De quoi est-il question ?
L’épidémie de Covid-19 a obligé les personnels de santé à travailler dans des conditions particulièrement éprouvantes à cause de port d’EPI comprenant des blouses de protection, des gants, des lunettes et des masques filtrants du type FFP2.
La question du maintien des performances neurocognitives du personnel médical a toujours été une préoccupation aussi bien pour le manipulateur que pour le patient.
Deux publications parues simultanément cette année étudient les conséquences que pourraient avoir les EPI sur les personnels de santé et donnent des résultats… différents voire opposés !
Les publications
Wells et al. Impact of full personal protective equipment on alertness of healthcare workers: a prospective study, BMJ Open Quality 2022;11:e001551. doi:10.1136/ bmjoq-2021-001551
Kienbacher et al. The use of personal protection equipment does not negatively affect paramedics’ attention and dexterity: a prospective triple-cross over randomized controlled non-inferiority trial, Scand J Trauma Resusc Emerg Med (2022) 30:2 https://doi.org/10.1186/s13049-021-00990-3
État des lieux
Les études antérieures montrent clairement que les tenues de protection et les masques peuvent altérer la motricité fine et la capacité de concentration des personnels soignants. Plusieurs raisons ont été envisagées pour expliquer ce phénomène, notamment l’augmentation de l’humidité sous le masque, la ré-inspiration du dioxyde de carbone et l’augmentation de la résistance respiratoire. L’évacuation de la chaleur corporelle, l’altération de la vision et des « compétences non techniques » comme la communication peuvent aussi jouer un rôle.
Étude de Wells et al. Les EPI altèrent les niveaux de vigilance
But
Le papier de Wells et al. va dans ces sens en étudiant les niveaux de vigilance du personnel médical dans une unité de soins intensifs. Ils ont cherché à savoir si le port d’un EPI peut avoir un impact sur la capacité du personnel soignant à répondre de manière rapide et efficace.
Même si les soignants des services de réanimation sont habitués au port des EPI comme le tablier et les gants, voire des équipements supplémentaires comme une blouse ou un masque chirurgical pour les opérations nécessitant des conditions stériles, la présence du COVID-19 leur a imposé de porter un équipement complet avec un masque type FFP2, des lunettes et/ou une visière et une charlotte même pour les soins de routine.
Cinquante soignants, médecins, infirmières, physiothérapeutes, aides-soignants et personnel redéployé d’autres secteurs de l’hôpital ont participé volontairement à l’étude. Ils étaient protégés par une tenue de protection du type NRBC, tenue qu’ils ne portent pas habituellement dans leur exercice quotidien.
Méthodes d’essai
Une série de deux tests psychomoteurs a été utilisée pour évaluer les temps de réponse et les taux d’erreur. Une série de tests a été réalisée alors que le sujet ne portait aucun EPI (contrôle) et une autre série alors qu’il était encore en tenue après y avoir passé au moins deux heures.
Les deux outils de test utilisés étaient le « test de vigilance psychomotrice » (TVP) et le test des « Sept en série » (SST). Le TVP est une mesure chronométrique de la réaction d’un individu : on lui demande de répondre à un signal numérique sur un écran d’ordinateur en appuyant sur une touche. Le temps de réaction du sujet lorsqu’un point rouge apparaît sur l’écran est enregistré pendant 5 minutes. Le temps de réaction moyen, minimum et maximum et le nombre de fausses réponses ont été enregistrés. Pour le SST, on a demandé aux participants de soustraire 7 de 100 en série. Pour chaque erreur de soustraction commise, les participants recevaient rapidement la bonne réponse et étaient invités à poursuivre la procédure de soustraction en commençant par la réponse corrigée. Le temps de réalisation et le nombre d’erreurs étaient enregistrés.
Le test SST consiste à compter à rebours à partir de 100 par soustraction de 7 (93-86-79-72-65-58-51-44-37-30-23-16-9-2). Ce test mesure l’état mental du patient.
Résultats
On peut résumer les résultats obtenus comme suit :
Le port de l’EPI a induit une augmentation significative des temps de réaction moyen et minimal ainsi que du nombre de fausses réponses au TVP. Les sujets ont également mis plus de temps à terminer le test des 7 et ont commis un plus grand nombre d’erreurs avec l’EPI. Il y avait une différence statistiquement significative dans les scores du temps de réaction moyen du TVP avec le l’EPI entre les sujets testés en équipe de jour et ceux testés en équipe de nuit qui avaient des test plus dégradés.
Cette étude a démontré une réduction significative des niveaux de vigilance des personnels de santé lorsqu’ils portaient un EPI.
L’EPI a eu un effet négatif sur les performances aux 2 types de test, ce qui indique que de multiples composantes du fonctionnement des fonctions cérébrales sont affectées.
D’après les auteurs, cette étude présente certaines limites car elle ne prouve pas que l’effet négatif de l’EPI se traduit automatiquement par des résultats négatifs au niveau professionnel. Il est bien connu que dans la vie réelle, il existe un potentiel élevé d’erreurs d’omissions, et de quasi-accidents. Tout événement indésirable est généralement l’aboutissement d’une série d’événements progressant au-delà d’un certain seuil. Dans la pratique, la plupart des erreurs sont détectées à temps et font l’objet d’une action. Il serait extrêmement difficile de prouver qu’un événement particulier est le résultat direct de l’utilisation de la tenue de protection. D’un autre côté, si le potentiel d’erreurs est réduit, cela devrait conduire à une amélioration de la sécurité.
Etude de Kienbacher : le port d’EPI n’altère pas l’attention ni la motricité fine du personnel soignant
But
Evaluer l’influence de l’EPI avec différents types de masques FFP2 sur deux composantes neuropsychologiques du personnel du SAMU pendant une réanimation cardio-respiratoire ou RCP.
Méthode
Des équipes d’ambulanciers ont réalisé trois scénarios RCP de 12 minutes sur un mannequin après avoir gravi trois étages avec du matériel, chacun dans trois conditions expérimentales : pour le scénario de contrôle, les participants portaient leur EPI standard, à savoir une tenue de SAMU, des bottes de sécurité et des gants d’examen. Pour les scénarios d’intervention, ils portaient une combinaison (non NRBC), des lunettes de protection et l’un des deux masques suivants : un masque FFP2 avec une valve d’expiration, ou un masque FFP2 sans valve d’expiration. Les équipes et les séquences d’intervention ont été randomisées. Nous rappellerons ici qu’un masque FFP2 avec valve ne protège que le porteur et non pas l’environnement car l’air expiré sort directement sans filtration dans le milieu extérieur (mais il est plus confortable !) (Ndlr).
Ont été mesurées l’évolution des performances de concentration à l’aide du test « d2 » et la dextérité à l’aide du test de la « cheville à neuf trous » (NHPT).
– Le test d2 d’attention est une mesure neuropsychologique de l’attention sélective et soutenue et de la vitesse de balayage visuel. Il consiste à barrer les lettres « d » accompagnées de deux traits (d’où son nom) au milieu de « distracteurs ».
– Le test de la cheville à neuf trous peut-être utilisé pour évaluer la dextérité. Les sujets doivent retirer neuf petites épingles des trous d’une planche et les remettre en place aussi vite que possible en utilisant la main dominante. Le temps est mesuré et une plus grande vitesse indique une meilleure performance.
Résultats :
Quarante-huit personnes ont participé à l’expérimentation. Les résultats peuvent se résumer comme suit : la performance de concentration a été significativement améliorée après la réalisation de chacun des scénarios, l’attention et la dextérité n’ont pas été dégradées lors du port d’EPI, y compris avec les masques FFP2. Dans une étude postérieure, les mêmes auteurs avaient montré que le port d’EPI Covid-19 ne nuisait pas à la qualité de la réanimation cardio-pulmonaire elle-même.
Remarques
Ces 2 articles donnent apparemment des résultats contradictoires mais ils ne mesurent pas la même chose.
Dans le premier cas, les intervenants étaient équipés d’EPI NRBC, qui plus est étanches, ne leur permettant pas de travailler dans de bonnes conditions : chaleur, humidité, gêne dans les mouvements, bruit. Après 2 heures de travail la fatigue est intense. Il n’est pas étonnant que les tests de vigilance et l’état mental du soignant aient été dégradés. Nous avons déjà abordé ce problème dans l’un de nos blogs en mettant l’accent sur l’absence d’une tenue adaptée aux soignants comprenant au minimum une tenue filtrante permettant l’évacuation de la chaleur.
Dans le second cas, les tenues étaient composées de combinaisons non NRBC, de lunettes de protection et d’un masque FFP2 avec ou sans valve. Le travail qu’ils avaient à réaliser était, une réanimation cardio-respiratoire sur des mannequins. Les tests ne mesuraient pas la même chose non plus, ici, l’attention et la dextérité.
Les résultats ont montré que l’attention s’améliorait pendant l’exercice et l’attention et la dextérité restaient identiques à celles des témoins. Le fait que l’expérience ait été menée sur des mannequins et non en situation réelle n’a pas mis les soignants dans les mêmes situations de stress que dans une pratique réelle.
Une autre étude a examiné l’impact de l’EPI sur les performances des chirurgiens et a constaté que leurs compétences étaient considérablement réduites [1]. Réaliser un massage cardiorespiratoire n’est pas le même travail que celui d’un chirurgien dans une salle d’opération. Il s’agit notamment de la position à genoux pendant la RCP par rapport à la position debout ou assise pendant une opération. En outre, la RCP ne nécessite pas de prêter attention au maintien d’un environnement stérile. Un autre essai a porté sur l’impact d’un EPI chimique, biologique, radiologique et nucléaire (CBRN) sur les activités de routine concernant l’accès vasculaire et la gestion des voies respiratoires. Les sujets de l’étude ont eu besoin de plus de temps et de tentatives pour mener à bien leurs tâches [2].
Conclusions
La gestion des patients en période de Covid n’est pas simple pour les soignants car, non seulement ils doivent accomplir des tâches déjà difficiles en temps normal mais en revêtant en plus des EPI contre les virus comme, des combinaisons, des lunettes et des masques plus filtrant que d’habitude que sont les masques FFP2. D’une manière générale le travail est plus fatiguant et leurs capacités neurocognitives dégradées. La deuxième expérimentation réalisée dans des conditions expérimentales plus relâchées n’est, à mon avis, pas très significative.
Bibliographie
1_ Yánez Benítez C, Güemes A, Aranda J, et al. Impact of personal protective equipment on surgical performance during the COVID-19 pandemic. World J Surg. 2020;44(9):2842–7.
2_ Castle N, Owen R, Hann M, Clark S, Reeves D, Gurney I. Impact of chemical, biological, radiation, and nuclear personal protective equipment on the performance of low- and high-dexterity airway and vascular access skills. Resuscitation. 2009;80(11):1290–5.