De quoi est-il question ?
Dans des conditions exceptionnelles comme celle de l’attaque au gaz sarin du métro de Tokyo en 1995, 20 % du personnel avait souffert de contaminations secondaires dues à la présence du produit toxique sur les vêtements des blessés : aucun diagnostic de gaz sarin n’ayant été fait avant l’arrivée des blessés à l’hôpital, aucune mesure de décontamination n’avait été entreprise.
Une publication récente de Ronald De Groot et al. a cherché à évaluer quelles sont les circonstances et les produits chimiques qui requièrent l’utilisation d’un équipement de protection individuelle alliant une combinaison de protection contre les produits chimiques et une protection respiratoire, afin d’éviter une contamination secondaire du personnel hospitalier traitant un patient contaminé par des produits chimiques.
Des comportements inadaptés
Les auteurs rapportent l’exemple d’un service d’urgence qui a été évacué parce qu’un médecin avait présenté des troubles respiratoires mineurs après avoir soigné un patient contaminé par voie cutanée par un produit de nettoyage contenant de l’acide fluorhydrique. Les pompiers équipés de protections respiratoires ont prélevé de échantillons d’air et le personnel a subi un contrôle sanitaire complet !
Dans un autre cas, un ambulancier s’est senti mal après s’être occupé d’un patient qui avait ingéré un produit contenant du paraquat (phytosanitaire de la famille des pyridines). Bien que le centre antipoison ait confirmé que la personnel n’était pas en danger, un équipement de protection individuelle comprenant une protection des voies respiratoires, a été utilisé à l’hôpital. Malgré ces précautions, plusieurs agents de santé se sont sentis mal après avoir traité le patient, qui est décédé 16 heures après l’ingestion. De plus, bien que le défunt ait été placé dans un sac mortuaire hermétique, un employé de la morgue a déclaré des problèmes de santé. Il est clair que ces effets sur la santé étaient une réaction de stress typique résultant de la « peur des produits chimiques dangereux ».
Néanmoins, dans un contexte d’attentats terroristes NRBCe, des plans d’intervention d’urgence ont été mis au point (EPI, décontaminations), le plus difficile étant de réaliser une évaluation du risque sanitaire réel pour le personnel soignant. Une sur-réaction peut être néfaste, pour le malade pour lequel on retarde les soins et pour tous les autres patients dans le cas extrême de l’évacuation d’un service.
Quels sont les cas de contamination secondaire ?
Contamination secondaire par contact cutané
L’exposition cutanée du soignant peut se produire par contact direct avec le produit chimique sur la peau ou les vêtements du patient contaminé, même s’il a été exposé à des vapeurs qui auraient pu se condenser. Le contact cutané avec ses vomissures peut aussi se produire.
On cite les cas suivants :
Un récipient contenant de l’acide fluorhydrique a été jeté dans une benne à ordures. Deux employés de l’assainissement ont été exposés à l’agent lorsque le conteneur a été compacté dans le camion à ordures. Tous deux ont subi des brûlures chimiques et l’un est décédé des suites de l’inhalation d’acide fluorhydrique. L’autre a été transporté à l’hôpital sans avoir été décontaminé. Deux membres du personnel des urgences n’utilisant pas d’EPI ont subi des irritations respiratoires et cutanées.
Cinq garçons ont renversé le contenu d’une petite bouteille non étiquetée qu’ils avaient trouvée dans un champ. Deux d’entre eux ont reçu du produit sur la peau et les vêtements. Ils ont été transportés à l’hôpital sans avoir subi de décontamination préalable. Ils ont été traités pour une irritation respiratoire, une irritation cutanée et des symptômes gastro-intestinaux. Deux infirmières, qui ne portaient pas d’EPI, ont ressenti une irritation respiratoire, une irritation oculaire, une irritation cutanée, des problèmes gastro-intestinaux et des brûlures chimiques. Les urgences ont alors été évacuées par précaution (15 personnes pendant 6 h).
Contamination secondaire par inhalation
C’est la forme de contamination la plus courante dans le cas des incidents chimiques à grande échelle. Il existe un consensus sur le fait que les gaz, tels que le chlore et le phosgène, se dissipent avant l’arrivée de la victime à l’hôpital et ne constituent pas un risque de contamination secondaire pour le personnel.
Dans une prison, à la suite du mélange d’un agent de blanchiment au chlore avec un produit contenant de l’acide phosphorique, 26 victimes se sont présentées aux urgences et 4 membres du personnel des urgences ont présenté une irritation des voies respiratoires/des yeux/de la peau, des maux de tête et des vertiges.
Sur la base de la volatilité et des constantes de temps d’évaporation on peut évaluer le risque d’inhalation secondaire de certains agents de guerre chimique et produits chimiques industriels : sarin, soman, gaz moutarde, tabun, GF (cyclosarine), VX, chlore, phosgène, cyanure d’hydrogène et isocyanate de méthyle. Si un agent est très volatil, la majeure partie de celui-ci s’évaporera avant que le patient n’arrive à l’hôpital (par exemple, l’isocyanate de méthyle, le cyanure d’hydrogène). En revanche, les agents peu volatils (par exemple, le VX et le tabun) ne présentent pas de risque majeur d’inhalation. En revanche, en tenant compte des propriétés toxicologiques et chimiques, le sarin a été identifié comme un danger réel pour le personnel hospitalier en raison de sa toxicité très élevée combinée à une « volatilité intermédiaire » : pas assez élevée pour s’évaporer avant l’arrivée à l’hôpital et pas assez faible pour ne pas présenter de danger par inhalation (ce fut le cas pour l’attentat de Tokyo).
Les différents produits
Particules solides
Le CS (o-chlorobenzylidène malononitrile ; un « gaz lacrymogène ») et la capsaïcine en spray (spray au poivre) sont des particules solides irritantes en suspension dans un solvant qui sont libérées sous forme d’aérosol. Les particules peuvent rester sur la peau et les vêtements d’une victime après évaporation du solvant. La remise en suspension à partir d’un patient contaminé (par exemple, lors du retrait des vêtements), peut entraîner une exposition secondaire par inhalation.
Les vêtements de 3 patients exposés au CS et qui se sont présentés aux urgences ont été mis dans des sacs. Deux infirmières, qui ne portaient pas d’EPI, ont subi une légère toxicité secondaire (irritation de la peau, des yeux et des voies respiratoires) alors qu’elles participaient à la décontamination.
On a relevé une irritation des voies respiratoires et des yeux chez le personnel hospitalier (qui ne portait pas d’EPI) soignant un seul patient qui avait reçu un spray de capsaïcine au visage.
Vint-quatre patients se sont présentés aux urgences après avoir été exposés au gaz CS dans une boîte de nuit. Les patients ne présentant que des symptômes légers ont été traités à l’extérieur et ceux présentant des réactions plus importantes (oppression thoracique, respiration haletante, nausées) ont été emmenés dans une autre salle. Deux infirmières ont retiré et mis en sac les vêtements de plus d’une douzaine de victimes. Après avoir travaillé pendant 20 minutes, elles ont ressenti des douleurs aux yeux et à la gorge, malgré l’utilisation de tabliers, de gants, de masques et de protections oculaires (type non spécifié). Les symptômes étaient légers car le travail a pu être poursuivi avec des pauses régulières toutes les 10 minutes. On pense que les EPI n’avaient pas été utilisés correctement.
Gaz formés dans l’estomac
Des gaz peuvent se former dans l’estomac après l’ingestion de certains agents, par réaction avec l’eau ou l’acide gastrique. La phosphine, par exemple, est formée après l’ingestion de phosphures métalliques. De même, l’azide de sodium produit de l’acide hydrazoïque et le trioxyde d’arsenic, produit de l’arsine. En outre, les sels de cyanure produisent du cyanure d’hydrogène et les sels de sulfite, du sulfure d’hydrogène.
Ces gaz peuvent être libérés par l’œsophage ou être présents dans l’air expiré. On s’attend à ce que le risque d’exposition augmente avec l’utilisation d’un relaxant musculaire pendant l’intubation, puisque celui-ci détend également le sphincter œsophagien.
En résumé, les études montrent que les gaz formés dans l’estomac peuvent provoquer des symptômes légers mais ne présentent pas de risque grave de toxicité secondaire pour le personnel de santé si l’on prend soin d’éliminer rapidement et de manière adéquate, tout contenu stomacal afin d’éviter d’autres dégagements gazeux.
Vapeurs de liquides volatils : les insecticides organophosphorés
Quatre articles ont rapporté des effets secondaires sur la santé du personnel hospitalier dus à des produits contenant des insecticides organophosphorés.
Un patient contaminé par un produit vétérinaire contenant du phosmet, du naphtalène, du xylène et un agent de surface n’a pas été décontaminé et une odeur chimique a été notée aux urgences. Après un contact cutané non protégé avec les vomissures et les sécrétions respiratoires du patient, ainsi qu’une exposition continue aux « fumées chimiques », une infirmière a souffert de détresse respiratoire, de sécrétions abondantes, de vomissements, de diaphorèse et de faiblesse. Elle a été ventilée pendant 24 h et traitée par atropine et pralidoxime pendant sept jours. Plusieurs autres personnels, sans contact cutané avec le patient, ont aussi présenté des troubles.
Une exposition secondaire à un produit pesticide contenant du malathion a été décrite chez des travailleurs de la santé aux urgences. Le patient a ingéré une grande quantité de produit pesticide contenant du malathion et est décédé 45 min après son admission, malgré une réanimation cardio-pulmonaire. Le corps a été laissé aux urgences pendant 2 h produisant de nombreux symptômes chez les personnels hospitaliers. Aucun équipement de protection respiratoire ou cutanée n’était porté. Les activités de la pseudocholinestérase plasmatique ont été évaluées mais n’ont pas montré de réduction. Cela semble indiquer que les symptômes n’étaient pas liés à l’exposition au malathion mais très certainement au solvant dans lequel il était dilué !
Un patient recouvert de la tête aux pieds d’un pesticide contenant du malathion dilué dans du toluène est arrivé aux urgences dans un état grave. Il a été décontaminé avec de l’eau. En raison d’une odeur âcre persistante, le patient a été isolé et le système de ventilation a été coupé : des ventilateurs ont été placés aux 2 portes donnant sur l’extérieur de l’hôpital et le personnel a été renouvelé toutes les 20 minutes. Le personnel soignant a utilisé des gants, des masques et des blouses. Six infirmières ont souffert de différents troubles, mais tous les symptômes ont été attribués par les auteurs à l’exposition aux solvants.
Un homme de 45 ans qui avait ingéré un pesticide contenant du déméton-s-méthyle, hospitalisé dans un état grave a été intubé et ventilé. Aucune décontamination n’a été entreprise sur place, bien que les vêtements du patient aient été contaminés par des vomissures. Une heure plus tard, le patient a été décontaminé par du personnel soignant portant des EPI (blouse, masque facial avec visière, blouse, gants). Plusieurs membres du personnel ont commencé à ressentir des symptômes (oppression thoracique et vertiges) et les urgences ont été fermées jusqu’au lendemain matin. Dix membres de l’équipe soignante ont signalé des effets sur leur santé mais aucun traitement n’a été nécessaire.
Solvants.
Les produits chimiques volatils courants dans les produits de consommation ou professionnels sont des solvants hydrocarbonés (par exemple, le toluène et le xylène). Une contamination secondaire peut se produire par exemple en cas de vomissement après l’ingestion.
Des symptômes mineurs peuvent survenir à la suite d’une exposition secondaire aux solvants, comme le montrent les rapports de cas de contamination par des formulations insecticides contenant des solvants (voir ci-dessus)
Acides.
Les acides sont des ingrédients courants dans les produits de consommation/professionnels et le traitement des patients exposés est très courant, n’entraînant généralement pas de toxicité secondaire.
Quand utiliser un EPI plus complet que les vêtements hospitaliers standards ?
Il semble que les précautions hygiéniques normales, y compris les gants en nitrile et une blouse imperméable couvrant les bras, les épaules et le torse, protègent convenablement le personnel hospitalier lors du traitement d’un seul patient contaminé par des agents chimiques courants.
En cas de contamination par des particules solides, les vêtements doivent être retirés et ensachés avec soin pour éviter toute remise en suspension. En cas de gaz formés dans l’estomac ou de contamination par des liquides volatils, le patient ne doit pas être isolé dans une pièce mal ventilée. Les vomissures ou le contenu gastrique après lavage doivent être immédiatement éliminés afin d’éviter tout dégagement supplémentaire de gaz. Après un contact direct de la peau non protégée avec un agent chimique, la zone de contact doit être lavée immédiatement avec beaucoup d’eau et un savon doux. La lingette Dec’Pol ABS peut être utilisée avec profit
Pour les patients contaminés par des particules solides, il est recommandé le port d’un masque chirurgical ou mieux, un FFP1 ou FFP2, et une protection oculaire (lunettes de sécurité). En outre, si une décontamination humide (partielle) doit être effectuée, il est préférable de porter un vêtement résistant aux éclaboussures (combinaison anti-éclaboussures) et une protection oculaire pour se protéger des éclaboussures.
Un appareil respiratoire n’est nécessaire que dans de rares circonstances, par exemple en cas de contamination étendue par un fluide volatil hautement toxique tel que le sarin lorsque les vêtements contaminés n’ont pas été enlevés.
Conclusions
Le risque d’exposition secondaire pour le personnel hospitalier traitant un patient contaminé par des produits chimiques est faible lorsque le contact avec la peau est évité et en appliquant les précautions d’hygiène normales, notamment le port de gants et d’une blouse imperméable. Lorsque la contamination par des particules solides est importante, un masque et une protection oculaire peuvent être appliqués.
L’utilisation d’un équipement de protection individuelle plus élaboré comme une combinaison de protection contre les produits chimiques et un masque avec cartouche n’est nécessaire que dans de rares cas comme dans le cas d’une contamination étendue par un fluide volatil hautement toxique tel que le sarin.