Une épidémie débute dans une partie du monde : est-ce une épidémie naturelle ou la résultante d’un acte de bioterrorisme ? Et après tout : est-il bien important de faire la différence ?
Un excellent article de Lionel Koch et al. (1) de l’IRBA, et paru en 2020 fait le point.
De quoi est-il question ?
L’épidémie de COVID-19 a interrogé toute la communauté scientifique. Même les plus anciens d’entre nous n’ont pas connu une épidémie d’une telle ampleur, la dernière ayant été la pandémie de grippe de 1918-19 qui a fait plus de 60 millions de morts répartis sur l’ensemble des continents. Dans ces conditions, il est bien compréhensible que la réaction des pouvoirs publics ait été difficile à mettre en œuvre, même en s’appuyant sur les avis d’un « conseil scientifique » éclairé.
De plus, la révélation des différents programmes de guerre biologique développés par différents pays comme les expériences de Gruinard Island réalisées par les britanniques (1942-43), le programme américain commencé en 1942 à Fort Detrick (Maryland), le programme soviétique Biopreparat (à partir de 1972) , le programme japonais Unité 731 (1932-1945), et le programme Irakien (1985-1991) avec la production de 8 000 litres de suspension de B. anthracis, peuvent nous faire craindre qu’une telle épidémie puisse être issue d’un bioterrorisme d’état, ou bien d’un terrorisme attribuable à des groupes plus restreints comme la secte Aum (en avril 1990, des membres de la secte ont répandu dans les rues de Tokyo et de Yokohama, des aérosols de toxine botulique) et ou les Rajneeshees américains.
Posons-nous la question ? Est-il bien nécessaire de distinguer rapidement l’origine naturelle ou bioterroriste d’une épidémie, qui plus est, lorsqu’elle se propage rapidement pour se transformer en pandémie ?
Les épidémies de maladies infectieuses émergentes
La globalisation des échanges internationaux contribue à l’inefficacité des mesures de quarantaine communes pour contenir la maladie et c’est pourquoi le rythme de ces épidémies a augmenté ces 30 dernières années :
Epidémie de SRAS (SARS Cov), 774 morts, 2002-2004, monde entier
Epidémie d’Ebola en 2013-2016 (11 310 morts) en Afrique de l’Ouest qui a été considérée comme un paradigme des problèmes causés par les maladies infectieuses émergentes de nos jours. En effet, cet agent pathogène redoutablement mortel a naturellement émergé dans une nouvelle zone très étendue, et sa propagation que rien ne semblait arrêter a ensuite impacté l’Europe et les Etats-Unis.
L’épidémie de SARS-Cov-2 a suivi le même modèle.
Variole du singe 2022, elle s’étend dans le monde mais sa mortalité reste faible.
Ainsi, les épidémies ne peuvent plus être considérées comme des problèmes locaux et distants, mais elles doivent être traitées à l’échelle mondiale.
De nos jours, lorsqu’une épidémie se déclare, il semble que l’une des premières préoccupations des autorités est de distinguer une épidémie naturelle d’un acte intentionnel impliquant un agent de menace biologique afin de mieux adapter leur gestion. Même le SRAS-CoV-2 n’a pas échappé à la suspicion d’avoir été conçu en laboratoire (2).
Épidémie naturelle ou provoquée : comment les distinguer ?
La raison la plus simple qui pousse à chercher l’origine d’une épidémie pourrait être l’application de la Convention sur les armes biologiques, signée en 1972, qui interdit l’utilisation d’armes biologiques (3). L’identification d’une attaque biologique devient alors un enjeu politique et judiciaire international majeur.
Mais l’évolution d’une épidémie naturelle dépend d’un grand nombre de facteurs intriqués comme le dérèglement climatique, les catastrophes naturelles, les actions humaines…
La nature rare de l’agent infectieux est-elle synonyme d’un acte terroriste ?
- Oui dans le cas de la souche de Bacillus anthracis utilisée dans les courriers adressés aux personnages politiques lors des attaques de 2001 aux US (attaque aussi appelée Amerithrax) ;
- Oui dans le cas de la souche de Bacillus anthracis utilisée par la secte Aum en 1993 aérosolisée sur Kameido ;
- Non dans le cas du virus Ebola lors de l’épidémie de 2014-15 ;
- Non dans le cas de l’épidémie de peste pulmonaire (Yersinia pestis) à Madagascar en 2017.
Contre-exemple : la secte Rajneesh a intentionnellement utilisé une souche banale de Salmonelle pour empoisonner les salades de plusieurs bars du comté de Wasco dans une tentative de neutraliser la population votante de la ville de The Dalles afin que leurs propres candidats remportent les élections du comté de Wasco en 1984.
La distribution spatiale et temporelle ?
Distribution spatiale
Si un agent pathogène est détecté dans un endroit où il n’a jamais été mis en évidence auparavant, cela peut-il constituer un indice de suspicion d’attaque biologique ?
- Oui comme c’est ce qui s’est passé lors de la crise de l’Amerithrax en 2001, lorsqu’une souche texane de B. anthracis a été découverte sur la côte est des Etats-Unis.
- Non car la plus grande épidémie du virus Ebola s’est produite dans une partie du continent reconnue jusque-là comme indemne de la maladie !
Saisonnalité
Si une épidémie apparaît pendant une saison incompatible avec la durée de vie de l’agent pathogène, pourrait-on accuser une activité humaine ? Non, avec comme exemple la pandémie de grippe H1N1 en 2009, qui est apparue en avril en Amérique du Nord avec deux pics épidémiques, et qui a émergé de manière inhabituelle de populations porcines infectées, suivie d’une propagation mondiale unique !
Les origines et la dynamique ?
Des points de départ multiples peuvent ils signifier une attaque biologique ?
- Oui, pour les cinq courriers contenant des spores de B. anthracis aux US et les nombreux restaurants visés par la secte Rajneesh ;
- Non, comme pour cette épidémie naturelle de tularémie au Kosovo en 1999-2000 qui a atteint plusieurs districts simultanément dans un contexte géopolitique tendu et, en 2017, lors de l’épidémie de peste à Madagascar qui a eu de multiples cas index.
Une propagation inhabituellement rapide ou une grande partie de la population rapidement touchée pourrait-elle être la preuve d’une attaque biologique ?
- Non le SARS-CoV de 2003 et le SARS-CoV-2 se sont propagés très rapidement dans le monde entier, avec plus de 200 pays touchés en un an pour le premier et 30 pays en 5 mois pour le second alors que ce sont des épidémies naturelles.
Y a-t-il un intérêt à identifier l’un de l’autre ?
La confusion qui entoure les critères de différenciation confirme que les deux phénomènes sont intimement liés.
Le véritable défi pour la sécurité globale reste la détection précoce, la caractérisation précise et la mise en place de mesures spécifiques, quelle que soit l’origine de l’épidémie. Pendant la crise de la COVID-19, il a été estimé que la détection précoce et l’isolement des cas auraient été plus efficaces pour prévenir les infections plutôt que les restrictions de voyage et la réduction des contacts.
La détection précoce
Certaines maladies, comme la grippe, font l’objet d’une surveillance internationale, tandis que d’autres font l’objet d’une surveillance active dans un contexte d’épidémie, comme le virus Ebola lors de la dernière épidémie en Afrique de l’Ouest. Pour ces maladies bien connues, la définition des cas est claire et une épidémie est déclarée lorsque le nombre de cas dépasse un seuil déterminé. Cette méthode classique nécessite un réseau de santé publique coûteux et complexe et l’alerte est souvent activée avec un certain retard.
Lorsqu’il s’agit d’une nouvelle maladie ou de pathologies aux symptômes polymorphes ou non spécifiques, la définition des cas et le seuil de déclaration de l’épidémie sont sujets à débat.
La surveillance systématique de l’environnement pour toutes les maladies est, pour l’instant, impossible en raison des obstacles technologiques et des problèmes de coûts.
Il existe cependant un certain nombre de pistes comme par exemple, l’analyse des eaux usées qui pourrait être un bon moyen de surveiller la propagation du SARS-CoV-2 dans la communauté.
Le rôle des agents de santé est primordial car ce sont eux qui sont les premiers à observer un événement inhabituel (nouvelle maladie ou nombre de cas augmenté) : ils doivent avoir la capacité de prévenir les responsables de la santé publique. Pour cela ils doivent être formés et savoir manipuler les outils informatiques des surveillances épidémiologiques.
L’utilisation des réseaux sociaux peut aussi être un puissant moyen de collecte des données mais il existe de nombreux biais comme la peur engendrée par le scénario catastrophe d’un film par exemple.
Le suivi des paramètres vitaux comme la température et le rythme cardiaque des individus branchés à leur smartphone, couplé à leur géolocalisation peut aussi être un bon moyen de détection d’évènements anormaux. D’autres systèmes comme la vidéosurveillance déjà utilisée en Chine pourraient aussi servir d’alerte. L’analyse des résultats ne pourra se faire que par l’assistance de systèmes d’intelligence artificielle puissants. À titre personnel, je pense que ces systèmes sont encore du domaine de l’utopie, ne serait-ce que parce qu’ils impliquent l’utilisation des données personnelles ! La simple utilisation de l’application « #TousAntiCovid » nous a montré l’ampleur de la difficulté.
La gestion de crise
La détection précoce est primordiale mais elle doit être suivie des ressources nécessaires pour faire face à la crise. Les infrastructures, les EPI (rappelons-nous la triste histoire du manque de masques au début de la Covid et qui a mis en danger l’ensemble du système de santé !) doivent être prêts. La coordination des plans d’urgence civils, militaires, gouvernementaux et non gouvernementaux devra avoir fait l’objet d’exercices préalables. La coordination au niveau mondial dans le cas des pandémies devra aussi avoir été prévue.
Pour un système de soins de santé, la préparation à une attaque biologique ou à une épidémie naturelle représente globalement le même défi. De plus, la préparation aux attaques biologiques a une valeur ajoutée importante qui permet de renforcer la préparation aux épidémies naturelles, et vice versa.
Il est donc économiquement intéressant de considérer le risque biologique naturel et la possibilité d’une attaque comme une seule et même menace dans la préparation de la réponse à un événement infectieux à potentiel épidémique. La crise générée par les nombreux décès de la COVID-19 et le confinement de milliards de personnes pourrait probablement déclencher une nouvelle évaluation des politiques publiques de contrôle des épidémies, avec l’opportunité que l’opinion publique y porte un regard neuf.
Conclusion
On vient donc de voir qu’il n’y a pas de moyen facile de distinguer une origine naturelle d’une origine bioterroriste, mais elles ont les mêmes conséquences et devraient avoir une gestion commune. En conséquence, regrouper les mesures de préparation et les outils de réponse à la fois contre l’émergence d’un pathogène inconnu et contre une attaque imprévisible permettra d’optimiser l’efficacité de la réponse.
Si on résume : qu’elle que soit l’origine, naturelle ou bioterroriste, d’une épidémie, les moyens à mettre en œuvre pour y faire face efficacement comprennent une détection rapide et efficace faisant intervenir une surveillance systématique des phénomènes infectieux au moyen de l’IA, un passage de l’information (en particulier les réseaux sociaux), suivi d’une gestion de crise non moins efficace préalablement préparée comprenant les infrastructures, les EPI, et la coordination des différents services.
Les notions clés se trouvent donc dans la communication (réseaux régionaux, nationaux, mondiaux), et l’intelligence artificielle (détection, gestion de la crise).
Néanmoins, la détermination de l’origine est importante afin de traduire en justice les éventuels contrevenants à la Convention sur les armes biologiques de 1972 et/ou de mieux appréhender l’émergence naturelle d’un germe pourvu d’un pouvoir pathogène particulier, suivre son évolution vers d’autres formes et surveiller son apparition dans d’autres parties du monde.
Bibliographie
- Koch L., Lopes A.A, Maiguy A., Guillier S., Guillier L., Tournier J.-N, Fabrice Biot F, Natural outbreaks and bioterrorism: How to deal with the two sides of the same coin? www.jogh.org doi: 10.7189/jogh.10.020317
- Hao P, Zhong W, Song S, Fan S, Li X. Is SARS-CoV-2 originated from laboratory? A rebuttal to the claim of formation via laboratory recombination. Emerg Microbes Infect. 2020;9:545-7. Medline:32148173 doi:10.1080/22221751.2020.17 38279
- Feakes D.The Biological Weapons Convention. Rev – Off Int Epizoot. 2017;36:621-8. Medline:30152458 doi:10.20506/ rst.36.2.2679
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