C’est à l’occasion de l’annonce récente (janvier 2016) de la fin de la destruction des armes chimiques Syriennes que nous pouvons nous interroger sur les processus de ces destructions.
Après les immersions et les « pétardages », les armes chimiques sont maintenant détruites sous le contrôle de l’OIAC, selon des procédés sûrs pour les acteurs et l’environnement. La destruction se fait, soit par incinération ou neutralisation chimique.
Lorsque les armes chimiques ont été inventées, personne ne s’est réellement soucié de leur élimination. A l’heure actuelle, l’organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) contrôle la destruction des armes chimiques dans des conditions optimales pour les acteurs et l’environnement.
Historique
l’immersion
Lorsque les armes chimiques ont été mises au point, personne ne s’est soucié de leur destruction. C’était d’ailleurs une habitude bien établie que de les immerger dans la mer ou dans des lacs afin de s’en débarrasser à moindre coût ou pour éviter qu’elles ne tombent aux mains de l’ennemi. Mais ces munitions particulièrement toxiques ne sont pas les seules à gésir au fond de la mer : elles sont accompagnées de munitions classiques, bombes, torpilles, mines, larguées par des avions ou des bateaux par accident ou volontairement. En France, on a retrouvé dans le lac de Gérardmer un nombre important de ces munitions. Il semble également que des puits d’anciennes mines et leurs galeries, ou des gouffres (ex : gouffre de Jardel) ou des poudreries comme celle de Braqueville à Toulouse, soient localement concernés. Depuis l’armistice de 1918 on estime à des centaines de milliers de tonnes ces munitions immergées. Si l’un des principaux risques de ces matériels est l’explosion, lorsqu’ils sont ramenés dans un filet de pêcheur par exemple, des risques à long terme sont à craindre comme les fuites dues à la corrosion, avec des conséquences sur la flore, la faune et toute la chaine alimentaires des produits de la mer. En mer Baltique les pêcheurs sont très fréquemment brûlés par de l’ypérite en manipulant leurs filets.
L’immersion des armes chimiques a été volontairement pratiquée par un grand nombre de pays comme l’Irlande, la Grande-Bretagne, l’Écosse (Fosse de Beaufort où 1 million de tonnes de déchets reposent par 200 à 300 mètres de fond), l’île de Man, l’Australie (21 000 tonnes d’armes chimiques immergées au large des côtes à la fin des années 1940), la Russie, les États-Unis, le Japon et le Canada. La Belgique, dépôt de Knokke-Heist (35 000 tonnes), la France, en Méditerranée et dans le golfe de Gascogne ainsi que dans la fosse des Casquets située entre la Bretagne et le Royaume-Uni sont aussi concernées.
Rien qu’en Baltique, et après la seconde guerre mondiale, ce serait 30 à 40 000 tonnes d’armes dont 13 000 tonnes de substances chimiques qui auraient été immergées par les alliés et provenant en partie des stocks de l’Allemagne nazie. En mer, des dizaines de grands sites majeurs d’immersion de déchets et munitions et des centaines voire des milliers, d’autres sites plus petits existent. Nombre d’entre eux semblent avoir été oubliés (par exemple des bateaux coulés avec leur chargement d’armes chimiques et non répertoriés).
le pétardage
L’immersion n’étant pas le moyen idéal pour se débarrasser des armes chimiques, on a eu recours au « pétardage » (ou pétardement) sur des bateaux et en particulier dans la baie de Somme en ce qui concerne la France. Les munitions chimiques étaient généralement mélangées avec des munitions conventionnelles pour être détruites le plus complètement possible. Cette méthode ne permettait ni le traitement de composants toxiques comme le mercure des amorces, le plomb ou l’arsenic, ni la récupération des métaux. Cette méthode est désormais interdite par les conventions internationales. Quand la convention sur l’interdiction des armes chimiques a été adoptée en 1992, elle a pris en compte le stock actuel d’armes chimiques, soit environ 100.000 tonnes, mais elle ignorait le million de tonnes de munitions immergées.
Les méthodes de destruction
La convention sur les armes chimiques interdit l’immersion dans les eaux, l’enfouissement dans le sol ou la destruction par explosion à ciel ouvert.
Des technologies ont alors été développées pour détruire les armes chimiques assemblées (projectiles d’artillerie…), les agents chimiques stockés, les munitions binaires et les agents chimiques issus des munitions.
Actuellement il existe deux grandes méthodes de destruction des armes chimique : la destruction à haute température comme l’incinération et les méthodes à basse température comme la neutralisation suivie d’un post-traitement des produits obtenus. La technologie suivie doit minimiser au maximum les risques de fuite pendant le transport et les opérations. De plus, les effluents produits ne doivent pas porter atteinte à la santé de l’homme ni avoir d’impact sur la nature.
Incinération
Le démantèlement de la munition conduit à la récupération de 3 ensembles différents : l’agent chimique, l’explosif et les parties métalliques. Chaque ensemble est traité séparément. Les agents chimiques sont chauffés à 1400°C dans une première enceinte et traités ensuite à 1 100°C dans une seconde enceinte. Dans ce cas, 99,9999% des produits organiques ont été minéralisés. Il y a formation de cendres, de vapeur d’eau, de dioxyde de carbone et d’autres sous-produits. Les oxydes générés et les gaz acides sont éliminés par lavage. Les autres parties sont décontaminées par chauffage.
Neutralisation
Elle représente une alternative à l’incinération.
De l’hydroxyde de sodium est ajouté avec de l’eau et l’hydrolyse a lieu dans un réacteur à 95°C. Les sous-produits sont alors traités comme des déchets classiques c’est-à-dire, soit incinérés dans la majeur partie des cas, soit bituminés, soit même biotraités avec des champignons des protozoaires et des bactéries. Ils peuvent aussi être traités par oxydation en eau supercritique ou l’eau est portée à 374°C sous une pression de 22,1 mégapascals. Dans cette eau supercritique les produits organiques sont miscibles à l’eau alors que les sels ne sont pas solubles. Les processus d’oxydation des sous-produits sont donc facilités. Les Etats-Unis utilisent les 2 types de procédé tandis que la Russie utilise principalement la neutralisation. Rappelons que ces 2 pays se sont engagés à détruire leurs stocks d’armes chimiques issus de la guerre froide, depuis la ratification de la convention sur la destruction des armes chimiques en 1996 (30 000 tonnes pour les USA et 40 000 tonnes pour la Russie).
Dans le cadre de l’élimination des produits chimiques Syriens, les USA ont développé un système appelé Field Deployable Hydrolysis System (FDHS) basé sur la neutralisation par hydrolyse. L’appareil est installé sur un bateau le « Cape Ray » en mer Méditerranée et capable de détruire entre 5 et 25 tonnes de produit toxique par jour. L’utilisation d’un bateau simplifie au maximum les processus de sécurité d’autant plus que la machine est capable d’utiliser de l’eau de mer.
Le projet SECOIA en France
Secoia signifie « Site d’élimination des chargements d’objets identifiés anciens ».
Ce site a été rendu indispensable car, pour satisfaire aux obligations de la convention internationale pour l’interdiction des armes chimiques, le pétardage en baie de Somme de tous types d’armes chimique ou non est maintenant interdit. La quantité d’obus chimiques de la première guerre mondiale était estimée initialement à 270 tonnes sans tenir compte des obus découverts quotidiennement comme par exemple les 55 tonnes retrouvées à Vimy dans le Pas de Calais en 2001. Le mode de destruction est celui d’une explosion dans une chambre blindée étanche sous très haute pression et très haute température. Les déchets sont ensuite récupérés pour être traités classiquement par incinération. Le site choisi est celui du camp militaire de Mailly dans l’Aube.
Les armes chimiques Syriennes
En octobre 2013 la Syrie a adhéré à la convention sur l’interdiction des armes chimiques sous la pression des Etats-Unis et de la Russie. La destruction de son arsenal chimique principalement composé de précurseurs, d’ypérite et de gaz sarin a été effectuée sur le bateau Cape Ray équipé du système FDHS dans les eaux internationales de la Méditerranée car aucun état n’a souhaité accueillir ces produits sur son territoire. Parallèlement à la neutralisation, un effluent très caustique est produit. Les sous-produits ont été stockés dans des conteneurs hermétiques avant d’être acheminés en Finlande et en Allemagne pour y être incinérés. Ce sont plus de 1 300 tonnes de produits chimiques qui ont été détruites.
L’OIAC = Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OPCW = Organisation for the Prohibition of Chemical Weapons)
C’est l’institution qui veille à ce que la Convention internationale sur les armes chimiques soit bien appliquée est basée à La Haye. C’est elle qui surveille la destruction des éventuels dépôts et installation de production d’armes chimiques et inspecte régulièrement les établissements industriels potentiellement à même de produire des substances toxiques de combat. Le prix Nobel de la paix lui a été décerné en 2013.
Bibliographie réduite
– Les mers d’Europe piégées par les stocks d’armes immergés : Consoglobe.com
– Environmental Concerns and Provision : opcw.org
– Détruire un stock d’armes chimiques, mode d’emploi : Atlantico.fr
– Destruction Technologies : opcw.org
– System customized for off-shore Syrian chemical weapons elimination : globalbiodefense.com
– Secoia : Wikipedia.org
– Secoia : space-airbusds.com
– Destruction of chemical weapons : opcw.org
– Methods used to destroy chemical warfare agents : cdc.gov
Liens
Dossier Arté : http://info.arte.tv/fr/oiac-et-global-green-acteurs-du-changement
Tenue de protection des inspecteurs de l’OIAC (EPI NRBC)