Le développement des organophosphorés pour leurs propriétés insecticides a été notamment favorisé par l’interdiction des organochlorés comme le DDT. Ce sont néanmoins des substances très toxiques faisant de nombreuses victimes en particulier en milieu rural. C’est pourquoi il est nécessaire de bien connaître leurs effets physiologiques et les moyens de protection individuels nécessaires à leur manipulation.
On prit conscience de la toxicité des organophosphorés (OP) dans les années 30 lorsqu’ils ont aussi été développés pour des applications militaires. Une centaine de ces produits sont utilisés pour la protection des cultures et la lutte contre les insectes.
Cependant, certains sont utilisés à des fins médicales pour le traitement de la myasthénie grave comme le DFP (diisopropyl phosphorofluoridate ) ou pour le traitement du glaucome (Echothiopate). Ils servent aussi de plastifiant, de lubrifiant, de retardateur de flamme ou d’additifs dans les essences. Bien sûr, certains de ces produits sont utilisés dans le domaine NRBCe comme arme chimique – tabun, sarin, soman et VX en sont les principaux exemples.
La toxicité
L’empoisonnement par les OP est une cause de morbidité et de mortalité importante dans les pays en développement comme l’Inde où les urgences médicales comprennent 10 % d’empoisonnement dont 50 % dus aux OP. Ces derniers sont en vente libre et sont très souvent utilisés dans le cas des suicides. Les patients ont généralement moins de 30 ans et dans certaines régions, le nombre de victimes est plus important que celui dû aux maladies infectieuses. Il y a aussi un grand nombre de morts à cause d’une mauvaise utilisation au moment de l’épandage.
Les OP agissent en inhibant l’acétylcholine-estérase provoquant une accumulation d’acétylcholine et les symptômes correspondants.
L’empoisonnement se manifeste par des diarrhées, des vomissements, des crampes abdominales pouvant faire penser à un trouble alimentaire. La présence de myosis, d’hypersalivation, de bronchorrhée (sécrétion de mucus au niveau des poumons), de bradycardie (rythme cardiaque bas) et de rétention urinaire suggère une stimulation cholinergique excessive. La mort intervient par asphyxie à cause de l’atonie des muscles respiratoires. Il existe un empoisonnement chroniques conduisant à des atteintes neurologiques.
Épidémiologie
Contrairement au DDT très utilisés auparavant, les OPs sont chimiquement plus instables et s’hydrolysent rapidement évitant leur accumulation dans l’environnement.
L’exposition aux produits chimiques peut se produire avant l’épandage lorsque les enfants sont facilement en contact avec le produit généralement non ou pas bien étiqueté, pendant le mélange ou pendant les opérations d’épandage par le manipulateur ou ceux qui l’assistent.
En Inde, on estime que 3 millions de personnes s’empoisonnent avec un OP chaque année et que 250 000 en meurent.
Classification
Les organophosphorés peuvent être classés selon leur structure ou leur toxicité
Selon leur structure on distingue les diethyl (parathion, chlorpyrifos…) et les diméthyl (dimethoate, malathion…)
Selon leur toxicité ; hautement toxiques (Cruthion), toxicité modérée (Orthène), toxicité faible (Nexagan).
Mécanismes d’action et métabolisme
Les organophosphorés sont généralement lipophiles. Après leur absorption par la peau, l’appareil digestif ou le tractus respiratoire, l’insecticide et ses métabolites se retrouvent rapidement dans le foie, le rein et les tissus adipeux. Les éliminations urinaire et fécale sont rapides, 80 à 90 % de la plupart des composés étant éliminés en 48 h.
Les OP se fixent sur les molécules de cholinestérase. Chez l’homme, il existe 2 principales cholinestérases : l’acétylcholinestérase qui est présente dans le système nerveux central, la jonction neuromusculaire ainsi que le globule rouge et la butyrylcholinestérase, synthétisée par le foie et présente dans le sérum.
Normalement, l’acétylcholinestérase hydrolyse l’acétylcholine (neurotransmetteur) en choline et acide acétique pour terminer la transmission nerveuse. L’OP forme une liaison covalente par son radical phosphate au niveau du site actif de l’enzyme ce qui provoque l’inhibition de cette dernière. Cette liaison n’est pas réversible spontanément. L’inhibition n’est levée que lorsque des nouvelles enzymes sont synthétisées ou que des réactivateurs comme les oximes sont utilisés. L’ inhibition provoque l’accumulation d’acétylcholine au niveau des synapses causant une hyperstimulation et une rupture de la transmission nerveuse dans les système nerveux central et périphérique. Les oximes provoquent la déphosphorylation par substitution nucléophile au niveau du site actif et permettent sa réactivation. En revanche, l’oxime ne peut plus agir si une déalkylation de l’ensemble s’est produite auparavant. La phosphorylation devient alors irréversible : ce phénomène a été appelé « aging » ou vieillissement de l’enzyme. L’action de l’oxime doit donc intervenir avant le blocage définitif de l’enzyme « âgée ». Le temps de vieillissement dépend de l’OP, pour le soman par exemple (gaz neurotoxique du domaine NRBCe) il ne dure que quelques minutes.
Traitement
Dans un premier temps il faut éliminer le surplus de produit présent sur la peau par exemple.
Plus spécifiquement, l’injection d’atropine permet de réduire les effets dus à l’accumulation d’acétylcholine au niveau des récepteurs muscariniques et agit donc sur la salivation, la lacrymation, les nausées, vomissements, diarrhée et bradycardie. En revanche, elle est inutile vis-à-vis des manifestations dues aux récepteurs nicotiniques (fasciculations musculaires, crampes, asthénie rapidement croissante par atteinte de la plaque motrice évoluant vers la paralysie des muscles striés et l’arrêt respiratoire). L’administration d’oximes (la pralidoxime étant la plus utilisée) permet de récupérer l’action de l’acétylcholinestérase. Une benzodiazépine, anticonvulsivant, complète le traitement en réduisant les phénomènes d’anxiété, de fasciculation et d’agitation.
Prévention
Des mesures de prévention doivent être mises en oeuvre pour l’emploi de ces produits dangereux :
– n’utiliser ces produits que dans des conditions d’aération adéquates (portes et fenêtres ouvertes) ;
– ne pas utiliser à l’intérieur les produits à usage extérieur uniquement ;
– bien lire et comprendre les mesures de sécurité indiquées sur le produit ;
– utiliser les produits prêts à l’emploi lorsque c’est possible ;
– éloigner toute nourriture ou source d’eau potable lors du traitement ;
– se débarrasser des produits non utilisés y compris les récipients qui ont servi à les préparer ;
– ne jamais transférer les pesticides dans des récipients que les enfants pourraient confondre avec ceux qu’ils peuvent utiliser pour se nourrir ou pour jouer ;
– ne pas les jeter dans les eaux usées ou les rivières.
Bibliographie
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3°) J.M. Saïssy, M. Rüttimann. Intoxication par les organophosphorés. Medecine d’urgence, 1999, 103-120
http://www.sfar.org/acta/dossier/archives/mu99/html/mu99_11/99_11.htm