Cela n’a échappé à personne mais des cas de botulisme ont défrayé la chronique en ce mois de septembre 2023. Nous avons déjà traité ce sujet dans nos colonnes du blog sachant que les toxines redoutables font partie de l’arsenal des personnes malveillantes terroristes. On pourra se reporter à 3 articles : Clostridium botulinum et la guerre biologique NRBCe, Les poisons anciens et nouveaux : l’affaire Navalny, et Comment est mort Reinhard Heydrich ? Un évènement lié au NRBCe ?
De quoi est-il question ?
SI le botulisme est maintenant une maladie rare qui ne réapparait qu’après des erreurs grossières dans la gestion (généralement familiale) de la conservation des aliments, il n’en est pas moins très grave, sa mortalité étant toujours élevée quand le traitement n’est pas immédiat.
Nous rappellerons ici les quelques notions indispensables à connaître pour éviter qu’un repas de famille festif ne se transforme en un drame épouvantable.
Puis nous analyserons les applications positives d’une meilleure connaissance des toxines botuliques et de leurs applications dans le domaine médical.
Partie 1 : la maladie
Clostridium botulinum
C’est sous la forme « botulisme alimentaire » que la maladie est la plus répandue. Elle est due à l’ingestion d’une neurotoxine puissante, la « toxine botulique » (anciennement appelée « toxine botulinique »). Cette toxine est produite par une bactérie dont le nom est « Clostridium botulinum ». Bactérie anaérobie stricte (elle est tuée par l’oxygène de l’air), elle est à Gram positif, vit et se multiplie dans le sol et c’est pourquoi on la retrouvera dans la terre, sur les fruits et légumes crus et sur les viandes et poissons.
La bactérie synthétise des spores qui sont des formes de résistance capables de se propager dans l’environnement, y compris les sols, les cours d’eau et les mers.
Elle tient son nom du latin « botulus » voulant dire « boyau animal, en référence au boudin noir qui a empoisonné les habitants du duché germanique de Wurtemberg en 1870.
Le botulisme alimentaire
Les aliments en cause
La bactérie synthétise sa toxine dans des conserves familiales tels que les légumes comme les haricots verts, les épinards, champignons et betteraves. On en trouve aussi dans les conserves de poisson comme le thon en boîte, les poissons fermentés salés ou fumés, les conserves de sardine et les produits carnés comme le jambon et la saucisse. Les processus très contrôlés font que les aliments préparés industriellement sont rarement impliqués.
En se multipliant dans le produit mal conservé, la bactérie synthétise sa toxine qui est alors ingérée par le consommateur (la bactérie n’existe plus). Plutôt que de parler « d’intoxication », on préfère employer le terme « d’intoxination » (intoxication par une toxine). Dans le cas du Tchi Tchin Wine Bar de Bordeaux, ce sont des conserves de sardines mas préparées qui ont été clairement mises en cause.
Les symptômes
Ils apparaissent sous l’effet de l’action de la toxine botulique. En agissant sur le système nerveux elle fait partie des neurotoxines. Les symptômes apparaissent en l’espace de 12 à 36 heures, parfois jusqu’à 8 jours, (et durent de 4 heures à 8 jours) après l’exposition.
Les premiers symptômes ressentis sont une fatigue marquée, sécheresse de la bouche difficultés à avaler ou à parler, vision floue, difficultés à respirer. Il s’ensuit une paralysie flasque descendante pouvant entraîner une insuffisance respiratoire.
Des vomissements, de la diarrhée, de la constipation et un gonflement abdominal peuvent aussi se manifester. La maladie peut évoluer en donnant une sensation de faiblesse dans la nuque et les bras, après quoi les muscles respiratoires et les muscles de la partie inférieure du corps sont touchés. Il n’y a ni fièvre, ni perte de conscience. Sans traitement, la maladie peut être fatale dans 5 à 10% des cas. La maladie ne se transmet pas d’un malade à une personne saine, elle n’est pas contagieuse.
Les autres botulismes
Botulisme infantile. Les nourrissons de moins de 6 mois peuvent ingérer des spores de C. botulinum qui peuvent germer dans l’intestin car ils n’ont pas encore les défenses immunitaires capables d’endiguer ce phénomène et qui sont mises en place chez les personnes plus âgées. L’aliment le plus incriminé dans ce cas est le miel.
Botulisme par inhalation. La toxine sous forme d’aérosol est inhalée et donne un botulisme dont les signes cliniques sont équivalents au botulisme alimentaire.
Botulisme par blessure. Dans ce cas, la toxine pénètre par une blessure et passe directement dans le sang. Les 2 dernières formes de botulisme peuvent avoir comme origine un acte terroriste. On pourra se reporter à l’article « Comment est mort Reinhard Heydrich ? Un évènement lié au NRBCe ? »
Le traitement : l’antitoxine
Après mise en évidence de la toxine dans le sérum, les selles ou les aliments incriminés, l’antitoxine doit être administrée le plus rapidement possible avant que celle-ci ne se fixe sur ses récepteurs synaptiques, tandis qu’un traitement par ventilation mécanique contrôlée peut être nécessaire, parfois quelques semaines, voire des mois. L’aliment ingéré ne contenant plus de bactéries (sauf dans le cas du botulisme infantile), l’antibiothérapie est inutile
Il existe 2 types d’antitoxine
1- Antitoxine botulinique (BAT) heptavalente qui est indiquée pour le traitement du botulisme contracté par blessure et du botulisme alimentaire. (A, B, C, D, E, F, G). La BAT est obtenue de chevaux immunisés avec des toxines de C. botulinum des types A, B, C, D, E, F et G. Les anticorps réagissent spécifiquement avec les toxines botuliniques circulantes (soit les neurotoxines qui ne sont pas liées à des neurones) et les neutralisent.
2- Immunoglobuline du botulisme (BabyBIG®) : l’immunoglobuline du botulisme (BIG-IV); (BabyBIG®), est une préparation d’anticorps antitoxine botulinique d’origine humaine indiquée pour le traitement du botulisme infantile causé par des toxines de type A ou B chez les bébés de moins d’un an.
La confection des conserves et la prévention du botulisme
Préparer des conserves à la maison n’est pas un geste anodin. Les notions d’hygiène doivent être strictement respectées. En cas d’erreur, les cas de botulisme sont rarement isolés et ils interviennent au sein des regroupements familiaux.
Les aliments qui ont un contact avec la terre peuvent contenir des spores de C. botulinum : les légumes, les poissons (les sédiments marins contiennent aussi C. botulinum) et les charcuteries surtout à base de porc, l’animal hébergeant naturellement la bactérie dans ses intestins. Les aliments sous vide ou en conserve sont les plus fréquemment contaminés (très souvent les conserves familiales, végétaux, jambons artisanaux, saucisses, poissons séchés ou fumés…)
La chaine du froid : elle est indispensable pour la conservation des aliments sous vide non stérilisés. Elle nécessite aussi un nettoyage efficace du réfrigérateur, des mains et d’éviter les contacts entre les produits cuits et les produits crus.
La stérilisation des conserves : la chaleur à la température d’ébullition de l’eau (100°C) tue les bactéries végétatives mais les spores y résistent, parfois plusieurs heures. Les spores de C. botulinum, en milieu humide, sont tuées après 30 minutes à 120°C, température supérieure à celle de l’eau bouillante. Le chauffage d’un produit dans un bocal, ôte l’air du contenant et met donc le produit dans des conditions anaérobies favorables au développement de la bactérie. Il en est de même pour un produit non stérilisé mais conservé sous-vide. D’ailleurs, la bonne tenue du couvercle et le clic à l’ouverture sont les garants d’une stérilisation réussie : lorsque le produit est mal stérilisé, les bactéries reprennent leur développement, produisent du gaz (généralement malodorant) et soulèvent le couvercle.
Pour les produits acides (ph<4,6, (framboises, fraises, tomates, pommes) C. botulinum ne se multiplie pas dans ces conditions, une stérilisation à l’eau bouillante suffit (45mn 100°C). Pour les autres produits un temps beaucoup plus long (3 heures à 100°C pour les viandes crues) ou une température plus élevée sont nécessaires, 116°C, nécessitant des appareils spéciaux. L’ajout de sel (10%) ou nitrites (0,15 mg/g) inhibe le développement de C. botulinum. On peut aussi utiliser la technique de la double stérilisation consistant à laisser 24 h le produit à température ambiante après une première stérilisation avant d’en refaire un autre de façon à détruire les éventuelles formes végétatives qui se seraient multipliées à partir des spores non détruites entre les deux stérilisations.
On pourra noter que la toxine est détruite par la chaleur et qu’un chauffage une dizaine de minutes, de l’aliment après ouverture de bocal l’élimine : c’est pourquoi, une cuisson des haricots verts après l’ouverture de la conserve est un élément de sécurité supplémentaire.
Un aliment est tout particulièrement sensible, le jambon « fait maison ». Il est bien connu qu’il faut « tuer le cochon » lorsqu’il est à jeun ; en effet, si le porc abattu alors qu’il est en pleine digestion, il peut avoir dans son sang des C. botulinum qui font partie de sa flore normale intestinale (bactériémie post-prandiale). La mort de l’animal fait que le sang ne circule plus et il qu’il n’y a plus d’oxygénation des muscles. Le bacille anaérobie strict s’y installe et développe sa toxine qui sera consommée avec le jambon.
On pourra aussi jouer sur les températures de conservation des conserves. Pour les produits acides, on peut conserver à température ambiante, pour les autres, afin d’éviter la multiplication d’éventuelles germe on conservera à maximum 14°C.
Partie 2 : la toxine botulique et ses applications thérapeutiques
Structure et mode d’action de la toxine
La toxine botulique produite par C. botulinum existe sous 7 sérotypes différents A, B, C [C1, C2], D, E, F, et G mais le botulisme humain est principalement dû aux sérotypes A, B et E.
Les molécules sont synthétisées sous la forme d’une chaîne unique (150 kD), puis clivées pour former une molécule formée de 2 chaines avec un pont disulfure.
Structure de la protoxine et son activation en toxine active
La toxine botulique agit en se liant de manière présynaptique à des sites de reconnaissance à haute affinité sur les terminaisons nerveuses cholinergiques et en diminuant la libération d’acétylcholine, provoquant ainsi un effet de blocage neuromusculaire.
La transmission neuromusculaire ne se fait plus ce qui aboutit à des paralysies flasques
Applications médicales de la toxine botulique
Autrefois perçue comme la substance la plus mortelle connue de l’homme, la toxine botulique (BT) est aujourd’hui reconnue pour son rôle dans l’amélioration de la qualité de vie des patients dans de nombreux aspects des soins de santé. Les utilisations cliniques de la toxine botulique A vont bien au-delà des procédures cosmétiques, telles que l’atténuation des rides du visage, pour lesquelles elle est surtout connue ; la capacité de la toxine botulique à bloquer la transmission neuromusculaire est utilisée pour gérer l’hyperhidrose, la migraine chronique, l’incontinence urinaire, la dystonie cervicale et bien d’autres encore.
Comme la BT provoque une faiblesse et une paralysie du muscle concerné, elle peut être utile dans les cas où l’hyperactivité musculaire est la cause première.
L’utilisation moderne de la BT comme traitement médical a commencé au début des années 1970, lorsque les cliniciens ont commencé à utiliser le sérotype de type A pour traiter le strabisme En 1989, la FDA a approuvé le (Botox®) pour diverses utilisations, notamment le strabisme, le spasme hémifacial (hyperstimulation du nerf facial entrainant des mouvements latéraux de la bouche et de l’œil) et le blépharospasme (contraction des muscles des paupières) ; 13 ans plus tard, la FDA a approuvé la BT à des fins esthétiques
Les différents produits utilisés aux États-Unis sont les suivants : AbobotulinumtoxinA (Dysport®), OnabotulinumtoxinA (Botox®), and IncobotulinumtoxinA (Xeomin®).
La BT prend environ 2 à 3 jours pour agir, et jusqu’à 2 semaines dans certains cas. Les effets durent environ 3 mois en fonction du patient, du dosage, de la technique et de la force du muscle. Il est important que les patients comprennent que les injections de BT sont un traitement temporaire.
- Traitement des rides du visage : les zones les plus fréquemment touchées par les rides et les ridules sont le front, la glabelle (rides du lion) et le contour des yeux ;
- Traitement des céphalées primaires : en Allemagne, des cas ont été rapportés d’injections de BT dans les muscles du cou et de la tête pour soulager les céphalées de tension. Il a été démontré que les patients qui reçoivent des injections de BT pour le traitement de la migraine chronique à un stade précoce de leur maladie ont plus de chances d’obtenir une rémission à l’avenir ;
- Traitement de l’hyperhidrose : l’hyperhidrose, une affection idiopathique qui se traduit par une transpiration excessive, peut être traitée par la toxine botulique. Pour le traitement de l’hyperhidrose, la toxine botulique est administrée par voie intradermique en plusieurs injections. La BT bloque l’innervation autonome des glandes sudoripares ; cet effet dure de 3 à 6 mois ;
- Traitement de la dépression : les patients qui reçoivent des injections de BT dans la région glabellaire pour traiter la dépression peuvent voir des résultats pendant une période allant jusqu’à trois mois ;
- Traitement de l’incontinence urinaire : la toxine botulique peut être utilisée pour provoquer une dénervation chimique du muscle détrusor, responsable de la contraction pendant la miction, qui pousse l’urine de la vessie dans l’urètre. Il a été démontré que les injections de BT dans le muscle détrusor diminuent la fréquence des épisodes d’incontinence urinaire ;
- Traitement de la dysfonction temporo-mandibulaire : le dysfonctionnement temporo-mandibulaire (DTM) se caractérise par des douleurs dans la mâchoire, des crépitations et un dysfonctionnement des mouvements. En ciblant spécifiquement le ptérygoïdien latéral, il est possible de réduire les claquements et les crépitations du disque articulaire, ce qui atténue les symptômes des PTM.
Ce qu’il faut retenir
Il est à noter que ces nombreuses applications vont dans le sens d’un mieux-être certain pour un certain nombre de pathologies. Cependant, beaucoup de ces travaux sont encore expérimentaux, certaines applications sont approuvées par la FDA et d’autres pas encore. Les contre-indications sont l’allergie, la grossesse, l’allaitement, la dysmorphie corporelle, les cicatrices chéloïdiennes et les troubles neuromusculaires. Les effets indésirables modérés peuvent inclure une blépharoptose ou une ptose des sourcils pouvant durer jusqu’à 3 mois. La plupart des effets indésirables dépendent du prestataire et de sa formation. Les réactions allergiques sont rares, mais vont de l’éruption cutanée à l’anaphylaxie.
Tableau tiré de la publication 3-
En France, l’AMM du BOTOX le réserve en théorie au traitement des spasmes oculaires, des dysfonctions de la vessie, des torticolis spastiques, des spasmes faciaux ou d’hyperhidrose axillaire.
Pour l’effet anti-âge, l’AMM porte sur le traitement des rides modérées à sévères du front, de la glabelle et de la patte d’oie. Les autres usages se font ensuite sous la responsabilité du praticien, hors AMM.
Seuls quelques spécialistes peuvent toutefois réaliser légalement des injections de toxine botulique sur tout le corps : ce sont les médecins et chirurgiens esthétiques, ainsi que les dermatologues.
Pour les injections destinées au visage, les neurologues, les ophtalmologistes et les chirurgiens de la face (ORL et maxillo-facial) sont aussi autorisés.
Les chirurgiens-dentistes bénéficient enfin d’une autorisation limitée pour le traitement du bruxisme (muscles masseters) et de la région péri-buccale (ride labiale par exemple). Mais ils ne peuvent traiter ni des rides frontales, ni des rides de la patte d’oie.
Quand un praticien effectue une injection de toxine botulique sans habilitation, il sort du cadre légal, ce qui peut poser un vrai problème en termes d’assurance.
Bibliographie
Bibliographie
1- La manuel MSD, Botulisme, 2021
2- emedecine.medscape.com, Botulinum Toxin, Updated: Nov 30, 2022
3- Clinical Uses for Botulinum Toxin, Olivia Jose BSN, RN, 2003
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