Un article paru dans Nature le 26 février 2019 nous apprend que les États-Unis viennent d’adopter un nouveau protocole d’intervention en réponse à un attentat ou à la suite d’un accident industriel d’ordre chimique.
La nouvelle est importante pour au moins 2 raisons :
- Le nouveau protocole incluant une décontamination sèche va améliorer d’une façon notable les soins apportés aux victimes ;
- Il résulte d’études sérieuses parues dans des journaux scientifiques internationaux.
Un projet Européen
C’est un projet, débuté en 2008 et terminé en 2011, nommé ORCHIDS (Optimisation through Research of Chemical incident Decontamination System) « Evaluation and Optimisation of emergency mass casualty decontamination » qui est à l’origine de ces résultats.
Il était sous la coordination de la « Health Protection Agency » (UK) et la participation des organismes suivants : « Swedish Defence Research Agency », «Faculty of Military Health Sciences Czech Republic, Institut de Recherches Biomedicales des Armées – IRBA (France).
Les travaux ont été poursuivis et les résultats ont fait l’objet d’un grand nombre de publications dont les plus récentes sont analysées ici.
La décontamination sèche (1)
Dans le cas d’une contamination de masse il a été décidé d’évaluer l’absorption de différents matériaux à la portée des premiers secours et capables de réaliser une décontamination « improvisée » des produits toxiques répandus lors de l’attaque.
La décontamination d’une peau de cochon a été mesurée en ex-vivo sur 5 produits chimiques et 19 produits absorbants allant de la couverture en coton aux couches pour incontinents en passant par le papier toilette, les éponges, les lingettes pour la cuisine ou le papier type « Sopalin ». Les résultats ont montré que, dans la majorité des cas, et en particulier pour les couches et le papier « Sopalin », la décontamination sèche a été plus efficace pour décontaminer la peau que la décontamination humide R-W-R (Rinse-Wipe-Rinse) qui consiste à rincer la peau à l’aide d’une solution détergente, puis à tamponner la surface de la peau avec de la gaze sèche et finalement à rincer avec de l’eau courante. De plus, l’opération est plus rapide, 5 secondes pour la décontamination sèche contre 90 secondes pour la décontamination humide.
En revanche, lorsque le contaminant est particulaire (contaminant biologique ou radioactivité) la décontamination sèche n’est pas efficace.
Les essais sur volontaires (2)
Des essais sur des volontaires contaminés avec le simulant methyl salycylate et des absorbants improvisés comme des mouchoirs en papier et des serviettes pour incontinence ont donné les résultats suivants :
- C’est plus la méthode d’utilisation que la nature du support d’absorption qui est important : il faut tamponner puis frotter ;
- Les instructions de décontamination doivent être clairement annoncées et comprises. Dans le cas contraire on constate plutôt un étalement de la contamination. C’est pourquoi les premiers secours doivent faire preuve de beaucoup de pédagogie et d’une solide expérience pour faire respecter les règles de base, tout en expliquant aux victimes ce qui se passe et pourquoi les gestes qu’on leur demande de faire sont indispensables ;
- L’acceptabilité n’est pas bonne. Si tout le monde pense que c’est une bonne méthode d’absorption, peu pensent qu’elle peut s’appliquer au NRBC ! Beaucoup demandent un traitement supplémentaire.
Protocole de décontamination pour les personnels de santé en réponse à un attentat NRBC ou un accident chimique au Royaume Uni (3)
Le processus IOR (Initial Operational Response) est basé sur des faits scientifiques et met l’accent sur les besoins des blessés plutôt que sur la disponibilité des ressources spécialisées comme des EPI, des appareils de détection et de monitoring ou bien des douches de décontamination.
La nouveauté est l’introduction d’une phase de déshabillage d’urgence et d’une décontamination sèche à l’aide d’absorbants :
- le processus commence par le déshabillage d’urgence de la victime suivi d’une décontamination sèche de la peau avant l’arrivée des ressources spécialisées,
- une optimisation de la décontamination de masse (humide) des victimes avec une douche à 35°C pendant 90 secondes, éventuellement avec un gant de toilette. Ce protocole révisé pourrait doubler le flux des victimes et améliorer l’élimination des contaminants à la surface de la peau.
La décontamination sèche ne génère pas de grands volumes de déchets contaminés et ne cause pas le transfert et l’étalement de la contamination à travers les vêtements sur la peau. De plus, elle ne provoque pas d’effet « wash-in » ou « rinse-in » à l’origine d’une plus grande absorption de certains produits chimiques par la peau.
Plus le déshabillage et la décontamination sèche sont rapidement opérés plus le processus est efficace. Il a aussi été montré que ce processus est le plus efficace contre les liquides non corrosifs et qu’il s’avère peu efficace contre les contaminants solides comme les poudres. Notons aussi que pour les liquides corrosifs le refroidissement de la peau sous l’effet de l’eau est plus approprié mais que, en attendant la douche, la décontamination sèche réduit notablement les effets néfastes du produit corrosif.
Il est bien noté aussi que le déshabillage et la décontamination sèche doivent dans tous les cas, être accompagnés de directives précises des membres des équipes de secours pour communiquer sur les origines de l’événement, pourquoi et comment on se déshabille avec des démonstrations à l’appui et des aides mutuelles.
Il est évident que ce protocole ne s’adresse qu’à des personnes valides capables de comprendre et d’appliquer les instructions. Les étrangers ne parlant pas la langue sont évidemment en difficulté dans de telles situations.
Les États-Unis (4, 5)
Il y a des centaines d’incidents chimiques aux États-Unis chaque année, mais la plupart sont mineurs ; les lignes directrices visent à aider les services d’urgence à se préparer à intervenir en cas d’accident de masse, comme une attaque à l’arme chimique dans une zone à forte densité de population.
Le nouveau protocole marque un changement par rapport au pilier américain de la préparation à la décontamination, le système » ladder pipe ». Dans cette méthode, deux voitures de pompiers stationnées en parallèle créent un » couloir » de décontamination dans lequel les gens marchent pendant que les camions pulvérisent de l’eau latéralement et au-dessus de leur tête. Les victimes peuvent par la suite bénéficier d’un nettoyage plus spécialisé impliquant un frottage. Mais l’installation du système de douche prend environ 20 minutes et de nombreux produits chimiques peuvent causer des dommages plus rapidement. De plus, le problème de la décontamination par voie humide est l’hypothermie, même par temps chaud, ainsi que la réticence des gens à se déshabiller et à marcher sous une douche d’eau froide.
Un exercice à grande échelle a eu lieu en août 2017 appelé » Operation Downpour » à l’Université de Rhode Island impliquant des dizaines de volontaires. Les gens ont été aspergés d’une solution inoffensive – un mélange de curcumine (qui donne au curcuma sa couleur jaune), de solvants et d’huile pour bébé, qui imite les propriétés des armes chimiques comme le sarin et le gaz moutarde. Ces marqueurs fluorescents ont été suivis pour mesurer l’efficacité des décontaminations.
L’exercice a testé des combinaisons de 3 méthodes : la décontamination sèche à l’aide de bandages absorbants, le système de la douche et la » décontamination technique « , dans laquelle des équipes spécialisées ont frotté des volontaires à l’eau et aux détergents
Utilisées ensemble, les trois mesures ont éliminé 100 % des produits chimiques de la peau des victimes. La seule décontamination sèche, suivie à la lettre avec des explications claires a permis une décontamination cutanée de 99%. La peau des personnes qui ne respectaient pas entièrement les directives, en raison de malentendus ou de handicaps qui limitaient leurs mouvements, n’a été décontaminée qu’à la hauteur de 70 %.
Les chercheurs ont également été surpris de constater qu’il est pratiquement impossible de décontaminer correctement les cheveux, ce qui signifie que le rasage est probablement l’option la plus sûre, apparemment difficile à faire accepter sauf peut être dans les situations réelles d’attaque chimique incluant les notions de peur et de souffrance.
On peut résumer les différentes étapes de la décontamination à l’aide du schéma suivant :
Les pompiers de Paris (6)
Les pompiers de Paris viennent d’adopter un outil didactique très pragmatique en cas d’événement NRBC : la chaine de survie. Elle consiste en une séquence de 6 étapes :
- La décontamination localisée de la peau à l’aide d’un matériau hyper-absorbant (décontamination sèche) après déshabillage, destinée à limiter les effets toxiques du produit ;
- L’identification du toxidrome pour préparer les soins ;
- L’administration des antidotes (atropine…) ;
- La décontamination approfondie pour éviter les contaminations croisées et protéger l’environnement soignant ;
- Le transport à l’hôpital pour compléter les soins.
Comme on peut le constater, cette chaine commence par un déshabillage et une décontamination sèche.
La lingette Decpol ABS®
Ouvry a mis au point un système de décontamination sèche capable d’hyper-absorber les produits aqueux et huileux toxiques. Il agit par tamponnement puis essuyage et remplace avantageusement les différents dispositifs vus dans cet article ; dans ce cas, la décontamination sèche n’est plus « improvisée » car la lingette Decpol ABS® peut être à disposition dans le matériel des premiers secours.
Il présente d’autres avantages :
- il emprisonne les produits toxiques en évitant la contamination de l’environnement ;
- il les neutralise grâce aux agents actifs contenus à l’intérieur du dispositif ;
- il ne génère ni réactions exothermiques, ni réactions explosives ce qui permet de prendre en charge les produits non identifiés.
On peut aussi penser que l’acceptation par les victimes pourrait être meilleure, l’efficacité d’un produit technique étant plus facilement imaginable qu’un simple papier absorbant.
Bibliographie
1- N. Kassouf, S. Syed, J. Larner, R. Amlôt, R.P. Chilcott . Evaluation of absorbent materials for use as ad hoc dry decontaminants during mass casualty incidents as part of the UK’s Initial Operational Response (IOR). Plos One February 2, 2017.
2- R. Amlôt, H. Carter, L. Riddle, J. Larner, R.P. Chilcott. Volunteer trials of a novel improvised dry decontamination protocol for use during mass casualty incidents as part of the UK’S Initial Operational Response (IOR). Plos One, June 16, 2017.
3- R.P. Chilcott, J. Larner, H. Matar. The United Kingdom’s initial operational response and specialist operational response to CBRN and HazMat incidents: a primer on decontamination protocols for healthcare professionals. Emerg Med J 2019, 36, 117-123.
4- P. Chilcott, J. Larner, A. Durrant et al. Evaluation of US Federal Guidelines (Primary Response Incident Scene Management [PRISM]) for Mass Decontamination of Casualties During the Initial Operational Response to a Chemical Incident.; 2018, An Emerg Med, Aug 23
5- D. Butler. US adopts science-bases guidance for chemical-attack response. Nature News, 26 february 2019.
6- F. Calamai, C. Derkenne , D. Jost, S. Travers, I. Klein, K. Bertho, F. Dorandeu, M.Bignand and B. Prunet. The chemical, biological, radiological and nuclear (CBRN) chain of survival: a new pragmatic and didactic tool used by Paris Fire Brigade., Crit Care, 2019, 23 :66