Au moment où l’on s’inquiète, et à juste titre, de l’évolution des bactéries vers une plus grande résistance aux antibiotiques, on voit réapparaître une méthode de lutte contre les bactéries pathogènes, inventée par Félix d’Hérelle et testée pour la première fois chez l’homme en 1919 : la phagothérapie a 100 ans.
Félix d’Hérelle
Microbiologiste autodidacte franco-canadien né à Montréal le 25 avril 1873 il suit volontairement une carrière scientifique similaire à celle de Louis Pasteur. Il travaille d’abord sur les fermentations pour la fabrication de whiskys à partir de sucre d’érable (au Canada) ou de bananes (au Guatemala), puis il fabrique industriellement de l’alcool avec les résidus du défibrage de l’agave « sisal » (au Mexique).
Il décrit aussi une bactérie responsable d’épizooties chez les sauterelles : Coccobacillus acridorium. En infestant les plantes avec ce germe, il éradique les sauterelles, véritable fléau pour l’agriculture.
C’est alors qu’il constate sur certaines boîtes de culture du germe, la présence de taches vierges comme si la culture avait été enlevée à l’emporte-pièce ! L’observation microscopique de la tache ne montre aucun élément.
En 1915, il examine les selles de dragons hospitalisés à Maisons-Laffitte pour dysenterie bacillaire. Il mélange le filtrat d’une selle avec une culture de bacilles et après culture obtient des taches vierges similaires à celles obtenues avec les cultures de bactéries pathogènes chez la sauterelle. Il observe aussi que c’est la dernière selle avant la convalescence qui donne le plus de taches vierges. Il en déduit que le « générateur de taches vierges » est certainement responsable de la guérison. Quelques gouttes de filtrat dans un milieu liquide où se développent les bactéries le rendent limpide, c’est la clarification !
Les bactéries sont lysées par le bactériophage et le milieu s’éclaircit.
Le principe de guérison. Un microbe parasite cause la maladie, un infiniment petit à son tour parasite le microbe pathogène, le dévore et le malade guérit. C’est l’acte de naissance du « bactériophage ». Félix d’Hérelle a obtenu des bactériophages de guérison de dysenterie, fièvres typhoïdes, diarrhées infantiles…
Phage lytique, une étape dure 30-60 minutes et produit environ 100 phages.
La première guérison chez l’homme.
C’est le Pr. V.H. Hutinel (1849-1907) de l’hôpital des enfants malades qui a, le premier, traité et guérit un enfant atteint de dysenterie puis 3 frères et une sœur dans un état désespéré. Les résultats publiés en 1921 ont été suivis par la guérison de centaines de milliers de cas à travers le monde.
Toujours entrepreneur, Félix d’Hérelle crée en 1923 avec l’un de ses élèves l’Institut Eliava dédié à la phagothérapie à Tbilissi. Cet Institut est actuellement le seul centre au monde à détenir une banque de 6 000 phages fournissant ainsi différents cocktails curatifs à l’Ukraine, la Pologne et la Russie.
Twort ou d’Hérelle ?
Frederick William Twort ( 1877-1950) a décrit en 1915 (avant d’Hérelle) la présence d’aires « vitreuses » sur des cultures bactériennes en milieu solide. Il a travaillé sur un certain nombre d’hypothèses (petites bactéries, diastases…) mais il n’a pas réussi à traiter les maladies infectieuses avec ce produit. Pour être tout à fait juste il est coutume de dire que « Twort a découvert les bactériophages et d’Hérelle la phagothérapie »
Le déclin
Jusqu’en 1930, ce furent les heures de gloire de la phagothérapie, mais quelques échecs viennent remettre en cause le bien-fondé de cette méthode.
Un très grand nombre de laboratoires fabriquent de phages au niveau mondial : Swan Myers (Abbot Laboratories) , Squibb and son (BMS), Laboratoire Parke-Davis (Pfizer), Instituts Pasteur Paris et Lyon, Laboratoire Robert & Carrière, German company antipiol, Saphal (Suisse) Géorgie, Russie, Delmon Laboratories (USA) …
En 1940, la pénicilline apparaît comme le médicament miracle, stable, facile d’emploi, efficace…La France fabrique des bactériophages dans le laboratoire du bactériophage à Paris (créé par F. D’Hérelle en 1936) jusque dans les années 70. Dans les années 80, la collection de phages de l’Institut Pasteur a été jetée…
Le bactériophage devient alors sinplement un outil de biologie moléculaire pour l’étude du génome (transduction).
Le renouveau
Le constat alarmant de la résistance aux antibiotiques, les méthodologies anciennes non rigoureuses ont abouti a des échecs mal interprétés sont réévaluées. Il faut assurer la sécurité de production et la qualité des préparations
La phagothérapie
C’est l’utilisation de bactériophages lytiques afin de traiter un grand nombre de maladies infectieuses d’origine bactérienne, en particulier les infections multi-résistantes, sans effet secondaire.
Une société française, « Pherecydes Pharma » produit à nouveau des phages actuellement testés sur des infections ostéo-articulaires à Staphylococcus aureus à l’hôtial de la Croix Rousse à Lyon (Pr. Tristan Ferry). Ce traitement ne dispose pas d’AMM (autorisation de mise sur le marché)mais la société a obtenu une ATU (autorisation temporaire d’utilisation) pour traiter ces patients à titre compassionnel.
Un projet (FP7)soutenu par la commission européenne « Phagoburn » de 2013 à 2017 a étudié la possibilité de traiter les surinfections des grands brulés avec des bactériophages. Onze centres étaient inclus dans cette étude dont le « Service de Santé des Armées » à l’HIA Percy très en pointe dans ce domaine. Les résultats encourageants ont été publiés
https://www.thelancet.com/journals/laninf/article/PIIS1473-3099(18)30482-1/fulltext
Conclusion
La phagothérapie, méthode du passé mais aussi méthode d’avenir se heurte actuellement à des obstacles réglementaires. Ses avantages sont : spécificité d’espèce, pas de résistance croisée avec les antibiotiques, effets secondaires peu nombreux et bénins. Ses inconvénients sont : les préparation peuvent contenir des gènes dangereux, la spécificité est étroite, les indications limitées. Quant aux risques de résistances des bactéries aux bactériophages ils ne sont pas nuls.
Bibliographie
Autobiographie de Félix d’Hérelle (Edition médicales internationales) 2017. A. Dublanchet
Brève histoire de la phaglthérapie. A. Dublanchet, E. Fruciano, Med Mal Inf, 38 (2008) 415-420
The strange history of phage therapy. WC Summers, Bacteriophage, 2:2 (2012) 130-133