Nous savons tous qu’il y a un antagonisme évident entre les capacités de protection individuelles contre les produits chimiques liquides et gazeux et la régulation de la température corporelle : en empêchant les gaz de pénétrer, le vêtement perturbe la régulation de la température corporelle. Le porteur de la tenue est alors en danger !
Quelles sont les solutions ?
Nous décrivons dans cette rubrique comment un vêtement peut à la fois protéger contre des liquides et des gaz chimiques extrêmement toxiques et permettre en même temps la régulation de la température corporelle.
Quelques définitions
Un organisme « homéotherme » maintient sa température corporelle à un niveau constant quelles que soient les variations du milieu extérieur. Chez l’homme, les valeurs qui correspondent à un fonctionnement optimal de l’organisme sont comprises entre 36°C et 37,6 °C.
Les animaux « poïkilothermes » ne régulent pas leur température et leur température centrale est fonction de la température extérieure. Ce sont par exemple les reptiles qu’on appelle aussi les animaux à sang froid car ils paraissent toujours plus froids que nous quand on est à leur contact. Mal adaptés aux conditions extrêmes, on ne les voit pas par exemple dans les milieux polaires où les températures sont extrêmement basses.
Thermorégulation Elle représente l’ensemble des processus qui permettent à l’homme de maintenir sa température interne dans les limites normales. Elle résulte d’un équilibre entre la production de chaleur (thermogenèse) et les pertes de chaleur (thermolyse).
Thermogenèse C’est l’activité métabolique et les contractions musculaires qui fournissent de la chaleur à l’organisme. Par exemple, en cas de froid, les contractions musculaires répétées apportent de la chaleur : ce sont les frissons
Thermolyse Ce phénomène permet à l’organisme de dissiper de l’énergie thermique : il y a 4 modes d’échange thermiques :
+ la radiation. Sous forme de rayonnement infrarouge de la peau vers l’environnement plus froid (60% des pertes de chaleur) ;
+ la convection et la conduction. La quantité de chaleur perdue dépend alors de la différence de température entre la peau et le milieu extérieur. La température de la peau dépend étroitement de la circulation sanguine : lorsqu’il fait chaud, les vaisseaux sanguins augmentent de calibre de façon à amener une grande quantité de sang et donc de chaleur au contact de la peau pour qu’elle soit évacuée (la personne prend donc une couleur rouge et on dit qu’elle a chaud !). Lorsqu’il fait froid, les vaisseaux cutanés se resserrent pour éviter les pertes de chaleur et on devient alors plutôt pales ;
+ l’évaporation. Une diffusion passive de vapeur d’eau provenant de la respiration permet d’éliminer de la chaleur. Une perte d’eau par la peau est aussi efficace : ce phénomène appelé sudation permet d’éliminer de grandes quantités d’eau par l’intermédiaire d’un système actif parfaitement ajustable. En revanche la sudation n’est efficace que si elle est suivie de l’évaporation de la sueur. Dans le cas contraire l’organisme est en danger.
Pourquoi la sueur refroidit elle la peau en s’évaporant ? On sait que pour passer de l’état liquide à l’état vapeur il faut donner de l’énergie à l’eau en la chauffant. C’est le même procédé pour la sueur qui doit prendre de l’énergie pour passer de l’état liquide à l’état vapeur. Elle prend donc l’énergie sur la peau en la refroidissant !
La réponse de l’organisme à la chaleur
Comme nous venons de le voir, lorsque la température extérieure augmente, les réactions compensatrices sont : la vasodilatation et la sudation.
Lorsque la température extérieure est supérieure à la température corporelle la sudation devient le seul mécanisme de thermorégulation. La sueur produite doit être éliminée. Si la sueur n’est pas éliminée, elle peut mener à deux phénomènes :
L’épuisement par la chaleur : en cas de perte sudorale importante (la sueur non éliminée s’accumule et comme la température du corps reste élevée, la sueur est de plus en plus sécrétée !) il se produit une déshydratation secondaire dont les signes cliniques apparaissent en quelques jours ; céphalées, nausées, faiblesse musculaires, crampes…
Le coup de chaleur : il faut souvent suite au syndrome d’épuisement. L’hyperthermie est brutale (> 40°C), des troubles neurologiques graves apparaissent (délire, convulsions, coma…) et une défaillance multiviscérale.
Ces deux syndromes s’expliquent par l’augmentation de la température, une perte de NaCl et une déshydratation. L’environnement est chaud, la chaleur ne s’évacue ni par radiation, ni par convection, ni par évaporation de la sueur. C’est le cas typique des symptômes qui apparaissent dans le cas des combinaisons NRBCe étanches.
Importance des propriétés du vêtement
Dans un environnement clément, le corps humain produit peu de sueur ni de vapeur d’eau saturée. Dans ces conditions la nature du vêtement importe peu sur la thermorégulation. En revanche, lors d’un exercice de travail dans un environnement chaud, le flux de chaleur sèche par conduction, convection ou radiation ne suffit pas à endiguer la production de chaleur. La sudation augmente dans le but de refroidir la peau par évaporation. Ceci provoque l’augmentation de l’humidité relative du microclimat entre la peau et le textile qui devient vite insupportable si la vapeur d’eau n’est pas éliminée par le vêtement.
Parmi les caractéristiques techniques permettant d’apprécier le confort thermique on pourra en citer deux : la perméabilité à l’air et la résistance à la vapeur d’eau.
Perméabilité à l’air. Mesurée par la norme ISO 9237. C’est le débit d’un écoulement d’air passant perpendiculairement à travers une éprouvette dans des conditions prescrites de surface d’essai, de perte de charge et de durée. Elle s’exprime en L/s.m2. Plus la valeur est élevée, plus l’air passe facilement à travers. On pourra par exemple sentir le vent à travers le vêtement dans le cas des grands débits. Si la valeur est basse, l’air passe moins bien et l’effet isolant est meilleur.
Résistance à la vapeur d’eau (Ret). Elle est mesurée par la norme NF EN 31092. La résistance à la vapeur d’eau, exprimée en m².Pa/W, détermine le flux de chaleur « latente » d’évaporation à travers une surface donnée lorsqu’un gradient de pression de vapeur d’eau stable dans le temps lui est appliqué. On pose le textile sur une plaque poreuse de 20 x 20 cm qui simule la peau chauffée à 35 °C et maintenue à 100 % d’humidité relative. Le transfert de vapeur d’eau est mesuré au travers du textile.
C’est une mesure de la capacité du tissu à évacuer la vapeur d’eau du porteur, essentiellement la transpiration. Plus la résistance est élevée, plus le vêtement est un frein à l’évacuation de la transpiration qui s’accumule au niveau du corps.
Les textiles sont répartis en 3 classes
-Classe 1 : Ret > 40
-Classe 2 : 20 < Ret < 40 -Classe 3 : Ret ≤ 20 Les valeurs élevées (Ret > 40) montrent que le textile ne laisse pas passer la vapeur d’eau, les valeurs les plus basses (Ret < 20) sont caractéristiques des textiles laissant passer plus facilement la vapeur d’eau. Dans la classe 3, les valeurs comprises entre 10 et 20 sont plutôt considérées comme moyennes et les valeurs <10 très bonnes.La plupart des exigences de confort chez les sapeurs-pompiers et la gendarmerie exigent des Ret < 10.
Au-delà du confort, la Ret détermine la durée de port continu maximal selon la température. Plus la transpiration s’accumule en conditions froides, plus le porteur risque de se refroidir rapidement. En conditions chaudes, une accumulation de transpiration conduit à une accélération du rythme cardiaque et à un risque de stress thermique.
Les textiles NRBCe
Les valeurs de la perméabilité à l’air et de la résistance évaporative ont une très grande importance dans le cas des tenues NRBCe.
Pour se protéger des produits toxiques on peut revêtir une tenue étanche imperméable aux liquides, à l’air et à la vapeur d’eau. La protection est donc apparemment maximale mais, comme nous avons pu le montrer, les mouvements de la personne qui la porte sont à l’origine de l’effet dit « de pompage » faisant pénétrer les toxiques par les interfaces.
De plus, puisque ni l’air, ni la vapeur d’eau ne passent à travers le textile, l’opérateur est rapidement dans l’incapacité d’effectuer une thermorégulation et il se met en danger par épuisement ou coup de chaleur.
Dans le cas des tenues de protection « filtrantes » de chez Ouvry l’air est capable de passer à travers le textile ainsi que la vapeur d’eau. L’évaporation de la sueur est donc assurée et la thermorégulation assure un refroidissement efficace de l’individu. En revanche, la doublure filtrante à base de microbilles de carbone actif capte les gaz toxiques avant qu’ils n’atteignent la peau. Trois concepts ont été développés : « Concept Forces » = protection contre les risques liquides, vapeurs et aérosols, protection 24 heures ; « Concept Primo-intervenants » = protection contre les risques liquides, vapeurs et aérosols ; « Concept spécialistes » = sous-vêtements, protection vapeur 24 heures. Dans le premier cas la TFI (tenue force d’intervention) , présente un tissu externe hydrofuge, oléofuge et ignifuge. Pour les primo-intervenants la polycombi (combinaison NRBC), a une face externe hydrofuge et oléofuge. Le sous-vêtement NRBC O’CPU, est destiné à être porté sous des vêtements spécialisés et ne confère donc qu’une protection contre les agents NRBC sous forme vapeur.
Ces 3 équipements ont des valeurs de résistances évaporatives (Ret) < 7 m2.Pa/W et laissent donc passer très facilement la vapeur d’eau : la sueur est donc éliminée. Pour ces 3 tenues de protection, la perméabilité à l’air varie en fonction de la structure du textile mais les études sur le terrain montrent qu’elles sont toujours suffisantes pour permettre une bonne thermorégulation.
Pour ces études sur le terrain on pourra se référer aux études suivantes :
(1), (2).
Pour le sous-vêtement une étude expérimentale a montré que le port de ce sous-vêtement sous un équipement de pilote de chasse ne fait pas varier la température corporelle par rapport à un sous-vêtement traditionnel (T. Pauchard et T. Pollet, ouvry, CBRN Research & Innovation 2015, Antibes Juan les pins).
On trouvera l’affiche en suivant ce lien
Conclusions
Dans le domaine de la protection NRBCe il existe deux grands concepts : les protections étanches et les protections filtrantes.
Les protections étanches donnent une sécurité apparente importante si on ne tient pas compte de l’effet « pompage » qui fait pénétrer les gaz toxiques à l’intérieur même en présence d’interfaces renforcées par du tarlatane par exemple.
De plus, ces protections ne permettent pas les échanges gazeux avec l’extérieur et bloquent l’évaporation de la sueur, étape essentielle de la thermorégulation. Cela peut mener aux phénomènes « d’épuisement à la chaleur » ou de « coup de chaleur ». Dans les conditions de travail normales et surtout en milieu chaud, ces protections doivent être ôtées régulièrement sous peine de mettre en danger le manipulateur.
Les protections filtrantes ont l’avantage de permettre les échanges gazeux et donc une meilleure thermorégulation. Elles évitent les effets néfastes de l’élévation de la température corporelle et nécessitent moins de changements de vêtements. De plus, l’air circulant plus librement, les effets de pompage sont moindres et au cas où du gaz toxique pénètre à l’intérieur par une interface, il est à nouveau piégé de l’intérieur par la doublure de carbone actif.