Plusieurs articles scientifiques récents font référence à la peste.
Faut il s’interroger sur un retour éventuel de la maladie comme maladie ré-émergente ? comme arme biologique ? ou par une utilisation malveillante terroriste ?
La peste est bien ancrée dans notre mémoire collective. Elle fit des ravages au cours de siècles précédents et il est difficile de s’imaginer qu’une personne sur deux en mourut ! Mais cette maladie n’a pas disparu de la surface du globe et elle tue encore. De nombreuses tentatives ont été menées pour en faire une arme biologique : peut-elle être utilisée dans le cadre d’actes terroristes ?
Les différentes pandémies
Les pestes de l’antiquité comme la peste d’Athènes en 430 av. J.-C. , la peste d’Antonin en 165 ap. J.-C. et la peste de Cyprien en 251 ap. J.-C. ne sont pas réellement des épidémies de peste stricto sensu mais des maladies dont les signes cliniques font plutôt penser à la typhoïde, la variole ou le typhus.
La première pandémie, aussi appelée peste de Justinien, a été bien décrite par Procope de Césarée et elle resta sur la continent européen de 541 à 767.
La deuxième pandémie aussi appelée « peste noire » prit naissance dans les steppes de l’Asie centrale pour se répandre sur l’Europe à partir de 1347. Elle tua 75 millions de personnes, c’est à dire plus de la moitié de la population. Elle a été suivie de nombreuses résurgences jusqu’en 1828. (Elle est revenue à Lyon en 1628 et à Marseille en 1720).
La troisième pandémie a commencé en 1894 : elle a atteint Paris en 1920 (peste des chiffonniers) et est toujours en cours en Afrique, en Asie et dans plusieurs pays d’Amérique du Sud. Entre 1895 et 1930 elle a causé approximativement la mort de 12 millions de personnes, principalement en Inde.
La bactérie responsable
Ces 3 pandémies ont toutes été provoquées par Yersinia pestis. C’est un bacille à Gram négatif caractérisé par Yersin à Hong-Kong en 1894 (au début de la 3ème pandémie). Elle appartient à la famille des Enterobacteriaceae mais elle se distingue des autres genres car elle se développe à des températures plus basses (30°C au lieu de 37°C) et ne donne une culture visible qu’après 48 heures d’incubation au lieu de 24 heures.
Elle est issue phylogéniquement de Y. pseudotuberculosis qui ne présente absolument pas le même pouvoir pathogène.
Epidémiologie
La peste est une maladie animale qui atteint les rongeurs (rats, écureuils…). La transmission se fait par l’intermédiaire de la puce du rat. Parfois, cette peste « sauvage » se rapproche des villages pour donner la peste « urbaine » atteignant les rongeurs domestiques. Lorsqu’un déséquilibre se produit et que les rats meurent en trop grande quantité, les puces vont alors piquer l’homme pour se nourrir et les premiers cas de peste humaine apparaissent.
On pourra noter que les représentations de peste montrent souvent des rats morts, prémices de la maladie (on pourra aussi se référer au roman d’Albert Camus : la peste)
La maladie
Il existe trois formes de peste chez l’homme.
La peste « bubonique » : elle se caractérise par la présence de ganglions lymphatiques inflammés au niveau du territoire atteint par la piqûre, appelés « bubons », la mort intervient dans 60% des cas lorsqu’il n’y a pas de traitement. La peste dite « septicémique » est caractérisée par le passage de la bactérie dans le sang. Elle résulte généralement de l’évolution de la peste bubonique mais, dans certains cas, il n’y a pas apparition de bubons. La létalité est de 100 %. La mort intervient dans les 24 à 48 heures et, dans la plupart des cas, le patient meurt avant que le diagnostic ne soit porté. La peste « pulmonaire » suit la contamination, non pas par des puces mais par des gouttelettes pulmonaires contaminées par les bacilles. C’est la seule forme qui permet le passage d’homme à homme sans l’intermédiaire de la puce. La mort intervient très rapidement et sans traitement la létalité est supérieure à 95%.
Le traitement
Le traitement de choix est l’injection de streptomycine. Sur 392 souches cliniques de Y. pestis prélevées dans 17 pays, aucune n’a révélé de résistance à l’un des 8 antibiotiques connus pour être actifs.
Vaccins
Plusieurs vaccins contre la peste ont déjà été mis au point au cours des années, mais ils présentent des effets secondaires graves. De plus, ils n’ont aucune efficacité sur la peste pulmonaire qui est la forme la plus grave de la maladie.
Ré-émergence
La peste a totalement disparu d’ Europe, mais elle persiste encore dans certains pays et elle a provoqué au cours du XXème siècle des épidémies en Afrique, en Asie et en Amérique. On la retrouve à Madagascar, en République Démocratique du Congo et au Pérou. Au cours des quinze dernières années, près de 40 000 cas ont été recensés dans 24 pays. En 2013, 783 cas humains ont été enregistrés dans le monde, dont 126 décès.
On considère que la peste est une maladie ré-émergente. Le nombre de cas continue à augmenter. Elle a fait une ré-apparition en Algérie en 2003 puis 2008. De nouveaux foyers épidémiques ont également été décrits en Russie ou aux USA dans l’Oregon et le Colorado.
Les souches de Y. pestis sont génétiquement étudiées de près car elles évoluent régulièrement. Certaines séquences moléculaires sont similaires à des séquences retrouvées chez Mycobacterium leprae responsable de la lèpre. Les moyens de communication très rapides, les mouvements de populations souvent accompagnés du manque d’hygiène, les bouleversements écologiques pouvant affecter les faunes sont autant de facteurs pouvant être à l’origine d’épidémies.
La peste et le bioterrorisme
Dans l’histoire récente les tentations d’utiliser la peste comme arme biologiques n’ont pas manqué : après la seconde guerre mondiale, l’armée japonaise à largué des pots en argile contenant des puces contaminées sur des régions chinoises provoquant des épidémies localisées de peste sur au moins 3 d’entre elles. On sait que pendant la guerre froide, les Etats Unis et l’URSS ont développé des armes à base de Y. pestis aérosolisées.
Actuellement, la peste est encore classée dans le groupe A du CDC :
1- facilement disséminée ou transmise de personne à personne ;
2- grande létalité pouvant être responsable d’un impact sanitaire important ;
3- pouvant être à l’origine d’une panique importante perturbant les structures sociales ;
4- nécessite une préparation importante de la part des pouvoirs publics.
Selon les calculs de l’OMS, 50 kg de Y. pestis aérosolisés sur la population d’une ville de 5 millions d’habitants pourrait atteindre 150 000 personnes et provoquer la mort de 36 000 d’entre elles. En fonction du vent, les bactéries pourraient être répandues sur une distance de 10 kms.
Cependant, les derniers calculs mathématiques montrent que le risque de contamination secondaire est pratiquement négligeable. De plus, le bacille ne formant pas de spore, sa survie dans l’environnement est relativement limitée. C’est pourquoi, jusqu’à ce jour, aucun essai d’aérosolisation de Y. pestis n’a été fructueux.
Dans le cas d’un acte terroriste on verrait apparaître des pneumopathies malheureusement non spécifiques qui aboutiraient rapidement à la mort. Des traitements antibiotiques préventifs à la doxycycline sont disponibles et efficaces.
Bibliographie
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N Peiffer-Smadja, M Thomas. La peste, une maladie qui hante encore notre mémoire collective. Rev. Med. Interne, 2017, http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2017.03.008