Dr Jean-Luc Fortin
INTRODUCTION
Différentes allégations de sources différentes témoignent de l’utilisation d’armes chimiques en Ukraine au cours du conflit dès 2022. Ce qui est formellement interdit par la Convention d’Interdiction des Armes Chimiques (CIAC) établie à Paris en 1997, dont la Russie est pourtant signataire. Cette convention interdit toute utilisation dans le cadre d’un conflit armé. Toutefois, elle ne règlemente pas l’usage de substances chimiques dans le cadre du maintien de l’ordre public. (1, 2).
Dès mars 2022, l’Otan par la voix de son secrétaire général Jens Stoltenberg avait mis en garde contre la possible utilisation d’armes chimiques par la Russie. « Nous devons rester vigilants car la Russie elle-même pourrait planifier des opérations utilisant des armes chimiques. Ce serait un crime de guerre ».
Actuellement on assiste probablement à une augmentation de l’utilisation d’armes chimiques par l’armée russe puisque les autorités ukrainiennes auraient dénombré plus de 600 utilisations d’armes chimiques depuis 2022 dont 91 pour le seul mois de décembre 2023.
ARMES CHIMIQUES UTILISEES
Actuellement les seules armes qui auraient été utilisées pour l’instant par les forces russes sont des agents incapacitants, de deux sortes :
– le gaz CS ou 2-chlorobenzylidène malonitrile. Les effets peuvent aller d’un larmoiement modéré jusqu’à un état de prostration immédiat accompagné de signes digestifs, à type de nausées majeures, de vomissements incoercibles, des hémorragies internes, des œdèmes pulmonaires et détresses respiratoires graves (fatales pour les plus fragiles) à forte dose.
Structure du 2-chlorobenzylidène malonitrile
– la chloropicrine qui est un agent vomitif fut utilisé lors de la Première Guerre Mondiale et il semble que récemment elle a été utilisée lors du conflit ukrainien par les forces russes.
UTILISATION
Dès mai 2023, près du village de Spirne, un commandant de bataillon identifié comme Vladislav Vodolazsky a affirmé avoir utilisé des drones pour larguer des grenades chimiques K-51 sur les positions ukrainiennes.
Une dépèche de LCI parue le 15 janvier 2024 fournit des éléments qui ressortent des autorités ukrainiennes ainsi que des témoignages récoltés sur le terrain, par la journaliste Gwendoline de Bono pour LCI. « D’abord un drone kamikaze a touché le blindage et au même endroit, venant de l’autre côté, un autre drone est arrivé avec ce gaz », raconte ainsi le soldat Bekha de la 65e brigade « Il y avait quand même un gaz bleu que l’on voyait au sol. On était déjà couchés car le premier drone nous a surpris immédiatement, le second drone est arrivé et nous a empoisonné. On a été pris de nausées instantanément et notre gorge brulait », nous confie-t-il. « Je pleurais, c’était impossible d’ouvrir les yeux », raconte son compagnon à ses côtés.
D’autres articles de presse internationale comme celui de Libannews paru le 7 avril 2023 déclare également que la Russie aurait utiliser la Chloropicrine dans la région de Kherson dès septembre 2022. Cet usage a été rendu public par le groupe radical « Rusich » sur sa chaine officielle Telegram. En août 2023, une information du 08 août 2023 relayée par France info atteste que le général Oleksandr Tarnavsky, commandant du secteur militaire de Tavria, a assuré que, la veille, les soldats russes avaient « effectué deux tirs de barrage [technique de tirs massifs] à l’aide de lance-roquettes multiples avec des munitions contenant une substance chimique ». D’après son message, il s’agissait de chloropicrine.
Plus récemment, une dépêche de France 24 publiée le 7 août 2023, déclare que la Russie aurait fait usage de munitions chimiques. « Deux salves d’obus contenant de la chloropicrine » auraient été lancés contre les troupes ukrainiennes, précise Emmanuelle Chaze, correspondante de France 24.
CONCLUSION
Si l’utilisation de vapeurs toxiques dérivantes et d’obus chimiques lors d’un conflit armé remonte à la première guerre mondiale, la vectorisation à grande échelle semble-t-il d’armes chimiques par des drones est nouvelle et est révélée par le conflit ukrainien.
Attachées à un drone, les grenades chimiques avec des agents incapacitants sont le plus souvent larguées dans les trachées pour déstabiliser l’ennemi avant de l’attaquer.
On assiste ainsi à une nouvelle révolution dans la vectorisation des armes chimiques
Pour l’instant seule l’utilisation tactique d’agents incapacitants semble être effective par les forces russes, mais la possible utilisation d’agents létaux doit être redoutée par l’armée ukrainienne et les armées occidentales qui doivent impérativement s’y préparer sans attendre.
BIBLIOGRAPHIE
J.L. FORTIN
Guerre chimique et soins aux blessés affectés par les conséquences d’actes de terrorisme ou de conflits armés
International CBRNe Institute Sambreville (Belgique) – 06 juin 2023
OBE L-P, CROUCH D.
Have chemical weapons been used in Ukraine ?
Royal United Services Institute (RUSI) – 06 juin 2023
France 24
La Russie aurait fait usage d’armes chimiques près de Zaporijjia selon Kiev
07 août 2023
DE BONO G., SOUHAUT C.
Enquête LCI
Du gaz toxique russe sur le front en Ukraine ?
15 janvier 2024
LANDER N., ARICK R., SKALUBA C.
Conceptualizing integrated deterrence to adress russian chemical, biological, radiological and nuclear (CBRN) escalation
Atlantic Council – 2023