Un aspect méconnu du financement de projets industriels et de la recherche dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.
De quoi est-il question ?
Comment finance-t-on un projet de recherche industriel dans la région Auvergne-Rhône-Alpes ? (AURA) : le programme R&D Booster.
Il vise à promouvoir les projets collaboratifs de R&D (a minima deux entreprises et un organisme de recherche) en réponse à un enjeu de développement de nouveaux produits, procédés ou services. Un appel à projet est lancé : les consortiums[1] qui présentent leur projet doivent satisfaire aux différents d’éligibilité et en particulier, les activités R&D doivent être positionnées entre 5 et 9 sur l’échelle de niveaux de maturité technologique (échelle « Technology Readiness Level » – TRL), avec un objectif de mise sur le marché à court ou moyen terme (12 à 24 mois). Les projets doivent répondre aux enjeux de l’un au moins des axes stratégiques de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Les consortiums présentant les projets sont composés d’au moins deux entreprises et d’un organisme de recherche et de diffusion des connaissances.
Rappelons que pour les entreprises, le taux d’aide de la région est de 60% tandis que pour le laboratoire de recherche, il est de 100%.
[1] Des consortiums et non consortia (dictionnaire de l’Académie Française, 9e édition)
Le projet
Acronyme : CODETEX (COnteneur de DEcontamination primaire TEXtile et EPI)
Nous avons déjà vu dans ce blog que les suies accrochées aux vêtements des sapeurs-pompiers peuvent être à l’origine de maladies chez ces derniers.
Après une intervention, leur EPI est contaminé par des fumées et des suies et représentent un danger pour eux, en particulier lors de leur déshabillage. Il est donc indispensable de limiter les risques en confinant les résidus toxiques dans un environnement contrôlé. Il convient donc de constater qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas de solution adaptée. La mise au point d’un tel équipement permettrait en outre de mettre au point un protocole commun à tous les centres de secours, voire d’assurer des formations communes par l’emploi de modules de formation.
Les contaminants
La suie est un dépôt carboné noir issue de la combustion incomplète de la biomasse (bois) ou d’hydrocarbures fossiles (charbon, pétrole). Dans les suies de feu de végétation, les suies sont sous forme particulaires comprenant des particules grossières notées PM10, ont un diamètre moyen compris entre 2.5 et 10 microns, les particules fines PM2.5 ont un diamètre compris entre 1 et 2.5 microns, les particules très fines PM1 ont un diamètre moyen inférieur à 1 micron. Les particules fines conduisent à des inflammations et des cancers. Il peut aussi y avoir des nanoparticules (NPs). La combustion concentre les métaux dans les particules comme le Plomb, le Zinc, l’Antimoine, issus du bois et des retardateurs de flamme… On peut aussi trouver des molécules cancérogènes avérées (benzène, formaldéhyde, dioxines), des cancérogènes probables (créosotes) et des cancérogènes possibles (HAP).
On l’a compris, les suies accrochées au tissu de l’EPI sont vectrices du principal danger.
Les solutions existantes
Après une intervention, la décontamination des tenues se fait selon des procédures propres à chaque service incendie, sur de simples recommandations mais sans suivre de norme spécifique : ce peut être un brossage à sec qui disperse les contaminants dans l’environnement ou une décontamination à l’eau sous faible pression, avec ou sans détergeant.
Dans tous les cas, aucune évaluation préalable des différents protocoles n’a été réalisée.
Il existe bien des systèmes mobiles de décontamination utilisés lors des évènements NRBC de grande envergure mais ils ne sont pas adaptés à la décontamination opérationnelle de tous les jours.
Le concept
On pourrait donc imaginer un lieu fermé, comme un conteneur par exemple, équipé d’un système de brossage des vêtements efficace et d’un système d’aspiration pour collecter et isoler les particules toxiques en cycle fermé. Une autre zone permettrait le déshabillage. Les objectifs du projet sont donc de développer le conteneur et de valider l’efficacité du système en développant des méthodes analytiques nouvelles permettant d’analyser la composition des suies et de valider le maintien de l’efficacité des tissus de la tenue après le traitement.
Quels sont les acteurs ?
Le porteur du projet : Sulitec
Cette entreprise est spécialisée dans l’isolation thermique de matériels et la protection des hommes. Elle développe des isolants thermiques destinés à des marchés de niche pour pallier la disparition progressive de la céramique et de l’amiante.
Elle est déjà sensibilisée à la problématique des sapeurs-pompiers et a mis au point un simulateur de feux réels classe A sous la forme d’un conteneur dont l’isolation est spécialement conçue pour reproduire tous types de phénomènes thermiques avec seulement 30kg de bois (2 à 3 palettes).
Cet outil, unique au monde, limite les charges utilisées et le flux thermique pour les formateurs et stagiaires et permet l’utilisation d’eau durant la pédagogie : phénomènes thermiques, progression, attaque. Le foyer fermé est un atout primordial pour des informations maitrisées et en toute sécurité. Ce simulateur est muni d’une unité de traitement des fumées permettant d’éliminer un maximum de particules et goudrons émis lors de la combustion. L’entreprise a donc déjà une expérience dans la transformation et l’utilisation de conteneurs.
La société Sulitec et Ouvry SAS viennent d’ailleurs de se rapprocher afin de mettre au point conjointement de nouvelles innovations dans le domaine des textiles techniques. La conception et la fabrication de tissus innovants de protection et de décontamination permettront à Ouvry de proposer de nouveaux EPI multifonctionnels protégeant des risques NRBCe et feu/chaleur radiante/suies tandis que Sulitec pourra concevoir et produire des composants textiles ou éléments fibreux recyclables ou réutilisables.
Cap Container
Cette chaudronnerie industrielle vient d’orienter son métier vers la transformation de conteneurs pour créer des espaces et concepts innovants pour des applications industrielles.
Cap Container est un partenaire historique de Sulitec sur la fabrication des conteneurs pour l’entrainement des sapeurs-pompiers.
Le consortium présente donc deux entreprises et elle doit s’adjoindre un organisme de recherche et de diffusion des connaissances qui dans ce cas présent est
L’Institut des Sciences Analytiques (ISA), Université Claude Bernard Lyon 1
L’Unité Mixte de Recherche 5280, sous la tutelle du CNRS et de l’Université Claude Bernard Lyon 1 réunit l’expertise de plus de 170 chercheurs, enseignants-chercheurs, doctorants, ingénieurs et techniciens ainsi qu’un ensemble d’instruments analytiques unique en Europe. C’est Nicole Gilon-Delépine, Maître de Conférences, qui aura la charge du projet Codetex au sein de l’Institut. Pour cela, elle utilisera les techniques de spectroscopie laser pour analyser la présence de particules nocives contenues dans les suies avant et après brossage. Ces techniques ne sont pas invasives et n’altèreront donc pas les textiles analysés. Ces analyses permettront donc de valider et optimiser le procédé de brossage développé dans le conteneur.
Décortiquer et analyser les suies qui sont des mélanges complexes de particules composées elles-mêmes de nombreux éléments plus petits est un véritable défi. De plus, l’analyse du carbone, élément constitutif des suies, à partir des techniques de spectrométrie plasma constituera le volet de recherche fondamentale du projet.
Dans la pratique, il faudra développer des méthodes analytiques nouvelles permettant d’avoir une information sur la taille, la densité et la composition élémentaire des particules de suies. Ces techniques permettront de valider la décontamination primaire des EPI et devenir une référence.
Dans un deuxième temps, l’état de surface des tissus des EPI après brossage par microscopie électronique permettra de vérifier que l’EPI est encore capable de garantir leur efficacité anti-feu.
Celui qui aide le consortium : Techtera
Le pôle de compétitivité Techtera est dédié à la filière textile française et il a pour objectif principal de stimuler la compétitivité par l’innovation collaborative.
Les 250 adhérents du pôle sont ainsi accompagnés entre autres sur l’innovation et les projets de R&D collaboratifs, de l’idée à la dissémination des résultats.
Un projet « labellisé » par le pôle de compétitivité est accompagné par la structure pour ce qui concerne les projets R&D, les leviers d’innovation, le développement des affaires, les salons et la stratégie des tendances.
Quelles seront les retombées économiques ?
Le marché en France concerne essentiellement les servies incendies publics et privés. Les demandes à l’export sont aussi très nombreuses, en Europe et en Amérique du Nord. Si la fabrication sera assurée conjointement par les 2 partenaires industriels (un atelier commun de montage pourra créer une dizaine d’emplois, la commercialisation sera assurée par Sulitec bien introduite dans les services de secours et pompiers d’aéroports de de l’industrie. De son côté, l’ISA pourra transférer ses méthodes analytiques et ses protocoles lui apportant des retombées économiques et, scientifiquement parlant, les nouvelles techniques d’analyse pourront s’appliquer à d’autres matériaux comme les métaux, les ciments, les microplastiques, voire le vivant comme les bactéries…
Nous ne doutons point que des publications scientifiques ou des présentations à des congrès naitront de ces travaux.
Conclusion
Ce projet va apporter
- mise au point d’un outil de décontamination primaire en milieu clos ;
- normalisation éventuelle ;
- protection de la santé des sapeurs-pompiers ;
- apports économiques pour les 2 entreprises ;
- nouvelles techniques d’analyses qui pourront être appliquées à l’environnement par une meilleure connaissance des suies produites par les feux de forêts et les chauffages au bois domestiques (d’actualité) et aussi surveillance des exposition aux nanoparticules (NPs) produites par l’activité humaine.
Pour une durée 2 ans et budget de 995 000 euros (680 000 euros d’aide).
Pour aller plus loin
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