Des échanges récents sur les réseaux sociaux tendent à montrer que la maladie de Lyme pourrait être issue d’une expérimentation du Pentagone qui aurait mal tourné !
C’est pour nous l’occasion de faire le point sur cette maladie qui divise encore profondément la communauté médicale. Dans un deuxième temps, nous essaierons de montrer si elle peut être considérée comme une arme biologique.
Histoire de la borréliose de Lyme
Les manifestations cutanées de la maladie ont été observées dès la fin du XIXè siècle et le début du XXè siècle sous la forme d’un érythème cutané circulaire extensif appelé plus tard un « érythème migrant » faisant suite à une piqure d’une tique du genre Ixodes. Il a ensuite été montré que des manifestations neurologiques ont pu y être associées ainsi que des arthrites notamment des genoux.
C’est en 1977 qu’une véritable épidémie a été décrite dans 3 communes du conté de Lyme aux états-Unis. Manifestations cutanées, arthrites et corrélations géographiques de la répartition de tiques Ixodes montrent que la tique est le vecteur principal de la maladie de Lyme.
C’est le chercheur américain Willy Burgdorfer qui mit en évidence des bactéries « spirochètes » dans l’intestin de tiques et la présence d’anticorps correspondants à ces bactéries dans les sérums de patients atteints de maladie de Lyme. Isolée un peu plus tard, il a été donné le nom de Borrelia burgdorferi à cette bactérie : les spirochètes sont des bactéries particulières qui sont munies de flagelles, lesquels, contrairement aux autres bactéries, ne sont pas situés dans le milieu extérieur mais restent enfermés dans la paroi bactérienne. Ils sont responsables d’une mobilité par reptation.
Actuellement, une nouvelle taxonomie tend à distinguer un nouveau genre « Borreliella comprenant les bactéries responsables de la maladie de Lyme (B. burgdorferi, B. afzelii, B. garinii…) et le genre Borrelia dont les espèces sont responsables des fièvres récurrentes (Borrelia recurrentis… ).
Épidémiologie de la maladie de Lyme
C’est une maladie dont la transmission se fait par un vecteur, les tiques du genre Ixodes et en particulier I. ricinus. La maladie est présente dans tous les départements français et tout au long de l’année, avec un pic d’incidence de mai à octobre. Avec 50 000 nouveaux cas en 2016 il semble qu’il y ait eu une forte augmentation par rapport aux années précédentes (30 000 cas annuels en général). Le Limousin et le Grand-Est sont beaucoup plus touchés que les autres régions de France.
Le mode de contamination quasi exclusif est la piqûre de tique Ixodes.
Manifestations cliniques
Phase précoce localisée
Au point de piqûre, dans 80 % des cas, il se produit un érythème migrant (EM) c’est à dire la formation d’un point rouge qui s’étend très lentement pouvant atteindre 40 cm en 6 mois avec parfois un aspect en « cible ». L’EM disparaît spontanément en quelques semaines.
Photographie d’un érythème migrant caractéristique (Photo CDC Atlanta)
La phase précoce disséminée correspond au passage de la bactérie dans le sang vers les organes cibles profonds. Il se produit alors des manifestations neurologiques par atteinte des nerfs crâniens (paralysie faciale de l’enfant par exemple). Les manifestations cardiaques sont plus rares contrairement aux arthrites qui apparaissent fréquemment à 2 à 6 mois après la piqûre.
Le passage des bactéries dans le sang peut s’accompagner de fièvre, frissons, grande fatigue, maux de tête et douleurs musculaires.
La phase tardive intervient après plusieurs mois, voire plusieurs années après le début de l’infection. Elle évolue sur un mode « chronique » (atteintes rhumatologiques, atteintes neurologiques principalement).
Diagnostic
Le diagnostic direct (mise en évidence de la bactérie) est extrêmement difficile à réaliser et ne se fait que dans les laboratoires spécialisés. Les tests indirects mettant en évidence la présence des anticorps dans le sérum (diagnostic indirect) doivent être interprétés avec attention. Le test de 1ère intention est le test ELISA. Devant un résultat positif ou douteux on confirme par un test d’immuno-empreinte western-blot ou immuno-blot ou dot-blot.
Traitement
Les antibiotiques actifs sont les bêta-lactamines, les cyclines et les macrolides.
Prévention
Les tiques sont hématophages. Elles ont besoin d’une repas sanguin unique sur 3 hôtes différents à chacun de ses 3 stades de développement : larve, nymphe, adulte. Le repas dure de 2 à 15 jours et la tique peut multiplier son poids par 600 !. Elles attendent perchées en haut des grandes herbes qu’un animal passe pour s’y accrocher (mammifère, oiseau, reptile, homme). Le prélèvement de sang se fait par une succession d’aspirations et d’injections de salive. On considère qu’il y a entre 0 et 20 % de tiques contaminées par Borreliella et qu’une tique contaminée ne transmet la maladie que dans 15 % des cas et seulement 2 % si la tique est extraite avant 4 jours de fixation. Si la tique est enlevée avant 17 à 24 heures la probabilité de transmission est alors pratiquement nulle.
La première photo montre une tique après son repas sanguin et la deuxième une tique positionnée sur une herbe.
Les mesures préventives sont, avant une promenade en forêt, de porter des vêtements longs ne laissant pas apparaître la peau (y compris des chaussettes), d’utiliser un produit anti-insectes et d’examiner attentivement la peau après une douche. En cas de présence d’une tique il faut la retirer avec un « tire-tique » dont le mouvement de rotation diminue les capacités de fixation des petites épines du rostre, et diminue donc la résistance au retrait.
La maladie de Lyme est reconnue comme maladie professionnelle.
Les controverses
La difficulté du diagnostic de la maladie de Lyme dans les phases tardives mène à de très nombreux problèmes et en particulier chez des patients persuadés qu’ils ont contracté la maladie et qu’on ne fait rien pour eux. Certains médecins pensent que de nombreux maux seraient justifiés à tort par une maladie de Lyme. D’autres pensent au contraire que la maladie de Lyme est très largement sous-estimée et que beaucoup de pathologies chroniques pourraient s’expliquer par une maladie de Lyme non diagnostiquée. Ces derniers prônent un traitement antibiotique au long cours.
Dans ces conditions, les patients se sentent ballotés dans un monde médical incapable de résoudre leurs problèmes : qui d’entre nous ne connaît pas quelqu’un persuadé que le mal dont il souffre peut être consécutif à une maladie de Lyme mal diagnostiquée ?
Beaucoup de recherches doivent encore être réalisées et en particulier la mise au point d’un diagnostic direct fiable.
L’arme biologique
Les articles conspirationnistes
Les articles qui circulent actuellement sur le net accréditent l’idée que la maladie de Lyme proviendrait de la libération de tiques militairement contaminées dans les années 50 par un laboratoire américain le « Plum Island Animal Disease Center » situé à 15 kms de Lyme où a été diagnostiqué la maladie de lyme pour la première fois. Cette hypothèse repose sur les écrits de Kris Newby dans son livre « Bitten : the secret history of lyme disease and biological weapons » paru en mai 2019 mais qu’aucun support scientifique n’est capable d’étayer. Cela fait suite à une autre théorie conspirationniste de 2005 émise par Michael Carroll dans « Lab 257 : the disturbing story of the government’s secret plum island germ laboratory ».
Pourquoi ce n’est pas possible ?
Comme nous l’avons dit, les premières descriptions de la maladie de Lyme datent de la fin du XIXè siècle et non pas des années 50. De plus, des méthodes de biologie moléculaires ont mis en évidence des génomes de Borrelia sur une momie alpine âgée de 5 000 ans ! La bactérie exerçait donc bien un pouvoir pathogène avant les années 50-70.
L’arme biologique
Peut-on se servir de la maladie de Lyme comme arme biologique ?
- la tique ne se déplace pas elle-même (elle ne parcours que quelques mètres !) et doit attendre patiemment perchée sur son brin d’herbe qu’un hôte passe à sa portée pour s’y accrocher et réaliser son repas sanguin ;
- son évolution est lente car elle doit subir 3 transformations avec 3 repas sanguins pour passer de l’état de larve à nymphe puis à l’état d’adulte, et sur une période de 2 ans ;
- la bactérie contaminante n’est pas transmise d’une tique à sa descendance ;
- Borreliella ne se transmet pas directement d’un homme à un autre mais uniquement par morsure de tique dont l’efficacité de transmission est pratiquement nuelle en cas d’extraction de l’acarien dans les premières heures.
- les signes cliniques sévères, lorsqu’ils existent, sont très tardifs ;
- les bactéries sont sensibles aux antibiotiques.
On peut donc mieux faire comme arme biologique !
Conclusion
La maladie de Lyme est encore largement énigmatique. Le pouvoir pathogène de Borreliella n’est pas bien connu et les effets tardifs de la maladie ne sont pas spécifiques. La communauté médicale est déchirée. Les réunions de consensus s’enchainent sans résoudre les problèmes.
Les patients, atteints ou non de la maladie de Lyme sont perdus et portent souvent plainte.
En aucun cas, cette maladie ne peut être militarisée.
Les résurgences des fake-news, fussent elles apparemment justifiées par un représentant républicain de New Jersey demandant au ministère américain de la défense l’ouverture d’une enquête, ne devraient pas être relayées par des journaux français sans une vérification minimale des informations. Il est inutile de rajouter de l’angoisse à l’inquiétude des patients.
Bibliographie
Maladie de Lyme : une expérimentation secrète du Pentagone qui aurait dérapé ? Philippe Chapleau, Ouest-France. Article internet modifié le 17/07/2019.
Benoit Jaulhac et al. Borelia-Borreliela. Précis de bactériologie clinique 3ème édition 2018 p.1619-1642.
Pourquoi la maladie de Lyme n’est pas une « expérimentation secrète du Pentagone : « le point santé ». Thomas Mahler. Article internet publié le 19/07/2019 sur Le Point.fr
Maladie de Lyme : la médecine divisée face à une énigme coriace. Pascale Santi. Article internet publié le 2 juillet 2018 et mis à jour le 9 juillet 2018.