Parmi les armes chimiques du domaine du NRBCE, on distingue généralement les agents vésicants (ypérite, lewisite), les hémotoxiques (acide cyanhydrique, chlorure de cyanogène) et les neurotoxiques organophosphorés (Tabun, Sarin, Soman). À ces derniers s’ajoutent le VX et le VR versions plus toxiques que les précédents. En revanche on connait peu les novichoks dont la toxicité est encore accentuée par rapport aux autres organophosphorés.
Si on en parle ici c’est qu’ils viennent d’émerger dans l’actualité, étant probablement responsables de l’empoisonnement de l’ex-espion russe Sergueï Skripal et de sa fille Youlia à Salisbury sur le sol britannique.
Un peu d’histoire
Ces produits chimiques de guerre ont été développés dans un premier temps par l’Union Soviétique puis par la Russie dans les années 1971-1993 en pleine guerre froide. Ils ont été conçus pour ne pas être détectés par les équipements de détection de l’OTAN, pour contourner la liste des précurseurs chimiques de la convention sur les armes chimiques et pour échapper aux tenues de protection de l’OTAN.
Novichok signifie « nouveau venu » en russe : ces substances ont été créées de telle façon qu’elles ne soient pas concernées par la Convention sur l’interdiction des armes chimiques signée en et entrée en vigueur en. Ces dernières sont interdites sur la base de leur structure chimique. Un nouvel agent créé après ce traité n’est donc pas soumis aux traités antérieurs, explique la revue scientifique.
Le premier novichok a été synthétisé en 1987 au cours du programme « Foliant ». L’existence de ce programme été révélé en 1992 par 2 chimistes Lev Fedorov et Vil Mirzayanov, dans un journal moscovite. Plus que l’existence de nouvelles armes chimiques, leurs propos ont surtout montré que les généraux russes avaient menti à la communauté internationale. Les Russes n’ayant jamais officiellement reconnu l’existence des novichoks, on ne sait pas si ils ont été effectivement détruits. En janvier 1993, la Russie a signé à Paris la convention sur les armes chimiques et a commencé la destruction de ses stocks. Cela n’a pas empêché les scientifiques russes de continuer à travailler sur des produits chimiques nouveaux comme les dérivés du fentanyl qui ont été utilisés lors de la prise d’otages du théâtre de Moscou en 2002.
Composition
Les novichocks sont des armes « binaires ». Lorsqu’une nouvelle substance toxique est synthétisée et testée en laboratoire, sa production industrielle est développée de telle sorte que la synthèse du composé soit interrompue avant la réaction donnant le produit final. Nous sommes donc en présence de 2 composés relativement inoffensifs, stockés dans des conteneurs séparés afin qu’ils puissent être transportés et stockés en toute sécurité puis mélangés juste avant l’application militaire. Cette nouvelle munition présente l’avantage d’être manipulée et transportée facilement. De plus, les composés primaires plus stables ont une durée de vie plus importante. En revanche, le mélange final sur le terrain peut ne pas être optimal et donner un produit moins efficace que prévu. Les armes binaires sont plus sûres à stocker, à transporter et à manipuler.
Les novichocks sont des molécules organophosphorées (OP). Il est d’ailleurs très probable que le premier d’entre eux soit la version binaire du VX russe appelé VR. Plus d’une centaine de molécules différentes ont été testées, celles dont l’activité étaient moindre étaient publiées dans des journaux scientifiques en tant que molécules insecticides. Les molécules les plus puissantes sont les Novichok-5 et novichock-7 (de 5 à 8 fois plus toxiques que le VR).
Exemples de structure de novichock
Le groupement P=O peut être remplacé par P=S ou P=Se. Un groupement est commun à toutes les structures : l’oxime de phosgène ou ses analogues. C’est une arme chimique par elle-même mais elle potentialise l’effet des agents novichocks. Beaucoup d’entre elles aussi possèdent des agents réticulants responsables de la formation de liaisons covalentes avec l’enzyme cible l’acétylcholinestérase expliquant ainsi sa dénaturation extrêmement rapide.
Le poison peut être administré sous forme de poudre, de liquide, d’aérosol ou gazeuse. Il peut donc pénétrer chez l’homme par voie digestive, respiratoire ou cutanée.
Effets
Comme tous les organophosphorés, les novichocks sont des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase. L’acétylcholine est le neuromédiateur libéré par le nerf au niveau de la synapse (jonction entre le nerf et le muscle) lors d’une stimulation. L’acétylcholinestérase joue le rôle d’interrupteur en détruisant l’acétylcholine pour faire cesser la stimulation. En présence d’OP, l’acétylcholine s’accumule au niveau des synapses provoquant une crise cholinergique (hyperstimulation des organes). L’empoisonnement se manifeste par des diarrhées, des vomissements, des crampes abdominales pouvant faire penser à un trouble alimentaire. La présence de myosis, d’hypersalivation, de bronchorrhée (sécrétion de mucus au niveau des poumons), de bradycardie (rythme cardiaque bas) et de rétention urinaire suggère une stimulation cholinergique excessive. La mort intervient par asphyxie à cause de l’atonie des muscles respiratoires. Des séquelles neurologiques peuvent persister.
Traitement
Le traitement classique contre les OP fait intervenir l’atropine accompagnée d’une oxime comme la pralidoxime ou l’obidoxime. L’atropine s’oppose à l’effet de l’acétylcholine en bloquant ses récepteurs. L’oxime réactive l’acétylcholinestérase. Des benzodiazépines anticonvulsives peuvent aussi être administrées.
Conclusion
Les novichocks n’ont jamais été utilisés dans des zones de combat mais leur apparition soudaine sur la scène internationale pose une certain nombre de questions qui font d’eux, actuellement, plus une arme diplomatique qu’une arme NRBCE.
Bibliographie
G. Vasarhelyi, L. Foldi. History of Russia’s chemical weapons. AARMS, 2007, 6, 135-146
Novichok agent. Wikipedia.
J. Quagliano, Z. Witkiewicz, E. Sliwka, S. Neffe. Precursors of nerve chemical warfare agents with industrial relevance; characteristics and significance for chemical security. ChemistrySelect, 2018, 3, 2703-2715.