Pour définir le poison, Paracelse, médecin du XVe siècle, affirmait « Tout est poison, rien n’est poison. C’est la dose qui fait le poison »
De quoi est-il question ?
Un poison est une substance qui est susceptible, après introduction dans l’organisme et selon la dose, le mode de pénétration, l’état du sujet, de perturber certaines fonctions vitales, de léser gravement des structures organiques ou d’entraîner la mort.
Comme le dit Paracelse, le poison est formé de toxines qui peuvent parfois avoir un effet bénéfique à faible dose. La dose définit la réaction de l’organisme au poison : il faut une dose minimale pour obtenir un effet toxique.
Les poisons peuvent pénétrer dans l’organisme par différentes voies : ingestion, voie respiratoire, peau lors d’un contact, injection directe dans le système sanguin.
Depuis quand ?
Les poisons sont utilisés depuis très longtemps : les chasseurs cueilleurs du paléolithique supérieur utilisaient les poisons pour accentuer l’effet vulnérant de leurs armes de chasse. Puis ce sont les pointes d’armes de jet utilisées pendant les batailles qui ont été enduites d’aconit, afin d’en améliorer l’efficacité pendant la préhistoire.
Dans la Rome antique
L’empereur Claude, qui périt probablement sous l’effet de champignons vénéneux, avait un fils, Britannicus, né d’un premier mariage. Néron orchestra la mort de Britannicus grâce à un poison mais, lors d’une première tentative d’empoisonnement, Britannicus n’eut qu’une simple diarrhée. Lors d’une seconde tentative, le poison, servi à Britannicus lors d’un repas qu’il prit avec Néron, tua immédiatement le jeune homme.
Les Borgia et la bague à poison
Le poison connut une période faste à la Renaissance, notamment en Italie avec la famille Borgia. Rodrigo Borgia, le père, pape sous le nom d’Alexandre VI, fut impliqué dans plusieurs histoires d’empoisonnement avec son fils César Borgia.
Les Borgia utilisaient toutes sortes de poisons à base de mercure, d’arsenic, d’aconit, d’if, de jusquiame, de phosphore, de pavot, de ciguë, etc. César Borgia portait une bague à poison qui lui permettait d’empoisonner son ennemi en lui serrant simplement la main (peut être que le check utilisé comme geste barrière pendant la covid, aurait pu être à l’origine de plusieurs vies sauvées !). La mort du pape Alexandre VI reste mystérieuse. Il aurait pu succomber à un empoisonnement, en consommant par mégarde un vin empoisonné, préparé pour un autre que lui…
L’affaire dite « des poisons »
En France, la cour du roi Louis XIV a été marquée par la célèbre affaire des poisons. Parmi les femmes accusées d’empoisonnement, se trouvaient en particulier :
la Brinvilliers : madame de Brinvilliers fut torturée par l’épreuve de l’eau, qui consistait à administrer au condamné de grandes quantités d’eau, et exécutée ;
la Voisin : dont une enquête montra le rôle central joué par la Voisin pour approvisionner des aristocrates en poudres. Après son exécution et d’une trentaine d’autres personnes, Louis XIV décida de clore l’affaire tant il y avait d’aristocrates impliqués dans cette affaire : la marquise de Montespan , le duc de Buckingham, le maréchal de Luxembourg, la comtesse de Soissons, la vicomtesse de Polignac, la duchesse d’Angoulême, etc.
Rappel sur les différents poisons
L’huile de ricin, extraite des graines, est reconnue pour avoir des propriétés purgatives mais elle peut aussi entraîner la mort, prise en grande quantité : les Chemises noires de Mussolini faisaient boire de l’huile de ricin, parfois mélangée à de l’essence, aux opposants politiques.
En 1978, la ricine fut employée pour assassiner Georgi Markov, un écrivain bulgare dissident. A un arrêt de bus à Londres, Markov ressentit une piqûre à la cuisse, alors qu’un homme près de lui ramassait son parapluie. Rapidement, Markov fut hospitalisé, la jambe en sang et enflée. Il mourut quelques jours plus tard : ses reins étaient bloqués, il vomissait du sang et un oedème pulmonaire l’empêchait de respirer. Lors de l’autopsie, on retira une petite boule de sa cuisse, laquelle, injectée par le parapluie, contenait de la ricine, libéré par de minuscules pores.
L’aconit
L’aconit contient des alcaloïdes, dont l’aconitine. Cette plante est aussi appelée « herbe aux loups », car elle était employée pour tuer les loups. Hannibal se serait suicidé avec un mélange d’aconit et de ciguë pour éviter d’être livré aux Romains. L’aconit n’est pas seulement utilisé comme poison : il est aussi un antidote au venin des scorpions.
La belladone.
En latin Atropa belladona, elle contient de l’atropine. La plante tient son nom d’une pratique autrefois courante chez les dames de la haute société : pour augmenter le diamètre de leurs pupilles, elles s’instillaient dans les yeux des gouttes d’une décoction de belladone ou bella dona, « belle dame ».
La ciguë
Elle était employée dès l’Antiquité pour donner la mort. Socrate fut contraint de la boire à la suite de sa condamnation.
Le curare
C’est un poison paralysant qui était utilisé par les Indiens d’Amérique du Sud pour enduire leurs flèches empoisonnées. Aux Etats-Unis, l’injection létale utilisée pour donner la mort aux condamnés contient différents produits, dont le bromure de pancuronium qui appartient à la famille des curares. Il peut être utilisé pour ses effets bénéfiques, dans les cas graves du tétanos pour détendre les muscles.
Les champignons mortels ou hallucinogènes
Les amanites phalloïdes et tue-mouches sont des champignons mortels bien connus dans nos contrées.
Les araignées et scorpions
La veuve noire est la seule araignée présente en France et pouvant présenter un danger, mais ses morsures restent rares. Dans d’autres pays, on trouve d’autres espèces d’araignées venimeuses, telles que la tarentule et la mygale.
De même, les scorpions, répandus dans le sud du pays, sont peu agressifs. Cependant, quand ils se sentent menacés, les scorpions venimeux déplient leur queue, dotée d’une glande à poison à son extrémité.
Le venin de serpent
Les vipères disposent de crochets situés en avant de la mâchoire supérieure, et leurs morsures sont venimeuses. Le venin de vipère contient des composés qui agissent sur la coagulation sanguine et l’inflammation la diffusion du venin dans l’organisme étant plutôt lente.
Cléopâtre se serait suicidée grâce à une morsure de serpent, en compagnie de ses deux servantes. Cependant, cette thèse est parfois remise en question en raison de la rapidité à laquelle la reine aurait succombé, alors que la diffusion du venin de serpent se fait plutôt lentement.
La toxine botulique (ou botuline)
Elle est produite par Clostridium botulinum. Au XVIIIe siècle, à Wildbad, en Allemagne, une épidémie de botulisme a été causée par un boudin contaminé, d’où l’origine du mot botuline, botulus signifiant « boudin » en latin. La botuline peut bloquer la transmission nerveuse. L’ingestion de toxine peut provoquer des décès par paralysie respiratoire. La botuline est aussi utilisée sous forme d’injection de Botox pour réduire les rides du visage.
Un grand nombre d’applications du bioterrorisme ont déjà été traitées dans ce blog.
Le mercure
Le scientifique Isaac Newton, qui utilisait fréquemment du mercure pour ses expériences, avait tous les symptômes d’un empoisonnement chronique.
Agnès Sorel, la célèbre maîtresse de Charles VII, aurait succombé à une intoxication au mercure, d’après des analyses effectuées sur ses ossements, en 2005.
L’arsenic blanc
Il est communément appelé arsenic et se présente sous forme d’une poudre au goût sucré. Soningestion provoque des diarrhées , des vomissements, une déshydratation provoquant une sensation de soif importante.
Il a été montré qu’Ötzi, l’homme préhistorique retrouvé dans un glacier autrichien, aurait probablement souffert d’un empoisonnement chronique à l’arsenic en raison de son activité de chaudronnier.
Les ions cyanure
Ils peuvent se lier au fer présent dans certaines enzymes, comme les cytochromes C oxydases mitochondriales. Ceci provoque alors un blocage de la respiration cellulaire.
On citera Raspoutine, dont la tentative d’assassinat par empoisonnement au cyanure a échoué.
À la fin de la seconde guerre mondiale, plusieurs nazis (dont Rommel, Hitler, Goebbels, Himmler ou encore Goering) eurent recours au cyanure pour se donner la mort. Ils gardaient sur eux des capsules remplies de cyanure.
Toxiques de guerre : chlore, ypérite, phosgène.
Nous en avons parlé souvent ici, et on se rappellera l’utilisation du gaz Sarin par la secte Aum le 20 mars 1995 dans le métro de Tokyo.
Les nouveaux poisons
Le polonium 210
L’empoisonnement au polonium d’Alexandre Litvinenko,ancien agent des services secrets russes opposant de Vladimir Poutine trouva l’asile politique en Grande-Bretagne. En novembre 2006, il tomba brutalement malade et mourut en trois semaines. L’autospie révéla qu’il avait succombé à une intoxication au polonium 210. Selon un rapport de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad), quelques microgrammes de polonium auraient pu suffire à cet empoisonnement. De la radioactivité a été détectée sur des vêtements des proches de Litvinenko et dans des avions de la British Airways que les assassins auraient probablement empruntés.
Le polonium 210 (210Po), découvert en 1898 par la physicienne française Marie Curie, est un élément considéré comme l’un des poisons les plus létaux. Métalloïde émettant une fluorescence bleue, qui peut devenir volatile, il est utilisé comme source de chauffage dans les engins spatiaux ou parfois comme source de rayonnement alpha en médecine. Même en quantité infime, cette substance radioactive, soluble, garde toute sa toxicité.
Lorsqu’elle est ingérée ou inhalée, elle déclenche dans l’organisme, comme d’autres éléments radioactifs, «la maladie des rayons ». Les particules alpha émises en continu par le 210Po endommagent un nombre sans cesse croissant de cellules de la moelle osseuse, des organes, du foie, des reins ou du sang. En fonction de la dose, la mort peut survenir en quelques jours ou semaines – vingt et un jours après l’intoxication pour Litvinenko.
Il est possible que ce produit circule dans les réseaux mafieux russes ; ceux-ci ont pu en récupérer dans des centres technologiques ou des hôpitaux. Les personnes mal intentionnées qui l’auraient peut-être introduite dans des aliments ingérés par Litvinenko n’ont-elles pas été elles-mêmes irradiées ? Pour l’heure, les experts affirment ignorer encore comment la « dose massive» est «entrée dans le corps de Litvinenko». Toutefois, des traces de 210Po ont été détectées dans l’hôtel Millennium, où il a pris le thé le 1er novembre avec deux Russes, ainsi que dans le restaurant de sushis où il a, le même jour, rencontré un contact italien.
Les agents Novichok
Ces toxiques ont déjà été décrits dans ce blog ici et ici.
Les Skripal père et fille
En mars 2018, l’ancien espion russe Sergey Skripal et sa fille Yuliya ont été retrouvés inconscients à Salisbury, au Royaume-Uni. Plus tard, les autorités britanniques ont qualifié cet incident d’empoisonnement par un agent neurotoxique du groupe novichok en accusant la Russie, soit d’en être responsable soit de ne pas avoir maitrisé une éventuelle fuite du produit.
Quelques temps après, deux nouvelles victimes du novichok ont été retrouvées dans un état grave dans leur demeure, située à une douzaine de kilomètres de celle des Skripal à Salisbury. Ce couple britannique réside dans le Wiltshire, Dawn Sturgess étant de Salisbury, et Charlie Rowley d’Amesbury. Elles auraient été, en quelque sorte, des victimes collatérales de l’assassinat des Skripal en ayant manipulé un flacon trouvé au hasard et contenant du Novichok.
Alexeï Navalny
Cet opposant au président Russe, Vladimir Poutine est actuellement en prison où il purge une peine pour avoir violé son contrôle judiciaire (il était dans un hôpital à Berlin pour se faire soigner d’un empoisonnement !) et devait en conséquence purger une peine de trois ans et demi de prison avec sursis à laquelle il avait été condamné en 2014 pour détournement de fonds.
Il dénonce la corruption des élites russes et il a été plusieurs fois emprisonné pour avoir organisé des manifestations.
Il est aussi régulièrement victime d’agressions physiques : en 2017 ses yeux ont été aspergés d’un produit antiseptique, puis, la même année, en prison, des abcès apparaissent sur son torse. Très certainement victime d’un produit chimique, le pouvoir russe évoque une réaction allergique. Puis, le 20 aout 2020, il entre en réanimation dans un état grave dans un hôpital en Sibérie, après s’être senti mal dans l’avion se rendant de Tomsk à Moscou : l’avion dans lequel il voyageait, a dû effectuer un atterrissage d’urgence en raison de la dégradation subite de son état de santé. « Il n’a bu que du thé noir à l’aéroport. Tout de suite après le décollage, il a perdu conscience ». L’empoisonnement ne fait aucun doute.
De retour à Moscou,en janvier 21, il est à nouveau arrêté et les évènements s’enchainent : l’équipe de Navalny montre un reportage dénonçant l’existence d’un « palais » au bord de la mer rouge et appartenant à Vladimir Poutine.
l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) confirme que Navalny a bien été empoisonné par un agent neurotoxique du groupe Novichok
Plusieurs médias (CNN, Bellingcat…) publient une enquête accusant des spécialistes en armes chimiques du FSB d’avoir filé l’opposant, y compris le jour de son empoisonnement présumé.
Alexeï Navalny assure avoir piégé l’un de ces agents au téléphone Konstantin Koudriavtsev, après s’être présenté au téléphone comme un assistant du Secrétaire du Conseil de sécurité russe Nikolaï Patrouchev, proche de Vladimir Poutine. Cet agent a admis qu’il avait participé à son empoisonnement et reconnaît un détail, le poison a été déposé sur une couture de l’entre-jambe du « slip » de Navalny. L’interlocuteur de Navalny laisse aussi entendre qu’il n’a pas participé personnellement à l’empoisonnement, mais à la destruction de preuves a posteriori
A son procès, Navalny dira de Vladimir Poutine : Il « entrera dans l’histoire comme l’empoisonneur de slips ».
Le FSB dénonce une « falsification ».
Les leçons
Chacun se fera un avis de ces différentes affaires qui tiennent d’ailleurs du terrorisme d’état. Néanmoins, on pourra retenir que nous sommes environnés de poisons plus ou moins toxiques. Des baies rouges de l’if aux feuilles du laurier rose jusqu’aux champignons mortels, aux araignées et autre serpents venimeux, la menace est toujours présente.
Concernant les produits radioactifs, des millions de sources sont utilisées dans le monde (industrie, hôpitaux, recherche). Aux USA, 1 source disparaît par jour (perte, abandon, vol) tandis que dans l’UE ce sont 70 sources qui sont égarées par an.
Si on y ajoute des produits chimiques de toutes natures dont l’utilisation peut être détournée (acides, bases…), voire des produits de haute toxicité comme les toxiques de guerre circulant sans aucun contrôle parfois issus des arsenaux détournés en Lybie ou en Syrie, il y a de quoi être vigilant.
Bibliographie
On pourra se référer aux multiples sites internet concernant les poisons et les différentes affaires d’empoisonnement citées ici.