Un intéressant article de « Enquêtes d’Actu » vient de paraître. Elle nous rappelle que le sort des armes chimiques et conventionnelles immergées est loin d’être réglé et peut même représenter un risque sérieux pour l’avenir.
De quoi est-il question ?
Au fond de la mer ou de certains lacs on peut trouver des munitions dites « immergées ». Ce sont des munitions conventionnelles ou des munitions chimiques.
Soit elles ont été accidentellement perdues en mer (combats, naufrages…), soit elles y ont été déposées volontairement pour s’en débarrasser à moindre coût.
La présence de ces munitions en milieu aqueux fait peser une menace importante sur l’environnement, l’économie, la santé publique, la sécurité civile, les activités maritimes…
Quels sont les risques ?
Par contact direct
Une explosion spontanée peut blesser ou tuer des pêcheurs ramenant une munition dans leurs filets. Ce fut le cas de 3 pêcheurs tués en mer du Nord en 2005. Elle peut entraîner aussi de graves dommages sensoriels à la faune aquatique aux alentours.
Des expositions directes à des amas visqueux d’ypérite lors de chalutages de fond ont déjà été décrites. Plusieurs accidents ont eu lieu en particulier en mer Baltique où des pêcheurs ont été brûlés après avoir touché des objets contaminés par du gaz moutarde. Sa toxicité se fait aussi sentir sur la faune et la flore.
Fuites toxiques avérées
La corrosion des munitions provoque une fuite de produits toxiques. Il faut environ entre 80 et 100 ans d’immersion pour que les produits toxiques apparaissent. Les responsables d’alors pensaient que les substances toxiques seraient suffisamment diluées dans l’eau pour ne plus présenter de danger. Ce n’est malheureusement pas le cas puisque dans les eaux froides certains produits ne sont pas dégradés (comme le mercure par exemple) et ils se retrouvent dans la chaîne alimentaire reconcentrés par les organismes filtreurs.
Vers un désastre environnemental ?
La corrosion de ces armes libère dans l’eau des substances toxiques comme le plomb, le mercure, des nitrates, du phosphore…
Cent quarante-huit décharges ont été recensées par la convention OSPAR (Convention pour la protection du milieu marin de l’Atlantique du Nord-Est) dans le nord de l’océan Atlantique dont 40 000 tonnes dans la seule mer Baltique. Pour la mer du Nord, on estime que ce sont 300 000 tonnes qui y ont été déposées.
Activités potentiellement impactées
Les activités maritimes sont en constante augmentation et risquent elles aussi d’être impactées par le risque de contact direct, ou de mise au jour d’objets dangereux, ou d’accélération de la corrosion par modification des courants, notamment dans la Manche. Les activités concernées sont notamment : la pêche sur les grands fonds, la pose de câbles (électriques, téléphoniques, fibres optiques…, les activités de prospection ou exploitation (pétrolière…), la construction d’oléoducs, la pose d’éoliennes offshore…
Quelle est la situation de la France ?
L’immersion
Après la première guerre mondiale, la France a récupéré des milliers de tonnes de munitions dont une partie a été démantelée tandis que l’autre partie a été jetée en mer ou dans des lacs (Avrillé, Gerardmer…) ou dans des puits de mine voire dans dans le lagon de Nouméa.
On estime à 62 le nombre de décharges maritimes le long de la Manche et des côtes Atlantiques. Il faut avouer que les belligérants se sont servis de la mer comme d’une poubelle pour se débarrasser d’armes hautement toxiques qu’on retrouvait un peu partout sur le territoire et ce, dès les années 1917-1918.
Au début des années 1920, on possèdait des stocks gigantesques de gaz moutarde dont on ne savait plus que faire : les immerger semblait une solution pragmatique à une époque où on ne parlait absolument pas d’environnement. C’est ainsi, en particulier, qu’une dizaine de navires remplis de munitions ont été immergés sur la façade Atlantique, notamment au large de La Hague et dans l’estuaire de la Seine.
Si les autres agents chimiques, dont les neurotoxiques, s’hydrolysent en contact avec l’eau l’ypérite, insoluble dans l’eau, n’est pas inactivée et provoque des blessures près d’un siècle après son immersion.
Le secret défense
Les informations connues à ce jour émanent de la convention OSPAR et des associations de défense de l’environnement car la France oppose un secret défense à toute question concernant le déversement d’armes en mer.
Olivier Lepick, de la Fondation pour la recherche stratégique, explique que l’Etat est gêné par des pratiques scandaleuses datant d’un autre âge et surtout parce que le problème n’a pas de solution ! Beaucoup regrettent que cette position française bloque la coopération entre les pays qui essayent d’apporter une solution à ce problème.
La fosse des Casquets : un exemple
Cette fosse profonde de 160 m, au large du Cotentin est une véritable décharge à munitions. Jusque dans les années 1960-1970 les pêcheurs qui remontaient dans leurs filets des caisses de munitions ou des grenades les immergeaient à nouveau immédiatement dans des zones plus inaccessibles de façon à ce qu’elles ne viennent pas polluer leur production. Cet endroit a aussi servi pour y enfouir des déchets nucléaires français jusqu’en 1973 (officiellement). Corinne Lepage, alors ministre de l’Écologie a été saisie d’une augmentation de la radioactivité dans la fosse de Casquets. Elle a alors demandé au préfet maritime de récupérer les fûts pour les enfouir ailleurs. Celui-ci qui lui a répondu que c’était impossible car tous les fûts étaient éventrés et que les déchets radioactifs s’étaient dissous dans la mer !
Il ne faut pas se cacher la face : techniquement il est pratiquement impossible d’assainir les décharges d’armes chimiques et conventionnelles en milieu marin, car on n’en connaît ni la nature des matériaux, ni les quantités, ni les emplacements, ni leur état actuel, ni même leur stabilité.
Conclusion
Bien difficile à dire comment cette histoire va se terminer. Les dirigeants d’une autre époque, soucieux de se débarrasser d’énormes stocks de munitions conventionnelles ou chimiques, et sans aucune conscience écologique, ont commis sans le savoir ce qui s’apparente à l’irréparable. Depuis, des méthodes de destruction des armes chimiques ont été mises au point par incinération ou neutralisation (voir blog Ouvry).
Notons que le site Secoia (Site d’élimination des chargements d’objets identifiés anciens) en France permet l’élimination des armes chimiques encore retrouvées régulièrement dans la nature et il satisfait aux obligations de la convention internationale pour l’interdiction des armes chimiques.
Puissent, ces pratiques scandaleuses d’un autre âge, être définitivement interdites !
Bibliographie
Enquête d’actu : Des décharges d’armes chimiques au large des côtes franaises : une bombe à retardement. 31 mai 2022.
Wikipédia Munition immergée.
Armand Lattes : la destruction des toxiques de guerre L’actualité chimique, décembre 2014.
Marine Life Channel, Recherche d’armes chimiques et conventionnelles dans le Manche. Helloasso, 2022.