des complications vaccinales de la variole : l’eczéma vaccinal, la vaccine progressive, la vaccine généralisée, les inoculations accidentelles (sauf la kératite ou il est même contre-indiqué) et les problèmes cutanés particuliers. Elle n’est pas efficace contre l’encéphalite. Le produit est injecté par voie intraveineuse.
Application au bioterrorisme
La menace d’une épidémie de variole est faible mais elle est prise au sérieux par les organismes étatiques français. Les stocks de vaccins sont suffisants pour l’ensemble de la population française. Les procédures sont en place dans le plan biotox qui définit 5 niveaux d’alerte.
Les vaccins sont de première génération dont on sait que les complications post-vaccinales sont de l’ordre de 14 et 52 cas d’effets secondaires/million avec la mort de 1 à 2 personnes/million (OMS) . Donc en cas d’attaque il faudra se poser la question du rapport bénéfice/risques. D’autres références montrent que les cas d’accidents post-vaccinaux peuvent être plus importants : de l’ordre de 1/800 en primo-vaccination et 1/ 10 000 en re-vaccination (Lane et al.)
Parmi les vaccins de 2ème génération l’ACAM2000 est le seul approuvé par la FDA. Il est en cours de rachat à Sanofi par Emergent BioSolutions Inc. Administré à 1 million de personnes, aucune séquelle grave n’a été relevée mis à part des myopéricardites. Il donne donc moins d’effets secondaires et il est surtout beaucoup moins neurovirulent que les vaccins de 1ère génération.
Le vaccin Imvanex/Imvamune fabriqué par Bavarian Nordic est de la 3ème génération. Incapable de se reproduire dans les lignées cellulaires humaines. Administré à plus de 7 600 personnes, y compris chez des personnes séropositives au VIH et des patients présentant une dermatite atopique, il a été parfaitement toléré. Les Etats-Unis en ont commandé 20 millions de doses en 2009 et ont pris une option de 60 millions de dose.
En revanche, aucune donnée n’a été fournie concernant les enfants et les femmes enceintes. Leur pouvoir protecteur n’a été démontré que chez l’animal.
En France, la stratégie vaccinale est décidée par la SGDSN. Le HCSP (Haut Conseil de Santé Publique) a préconisé en 2012 de réviser le plan variole en constituant par exemple un stock de vaccins de 3ème génération à destination des primo-intervenants soit 250 000 doses pour la vaccination de 125 000 personnes. Le dossier est classé « confidentiel ».
Conclusion
Face à une éventuelle menace terroriste de variole, la vaccination est la seule mesure préventive opérationnelle. Elle doit être restrictive et modulée en fonction du risque épidémique supposé comparé au risque des complications post-vaccinales. Le système d’alerte doit être efficace ainsi que la formation du personnel médical, l’immense majorité de celui-ci n’ayant jamais été confronté à cette maladie.
Bibliographie
M. Rey, N. Guérin. Variole et menace bioterroriste. Antibiotiques, 2004, 6, 214-216
J. M Lane, F. L. Ruben, J. M. Neff, J. D. Millar. Complications of Smallpox Vaccination, 1968: Results of Ten Statewide Surveys. J. Infect. Dis. 1970, 122, 303-309.
OMS. Innocuité des vaccins antivarioliques (lu le 26/09/2017)
OMS. Initiative mondiale sur la sécurité des vaccins. Sécurité des vaccins antivarioliques : questions et réponses (lu le 26/09/2007)
Emergent biosolutions. Emergent BioSolutions to acquire ACAM2000 business from Sanofi (lu le 26/09/2017)
Julie Dimier. Développement d’un vecteur virus de la vaccine, réplicatif et attenué, pour la vaccination antivariolique et pour la vaccination contre la fièvre hémorragique à virus Ebola. Sciences agricoles. Université de Grenoble, 2012. Francais.
La variole a été éradiquée grâce au vaccin antivariolique (lu le 26/09/2017)
J.D. Shearer, L. Siemann, M. Gerkovich, R. V. House. Biological activity of an intravenous preparation of human vaccinia immune globulin in mouse models of vaccinia virus infection. Anti. Agent Chemother. 2005, 49, 2634-2641.
J. Freney, F. Renaud. La guerre des microbes, de l’antiquité au 11 septembre 2001. Eska ed. 2009, 167 p.
Et sur le site Ouvry :
On a retrouvé des flacons de variole
Encore les souches du virus de la variole
__________