La presse a récemment fait état de projets d’attentats terroristes à la ricine ou aux graines de ricin. Cela doit nous rappeler que même si le cas de l’assassinat de Georgi Markov en 1978 semble bien loin, ce poison doit être considéré comme toujours d’actualité[1]
De quoi est-il question ?
Si nous avons déjà consacré un article complet à la ricine « La ricine : toxine de guerre et de terrorisme (NRBCe) », il semble que des tentatives d’utilisation de ce toxique soient à nouveau d’actualité : c’est pourquoi nous allons rappeler les propriétés de ce toxique et suivre les évolutions du traitement chez l’homme.
La ricine : arme chimique ou arme biologique ?
La ricine est une toxine chimique issue d’un organisme vivant : doit-on alors la classer avec les armes chimiques ou les armes biologiques ?
Les agents biologiques sont des micro-organismes vivants qui provoquent une maladie chez l’homme, chez les plantes et les animaux. Ces micro-organismes vivants ont la propriété d’autoréplication : l’effet sur la population peut donc être prolongé dans le temps, après la contamination, une épidémie au cours de laquelle les agents vivants sont transmis d’un individu à l’autre peut aboutir à inactiver une population importante.
Quant aux toxines issues d’agents biologiques, elles ne sont pas autoréplicatives et sont donc plus proches des agents chimiques, à la différence que leur pouvoir toxique est largement supérieur : la DL50 (dose létale 50 %) est de 0,001 microgramme par kg pour la toxine botulinique alors qu’elle n’est que de 15 microgrammes par kg de poids pour le VX. Dans le cas des toxines comme la ricine, on pourra donc parler d’armes biologiques non infectieuses.
De la graine à la ricine
La plante de ricin (Ricinus communis L.) contient un toxique puissant particulièrement concentré au niveau des graines : la Ricine. La graine, est très toxique et on considère en général qu’une à deux graines mâchées par un enfant ou 8 graines mâchées par un adulte peuvent être fatales.
La ricine n’est pas soluble dans l’huile et ne sera donc pas extraite au cours du processus d’obtention de l’huile : l’huile de ricin ne représente donc aucun danger (à condition que l’huile soit parfaitement purifiée). En revanche, le tourteau résiduel provenant de l’extraction de l’huile est très riche en ricine dont elle peut être facilement isolée.
En raison de sa facilité de préparation, de sa grande disponibilité et de son utilisation potentielle en tant qu’agent bioterroriste, la ricine figure sur la liste des substances interdites dans le cadre de la liste 1A de la Convention sur les armes chimiques.
Les utilisations de la ricine
Georgi Markov a été assassiné à Londres, le 11 septembre 1978, par une fléchette remplie d’une minuscule pastille de ricine et tirée d’un parapluie. C’est la célèbre histoire du « parapluie bulgare » ! Auparavant d’autres cas avaient été décrits : deux décès à Budapest/Hongrie (Balázs 1933)[2], un décès en Turquie (Abdülkadir-Lütfi et Taeger 1935)[3] et dix cas d’écoliers qui ont survécu à l’intoxication (Karszás et Papp 1960) [4)
Plusieurs autres tentatives ont eu lieu. En 2003, deux lettres contenant de la ricine ont été envoyées à la maison blanche et au sénateur Bill Frist. En 2013, Everett Dutschke, un professeur d’art martial a envoyé 3 lettres testés positivement à la ricine au sénateur Roger Wicker, au président Obama et au juge Sadie Holland. Depuis ce temps, la ricine a été classée comme arme biologique de classe A.
Entre novembre 2003 et février 2004, le Sénat américain et la Maison Blanche avait été la cible d’une attaque à la ricine, envoyée par courrier sous forme de poudre, sans faire de victimes. La découverte de sa présence avait entraîné la fermeture temporaire de trois bâtiments du Congrès.
Les lettres étaient signées d’un certain « ange déchu», qui réclamait un changement dans la réglementation sur les horaires de travail des routiers américains
En 2016 un homme de 23 ans a tenté de se suicider par une administration parentérale avortée d’un extrait de graines de ricin, suivie de l’ingestion de plusieurs de ces mêmes graines.
Les cas plus récents sont :
Un complot terroriste à Cologne en 2018 qui a été déjoué lorsque la police a arrêté Sief Allah H. alors qu’il fabriquait un engin explosif contenant de la ricine. Il a été arrêté pour avoir enfreint la loi sur le contrôle des armes de guerre (Kriegswaffenkontrollgesetz)[5].
En janvier 2023, la police antiterroriste allemande a perquisitionné un appartement dans l’ouest du pays et arrêté un ressortissant iranien et son frère accusés de préparer un attentat. L’homme de 32 ans qui faisait l’objet d’une enquête est soupçonné d’avoir préparé un attentat au cyanure et à la ricine, selon le bureau du procureur général de Düsseldorf.
On trouvera ici une revue intéressante[6]
Structure et mode d’action
La ricine est une glycoprotéine formée de 2 chaines A et B. Les 2 chaines sont reliées par un pont disulfure. Il est reconnu depuis longtemps que les chaînes A et B isolées ne sont pas toxiques. La chaîne B, avec une activité de type lectine, est responsable de la liaison aux récepteurs contenant du galactose à la surface des cellules eucaryotes, ce qui est essentiel pour l’internalisation de la chaîne A par endocytose. La chaîne A possède une activité N-glycosidase qui entraîne une dépurination irréversible de l’adénine de l’ARN ribosomal 28S et met ainsi fin à la synthèse des protéines. Cette synergie des chaînes A et B inactive le ribosome et entraîne une cytotoxicité élevée après administration orale ou inhalation.
Symptômes
En cas d’ingestion, les symptômes initiaux se manifestent dans les 6 à 12 heures et ils affectent le système digestif : nausées, vomissements et douleurs abdominales. Les symptômes peuvent d’évoluer rapidement (généralement dans les 12 à 24 heures) et engendrent d’autres complications comme une sévère déshydratation et des troubles rénaux et hépatiques.
L’inhalation est 1000 fois plus toxique que l’ingestion. Les premiers symptômes peuvent apparaître dans les 4 à 6 heures. Des symptômes graves se manifestent jusqu’à 24 heures après l’exposition : troubles respiratoires, essoufflement, oppression de la cage thoracique et toux. Ils sont susceptibles d’évoluer rapidement (généralement dans les 12 à 24 heures) avec des complications respiratoires, de l’œdème pulmonaire (fluide dans les poumons) et, éventuellement, une insuffisance respiratoire. L’empoisonnement au ricin peut provoquer la mort dans les 36 à 72 suivant l’exposition, selon la forme d’exposition (inhalation, ingestion ou injection) et en fonction de la dose absorbée.
Dans le cas du parapluie bulgare Georgi Markov a développé une température élevée et est décédé dans les 4 jours.
Si on est pris dans un aérosol de ricine, il faut éviter d’en inhaler et décontaminer ses vêtements pour ne pas s’autocontaminer ou provoquer des contaminations croisées.
Détection analytique
Fondamentalement, les tests permettant de distinguer la ricine biologiquement active de la ricine inactive sont essentiels pour évaluer à la fois la létalité d’une menace bioterroriste et le suivi des procédures de décontamination. Les tests biologiques ont une sélectivité limitée et ne peuvent pas distinguer la ricine des toxines apparentées (choléra et coqueluche).
Méthodes directes
La conception d’un essai optimal comprend une étape d’enrichissement rapide et efficace, un point de contrôle de l’activité de la chaîne A et une étape de sélectivité permettant de distinguer la ricine d’autres toxines bioactives. Une approche viable pour l’enrichissement des échantillons consisterait à utiliser des matériaux conjugués à des sucres qui exploitent les propriétés de liaison à la lectine de la chaîne B de la ricine (glycosphingolipides et sucres synthétiques par exemple). Après enrichissement de l’échantillon, la spectrométrie de masse peut identifier simultanément les empreintes peptidiques de la ricine et les substrats d’ARN in vitro qui ont été deadénylés par la chaîne A de la ricine. Ce test permettrait de détecter la chaîne B fonctionnelle nécessaire à la pénétration cellulaire, de confirmer l’activité de la chaîne A nécessaire à l’inactivation du ribosome et d’identifier sélectivement la ricine comme toxine nocive.
Des tests immunologiques, tels que les tests ELISA (Enzyme-Linked Immunosorbent Assay), peuvent être utilisés pour détecter spécifiquement la ricine dans un échantillon
Méthodes indirectes
L’alcaloïde ricinine est aussi produit par cette plante. Elle est présente dans toute la plante de ricin depuis le début de la germination jusqu’à la maturation des graines. La ricinine est couramment utilisée pour détecter l’empoisonnement à la ricinecar elle est éliminée de l’organisme dans les urines et facilement identifiée par GC-MS ou LC-MS.
Méthodes moléculaires
Maintenant, on peut utiliser la PCR pour détecter l’ADN de ricin : en utilisant la RT-PCR, le niveau d’ADN peut être quantifié pour obtenir une indication du niveau de contamination.
Il est essentiel de remarquer que la détection de la ricine peut différer selon le type d’échantillon (liquide biologique, aliment, environnement, etc.) et les moyens disponibles. Les laboratoires spécialisés dans la détection des agents biologiques dangereux sont habituellement pourvus pour réaliser ces analyses.
Nouvelles pistes thérapeutiques
Il n’existe actuellement aucun antidote, vaccin ou autre traitement spécifique efficace pour l’empoisonnement à la ricine ou la prévention. Des recherches ont été menées pour traiter ou prévenir l’empoisonnement à la ricine à l’aide d’anticorps neutralisants Mais la plupart des anticorps anti-ricine n’ont montré aucune activité neutralisante ou n’ont montré une activité neutralisante qu’in vitro. Les anticorps dirigés contre des épitopes proches de l’interface de liaison des chaînes A et B de la ricine ont une meilleure performance de neutralisation.
Selon des données récentes, les cocktails d’anticorps composés d’anticorps des chaînes A et B présentent une meilleure activité neutralisante à des doses d’anticorps plus faibles que les anticorps dirigés contre une seule chaîne.
Dans tous les cas, l’Inserm en collaboration avec d’autres laboratoires dont l’IRBA a mis au point un nébuliseur permettant de faire pénétrer les molécules actives au fond des poumons infectés par de la ricine.
Au niveau symptomatique les patients atteints par voie aérienne sont placés sous assistance respiratoire et ceux qui en ont consommé subissent un lavage gastrique. On peut aussi administrer du charbon actif pour piéger la ricine non encore fixée.
Conclusion
Le ricin est connu depuis la plus haute antiquité : les graines de ricin retrouvées dans les tombeaux égyptiens étaient utilisées pour extraire de l’huile destinée à l’éclairage.
La ricine, peut être utilisée dans le cadre d’une action terroriste et c’est pourquoi il faut savoir reconnaître les premiers signes cliniques. Toutefois, la toxicité par aérosol, même si elle est largement plus efficace que par voie digestive, n’est pas facile à mettre en œuvre. Les cas réels d’empoisonnement à la ricine ne sont actuellement que des cas d’ingestion ou d’injection.
Bibliographie
1 Ricin: an ancient toxicant, but still an evergreen, Archives of Toxicology https://doi.org/10.1007/s00204-023-03472-w
2 Balácz J (1933) Vergiftungs-Statistik aus Ungarn. Vergiftungsfälle (arch Toxicol) 4:A236–A270. https:// doi. org/ 10. 1007/ BF024 62717
3 Abdülkadir-Lütfi, Taeger (1935) Tödliche Vergiftung durch Rizinussamen. Vergiftungsfälle (Arch Toxicol) 6:97–98. https://doi.org/10.1007/BF02454427
4 Karzás T, Papp T (1960) Ricinussamen-Vergiftung von Schulkindern. Arch Toxicol 18:145–150. https://doi.org/10.1007/BF00577279
5 Anonymous (2023) 2018 Cologne terrorist plot. Wikipedia. Last edited 27 Jan 2023. Accessed 3 Feb 2023. https://en.wikipedia.org/wiki/ 2018_Cologne_terrorist_plot
6 https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/201818