De quoi est-il question ?
Dans le domaine du NRBCe, il est classique de distinguer les « Armes de Destruction Massive » (ADM) comme les armes nucléaires et les « Armes de Désorganisation Massive ». Ces dernière, bien que responsables de blessures physiques et psychologiques très importante, ont des conséquences de désorganisation sociale et économique dévastatrices mais qui ne sont pas comparables dans leur intensité avec celles d’une explosion nucléaire. Néanmoins, les conséquences des armes radiologiques, biologiques et chimiques en fonction de leur quantité, de leur nature et de leur sophistication pourraient atteindre des seuils avoisinant ceux de l’arme nucléaire. Si il est difficile d’imaginer que l’arme nucléaire sorte du domaine étatique, on sait que les armes chimiques et biologiques sont utilisées par des groupes violents non étatiques dans le but de semer la terreur -terrorisme- plutôt que de répandre la mort. Dans ce contexte, il peut exister du terrorisme d’état dont la Syrie nous a donné quelques exemples ces dernières années.
Il faut toujours distinguer l’agent nocif et l’arme proprement dite : la possession du poison n’implique pas que l’utilisateur pourra s’en servir avec efficacité si ce dernier n’a pas été « militarisé » correctement. Bien souvent, les groupes terroristes se trouvent démunis pour répandre à grande échelle soit le radio-isotope qu’ils ont volé dans un hôpital ou la souche de Bacillus anthracis issue d’un laboratoire de bactériologie !
Agents toxiques et armes
Si l’attaque au gaz sarin perpétrée par la secte Aum dans le métro de Tokyo en 1995 est bien documentée, à la fois dans les intentions du groupe qui était de tuer, et le nombre de victimes, beaucoup d’autre attentats ne sont pas si clairement identifiés, la plupart d’entre eux ayant d’ailleurs été déjoués avant qu’ils ne soient réellement exécutés.
L’Université de Maryland qui recense tous les événements liés à des groupes non étatiques, nous apprend que depuis 1990, 517 attaques ou tentatives d’attaques ont eu lieu, beaucoup d’entre elles ayant d’ailleurs été dimensionnées pour des actions de grande ampleur.
Agents | Nombre d’événements depuis 1990 |
Biologique | 107 |
Chimique | 400 |
Radiologique | 55 |
Nucléaire | 18 |
Total | 580 |
Le nombre total est supérieur à 517 car plusieurs événements impliquaient plusieurs types d’agents.
Comme on peut le constater, l’arme chimique est la plus utilisée mais les autres ne sont pas délaissées pour autant.
Arme nucléaire
Pour se procurer une arme nucléaire, un groupe terroriste doit se la procurer auprès d’un arsenal étatique. La porosité des armes nucléaires de l’ex URSS est bien connue. Néanmoins, la menace pourrait aussi venir du Pakistan où des têtes nucléaires tactiques de petites tailles destinées à être installées près de la frontière indienne sont en plein développement. À cause de leur portabilité et leur répartition, elles sont très vulnérables mais aussi très bien protégées. Il semble donc peu probable que ces têtes puissent être utilisées par des groupes terroriste.
Fabriquer soi-même l’arme nucléaire exige de fabriquer la matière fissile (uranium enrichi ou séparation du plutonium) qui sont des étapes extrêmement complexes, coûteuses et facilement identifiables. Une autre solution serait de se tourner vers des environnements apparamment moins surveillés comme les réacteurs nucléaires, les usines de fabrication d’isotopes ou les propulseurs nucléaires de la marine.
Arme radiologique
La militarisation des agents radiologiques est plus facile que l’obtention d’une arme nucléaire. Il existe des systèmes sophistiqués de dispersion d’aérosols de particules radioactives mais on peut aussi cacher un élément radioactif qui pourra contaminer gravement les personnes à proximité.
Ce risque est aussi lié au concept de bombe sale. Un engin explosif peut répandre autour de lui une source radioactive. Comment se procurer les radio-isotopes ? Des millions de sources sont utilisées dans le monde (industrie, hôpitaux, recherche). Aux USA, 1 source disparaît par jour (perte, abandon, vol) tandis que dans l’UE ce sont 70 sources perdues par an. Par exemple, en Russie, des générateurs thermoélectriques pour les phares des régions isolées (ex-URSS) ont disparu et c’est peut-être pourquoi, en décembre 2001 en Géorgie, 3 bûcherons ont été gravement irradiés.
En novembre 1995 à Moscou on a découvert une caisse contenant du césium dans le parc Ismailovsky. En décembre 1998 en Tchétchénie c’est un récipient rempli de matériaux radioactifs attaché à une mine explosive qui a été retrouvé.
Une autre utilisation des radiations est l’empoisonnement. On peut se rappeler l’assassinat au polonium 210 d’Alexandre Litvinenko, ancien agent des services secrets russes opposant de Vladimir Poutine.
Fort heureusement, ces sources radioactives sont facilement repérables par de simples détecteurs de radioactivité. Il y en a dans les ports et aux postes frontières.
Arme chimique
Les sources d’armes chimiques prêtes à l’emploi se trouvent dans les pays instables comme la Syrie, l’Iraq, la Libye et la Corée du Nord. Certains d’entre eux ont totalement perdu le contrôle de leurs stocks comme l’Irak et la Syrie, Daech en ayant profité pour se constituer des stocks dont il s’est servi par ailleurs. Une seconde option consiste à fabriquer soi-même, sans connaissances particulières, des petites quantités de gaz hautement volatiles comme le chlore ou le cyanure d’hydrogène. Le scénario le plus inquiétant serait celui de l’attaque des stocks de produits chimiques à haut risque soit à l’intérieur de l’usine, soit pendant leur transport. Si des spécialistes de Daech ont pu synthétiser des produits plus dangereux comme l’ypérite (les voies de synthèse ne sont pas bien compliquées), les produits les plus dangereux comme les agents G et les agents V, beaucoup plus difficiles à obtenir, n’ont jamais été fabriqués par des organisations non étatiques. D’une façon plus anecdotique, mais tout aussi inquiétante, on peut facilement se procurer du carfentanil chez un producteur pharmaceutique chinois qui le vend d’une manière tout à fait illicite !
Arme biologique
Cette arme présente le potentiel de destruction le plus important mais les échecs répétés de la secte Aum à utiliser le charbon, la toxine botulique, le choléra, la fièvre Q et même Ebola montre qu’il faut à la fois posséder une souche particulièrement virulente et un moyen de dissémination adéquat. Seule la dissémination de spores de Bacillus anthracis par l’intermédiaire du courrier aux États-Unis en 2001 eut un certain succès mais loin des seuils requis pour qualifier ce produit d’arme de destruction massive.
Les souches pathogènes peuvent être acquises dans des pays ayant une importante histoire de programmes d’armes biologiques où les sites sont vulnérables et facilement sujets au vol, à la diversion ou la collaboration d’individus initiés.
Il n’est pas facile de se procurer des souches dans les collections internationales (plus de 1 500 collections internationales destinées à la recherche) et encore plus difficile de les militariser. Se procurer les bonnes souches microbiennes, les bons équipements nécessaires aux cultures, éviter les contaminations et préserver le pouvoir pathogène des souches sont quelques-uns des obstacles à la fabrication d’une arme efficace. Les attaques actuelles sont généralement réalisées au moyen de produits simples comme la ricine, poison d’origine biologique dont l’extraction à partir du ricin est relativement. Ces produits simples n’ont pas de pouvoir infectieux ni de contagiosité, limitant leur potentiel en tant qu’arme de destruction massive. Toutes ces difficultés expliquent le nombre très faible d’incidents biologiques enregistrés depuis 2012 puisqu’il n’est que de 11.
Les acteurs
De 1990 à 2016, 31 % des événements étaient perpétrés par des extrémistes religieux, 22 % par des nationalistes ethniques, et 11 % par des acteurs solitaires. Le reste provient d’extrémistes de droite ou de gauche ou d’acteurs non identifiés. Mais depuis 2012, la répartition s’est complètement modifiée avec 71 % sont issus d’extrémistes religieux et 19 % d’acteurs isolés (pour des gains financiers, des différents professionnels, des idées nationalistes…)
Les progrès de la science
Les progrès scientifiques dans tous les domaines (pharmaceutiques, communications, automatisation, biotechnologies, robotiques…) ouvrent des opportunités nouvelles à l’utilisation de ces armes. Nous avons déjà parlé de l’utilisation des techniques comme le CRISPR/cas-9 ou la fabrication de gènes artificiels permettant de créer de nouveaux germes, comme un virus varioleux ou des bactéries résistantes aux principales contre-mesures médicales comme les antibiotiques et les vaccins.
La miniaturisation des processus de fabrications mettant en œuvre les imprimantes 3-D par exemple permettront la fabrication de microréacteurs chimiques dans lesquels des agents chimiques toxiques seraient fabriqués en petite quantité mais sans risque annexe de toxicité massive ou d’explosion. Le fonctionnement de plusieurs lignes en parallèle sur un temps suffisamment long pourra permettre la production d’une quantité suffisante de produit militarisable.
Les progrès réalisés dans les biotechnologies peuvent aussi permettre des progrès dans le domaine des armes biologiques.
Ce n’est pas seulement le développement de nouvelles technologies, la plupart des terroristes n’étant guère à la pointe de la science, mais plutôt la diffusion rapide de ces technologies à des applications commerciales prêtes à l’emploi qui pourrait renforcer les capacités terroristes. En effet, dès qu’une nouvelle technologie est inventée, elle est diffusée en « prête à l’emploi » et peut être utilisée par les terroristes. Dans ces conditions, il est difficile de retenir les informations qui pourrait être appliquées par les malfaiteurs. Ces derniers évoluent aussi en participant par exemple à des cours en ligne (MOOC) leur permettant de mieux assimiler les connaissances.
Se pose aussi la question des individualités de haut niveau qui à eux seuls, sont capables d’être à l’origine de graves menaces, pour peu qu’ils soient psychologiquement déstabilisés. Ce fut le cas de Ramzi Yousef, ingénieur pakistanais, entraîné dans les camps d’entraînement d’Al-Qaida en Afghanistan et responsable des attentats du World Trade Center de 1993 ou Bruce Ivins, un des principaux chercheurs de Fort Detrick, spécialisé dans les armes biologiques et est soupçonné d’être l’auteur des tentatives d’attentat au bacille du charbon d’octobre 2001.
Conclusion
Une partie du battage médiatique entourant le terrorisme est exagérée. Malgré l’intérêt manifeste de nos adversaires les plus véhéments et les plus compétents, une véritable ADM est probablement hors de leur portée dans tous les scénarios, à l’exception de quelques-uns : le rejet in situ de produits chimiques industriels toxiques ou de matières hautement radioactives à proximité d’une zone urbaine, et l’acquisition fortuite et très improbable d’une arme nucléaire ou biologique fonctionnelle issue d’un arsenal national. Néanmoins ces scénarios peuvent être contrecarrés avec des mesures préventives concernant la sécurité des sites.
N’oublions pas non plus que les nouvelles avancées de la biologie synthétique peuvent aussi nous aider à concevoir de nouveaux traitements antiviraux et antibiotiques, tout comme les techniques de fabrications plus fines nous permettront d’acquérir des détecteurs de radiations plus sensibles. On pourrait donner beaucoup d’autres exemples dans ce sens.
Et si on veut être positif, une éducation à grande échelle pourrait réduire le nombre de jeunes défavorisés et fragiles dans les pays en développement mais c’est à une toute autre échelle…
Bibliographie
Gary Ackerman, Michelle Jacome, WMD Terrorism, the once and future threat. PRISM, 2018, 7, 23-36.
Booz/Allen/Hamilton, The Global CBRNE Threat Landscape. A summary report of current topics. August 2017